Technologie

Des robots comme « amis »

Ce petit robot n’a pas été baptisé Lovot par hasard : avec ses grands yeux ronds et son visage de nourrisson, il ne demande qu’à être aimé. Mi-manchot, mi-Teletubbie, il ne répond pas aux questions comme Siri et ne ramasse aucune miette en se déplaçant. « [Il] n’accomplira aucune de vos tâches. En fait, vous risquez de l’avoir dans les jambes, a précisé son concepteur, le Japonais Kaname Hayashi, à l’agence de presse Bloomberg. Son unique objectif est de créer un sentiment d’attachement. »

Lovot fait partie d’une catégorie un peu spéciale dans la grande famille des robots, celle des robots « sociaux », c’est-à-dire des objets technologiques conçus pour interagir avec les humains. L’un de ses plus célèbres semblables, Pepper, a une allure assez humaine et accueille des clients dans des commerces au Japon et ailleurs. D’autres ont la forme d’un bébé phoque ou d’un chat et servent ni plus ni moins à faire de la zoothérapie auprès de personnes âgées à Brisbane, en Australie, et à Sherbrooke, en Estrie.

« Il y a des gens à qui ça a redonné le sourire », dit Pierrot Richard, chef de service en loisirs au CIUSSS-CHUS. Une vingtaine de chats et de chiens robotisés ont été déployés au cours de la dernière année dans les quatre pavillons sous sa responsabilité. Ils sont apparemment utiles pour calmer l’anxiété de certains aînés, dont un grand nombre vivent avec des limitations physiques ou cognitives.

Caresser un animal robotisé rappelle des souvenirs à ceux qui ont vécu avec un compagnon à quatre pattes et permet d’en ramener d’autres au moment présent, a constaté Pierrot Richard. « Le fait que l’animal soit robotisé ne change pas le contact, assure-t-il. Flatter le pelage, c’est un geste affectif. » Celui des chiens et des chats acquis par le CIUSSS-CHUS est « très réaliste », selon lui.

Un constat similaire a été fait par une chercheuse de l’Université Griffith, située à Brisbane, en Australie.

« Les gens, qu’ils aient des problèmes cognitifs ou non, réagissent positivement aux robots sociaux si ces derniers sont développés pour interagir avec eux, réagir à leurs émotions, donner une rétroaction positive. »

— Wendy Moyle, directrice du programme Healthcare Practice and Survivorship

Un lien factice

En observant des personnes âgées, la chercheuse a constaté – non sans étonnement – qu’elles « oubliaient vite qu’elles parlaient à un robot et non à un être humain ». Ce lien créé avec la machine fascine, mais suscite aussi des inquiétudes. Sherry Turkle, professeure de psychologie au Massachusetts Institute of Technology (MIT), n’hésite d’ailleurs pas à parler d’« intimité artificielle » pour désigner un lien qui, selon elle, fait fi de l’absence d’émotions des robots. Encourager les enfants, par exemple, à développer des relations avec eux mènera à coup sûr à un cul-de-sac, selon elle, puisqu’elles seront dépourvues d’un aspect essentiel : l’empathie.

Le psychiatre français Serge Tisseron, auteur du Jour où mon robot m’aimera – Vers l’empathie artificielle, partage certaines de ces inquiétudes. Notre relation aux choses est affective. On se projette dans les objets, technologiques ou pas, et ceux-ci ont la signification qu’on veut bien leur donner. Et si on interagit avec les machines depuis longtemps, l’avènement des robots sociaux provoque selon lui une rupture majeure : ils peuvent nous interpeller, par la voix ou le regard, et « prendre l’initiative de la relation ».

« Ça change tout, dit-il. C’est la chose qui, jusqu’à maintenant, ne concernait que les humains. » Constater que des personnes pouvaient s’attacher et même développer des sentiments pour un robot a été un choc pour le psychiatre, qui prévoit que nous aurons avec ces machines le même genre de relation qu’avec les humains. « Pour le meilleur ou pour le pire », prévient-il.

