OPINION 

Secousses islamiques

L’enseignant ne peut pas fuir devant ses élèves qui veulent comprendre les causes et les enjeux sous les soubresauts de la violence islamiste

Dans mes cours d’éthique et culture religieuse, les questions fusent de partout. Tout le monde compte sur moi pour essayer de comprendre ce qui se passe.

Pas rassurés par les politiciens enfermés dans leur rectitude politique ni par des idéologues faisant monter les enchères, mes élèves veulent comprendre les causes et les enjeux qui se cachent sous les soubresauts de la violence islamiste, parfois extrême, rapportés par les médias. Nous, les profs du secondaire, on fait quoi, maintenant ?

Bien sûr, le programme du ministère de l’Éducation nous oblige à une stricte neutralité, mais en même temps, il nous demande de ne pas entériner le relativisme des valeurs et des doctrines ; les chartes des droits et le programme nous servent de garde-fous pour ne pas « déraper » dans nos commentaires sur l’actualité.

Or, nos élèves de milieux divers sont parfois très instruits sur leur religion, et l’enseignant ne peut pas se réfugier derrière des lieux communs et des faux-fuyants : « Ah, vous savez, il y a de la violence dans toutes les religions… » Certains d’entre eux seront prompts à répondre « qu’il n’y en a pas dans le bouddhisme ». Et le prof, en perdant un peu de sa crédibilité, revient à la case départ. Alors, il pourrait être tenté de répondre plutôt : « Ce sont des extrémistes ; il y en a dans toutes les religions. » Alors d’autres élèves demandent simplement : « comment se fait-il qu’il y en ait tant dans l’islam ? » Et l’enseignant ne peut intelligemment se baser sur le nombre, parce qu’il y a autant de chrétiens que de musulmans dans le monde et qu’il n’y a pas tant de violence chez les fondamentalistes chrétiens.

Devant ses élèves qui attendent de lui des réponses, l’enseignant ne peut pas fuir ; il doit dire la vérité, tout en nuance, mais la vérité quand même, ce qu’heureusement le programme du Ministère n’interdit pas. 

Éviter les amalgames, le « muslim bashing », car si l’islam – je dis bien l’islam, la religion – est effectivement sujet à caution – et il faut dire aux élèves précisément pourquoi –, la grande majorité des musulmans est digne de respect. Et il faut aussi dire aux élèves pourquoi. Des questions devant lesquelles l’enseignant ne peut pas fuir : 

1 – Qu’est-ce qui, dans l’islam, est contraire ou pas aux valeurs démocratiques ?

2 – Qu’est-ce qui, dans le Coran, fait problème et ce qui semble plus respectueux ?

3 – Comment la tradition a-t-elle enjolivé et déifié celui qui se disait de son vivant un simple messager ?

4 – Comment, dans l’histoire, le wahhabisme et les Frères musulmans se sont-ils emparés de l’islam, à grand coup de financement des pétrodollars ?

5 – Comment établir un dialogue et un sentiment de faire cause commune entre, d’une part, des musulmans qui récusent secrètement la charia et rejettent implicitement le suprémacisme des islamistes et, d’autre part, les laïcs non musulmans, qui pour leur survie commune doivent lutter contre l’obscurantisme revendicateur ?

6 – Mais surtout, comment accompagner les musulmans dans un dialogue entre eux et à l’intérieur de chacun d’eux pour qu’ils n’aient pas peur de s’approprier leur foi dans une démarche scientifique et de revivifier leur tradition ? Car c’est bien l’islam qui vit une crise. Cette mise à jour de l’islam que les intellectuels arabes réclament et que le clergé musulman n’écoute pas, quand aura-t-il lieu et qui aura l’autorité pour le provoquer ?

Voilà l’ensemble du dossier complexe que l’enseignant du secondaire doit maîtriser, au-delà des banalités du dévoilement des cinq piliers à apprendre par cœur. Plus que jamais, sa mission est de permettre aux élèves de saisir les causes historiques et les enjeux du dialogue entre une culture traditionnelle bloquée et une culture moderne déroutée.

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