Il s’inquiète notamment de voir les êtres humains préférer une machine qui est toujours d’accord avec eux plutôt qu’une personne qui les contredit. Ces robots conçus pour nous flatter dans le sens du poil, il les appelle les « robots Nutella », nom qui vient du fait que cette imitation de chocolat est préférée par beaucoup au vrai chocolat parce qu’elle a été « entièrement conçue pour flatter le palais ».

« Les robots Nutella seront moins complexes que les humains, ils interagiront moins que les humains, mais le peu de relation qu’ils auront servira à flatter [son] désir de communication, à trouver quelqu’un qui est toujours d’accord avec soi, qui répond gentiment et tout », expose-t-il.

Bref, ces robots dits sociaux ne reflètent pas la complexité et les défis de la vie en société. Un tel lien relève plus du refuge que de la relation, se désole aussi Sherry Turkle dans un texte publié l’été dernier dans le New York Times.

Un ajout, pas un remplaçant

Thierry Karsenti, professeur à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies en éducation, invite à prendre avec un grain de sel l’idée d’attachement au robot, qu’il attribue aux stratégies de marketing de leurs fabricants. Or, ce lien n’est pas forcément négatif, a-t-il constaté dans le cadre de ses recherches menées auprès d’enfants autistes avec un robot humanoïde de petite taille appelé Nao.

« On a vu des enfants qui parlent peu à leurs parents et à l’école s’ouvrir avec le robot Nao. »

— Thierry Karsenti, professeur à l’Université de Montréal

D’autres élèves ont fait des progrès en calcul et en lecture. Nao donne des devoirs, il fait le suivi avec les enfants et les incite à s’engager davantage en classe, selon Thierry Karsenti. « Est-ce que les robots remplaceront les enseignants ? Je ne pense pas, ni à court ni à moyen terme, dit-il, mais je pense qu’ils peuvent être complémentaires. »

Wendy Moyle fait encore face, après presque 10 ans de recherches, à des gens qui jugent que les aînés devraient parler à des personnes plutôt qu’à des machines. « On ne défend pas l’usage des robots au lieu des humains. On utilise les robots durant ces moments inévitables où il n’y a pas d’autres humains autour », dit-elle. La situation est triste, convient la chercheuse, mais les robots peuvent tenir compagnie aux gens esseulés.

« Je crois que les robots peuvent être bons, mais ils doivent être développés en fonction des besoins des usagers, plaide-t-elle. On a tout d’abord besoin que les ingénieurs et spécialistes en technologies de l’information échangent avec les gens qui veulent des robots et ceux qui vont les utiliser. »

Quelques robots sociaux

Animal de compagnie

Aibo, chien robotisé créé par Sony, est dans le décor depuis près de 20 ans. Au cours des deux dernières décennies, on a vu apparaître quantité d’autres robots animaliers, dont un bébé phoque baptisé Paro, notamment utilisé auprès des personnes âgées. En Estrie, ce sont des chats et des chiens du fabricant de jouets Hasbro qui agrémentent le quotidien des résidants de certains CHSLD.

Pepper

Ce robot humanoïde peut reconnaître certaines émotions humaines, discuter, chanter et danser. Il agit comme guide ou comme hôte dans des commerces, hôpitaux ou musées au Japon et ailleurs. Le Canadien de Montréal possède un robot Pepper qu’il a posté à son restaurant de l’aéroport Trudeau.

Lovot

Ni humain ni animal, Lovot ressemble à une espèce de Teletubbie à roulettes. Il a deux grands yeux et un petit nez rond, pas de bouche. Il ne parle pas, mais peut tendre ses deux petits « bras » pour qu’on le prenne dans les nôtres. Le psychiatre Serge Tisseron résume : « C’est pour remplacer les bébés. » Lovot, qui s’endort quand on le berce, a l’air d’une drôle de poupée, en effet.

Nao

Deux bras et deux jambes articulés, deux yeux, une bouche, Nao est un petit robot qui semble sorti tout droit d’un manga. Il mesure 58 cm, ce qui le rend peu intimidant et même attrayant aux yeux des enfants, selon Thierry Karsenti, professeur à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies en éducation. Il mène plusieurs recherches avec Nao, notamment avec des enfants autistes.

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