La politique expliquée à nos enfants

Parce que la politique commence dès l’école

La philosophe française Myriam Revault d’Allonnes publie La politique expliquée à nos enfants, un livre nécessaire qui vise à faire comprendre la démocratie aux enfants… mais aussi aux adultes. Entrevue.

Vous écrivez qu’on a souvent pensé qu’il ne fallait pas parler de politique lors des réunions de famille. Pourquoi ?

Il y a une tendance à ne pas parler de politique en famille, car c’est un sujet de désaccord. Je pense que c’est une idée fausse, car les enfants sont confrontés à des problèmes politiques dès qu’ils entrent en contact avec les autres. Quand ils vont à l’école, ils sont confrontés à la question de l’égalité, de la justice, à la question des chefs, de la domination, de l’autorité et de l’espace public. Il est important de leur permettre d’accéder à ce qu’est véritablement la politique au lieu de faire comme si c’était un domaine réservé aux adultes et en plus un sujet qu’il faut éviter. J’ai écrit ce livre pour les enfants et pour les adolescents afin de leur faire comprendre un certain nombre de problèmes.

Quel est le sens premier de la politique ?

Il faut revenir au sens premier du mot et de la chose. Étymologiquement, le mot « politique » vient de polis, en grec, la cité. Ce sont les Grecs qui ont inventé la politique et une manière de penser la politique en agissant ensemble. Les hommes agissent et vivent ensemble dans la cité. La politique ne se réduit pas à la conquête et à l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire le rapport entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent. La politique est quelque chose de plus large que le pouvoir, c’est le fait de participer collectivement aux affaires de la cité. Il faut aussi montrer que la politique est l’affaire de tous les citoyens et que c’est l’existence même de la démocratie. La politique inclut les préoccupations des citoyens, la santé, l’éducation, le logement, la culture… La priorité qui est donnée à ces questions n’est pas la même dans toutes les sociétés. Ce sont des choix et des orientations fondamentales qu’il faut définir à l’avance.

Quelle est la première question qui préoccupe les enfants ?

Lors de la rédaction de ce livre, mes petites-filles étaient âgées de 8 et 14 ans. La pertinence de leurs questions m’a frappée ; la première question que la plus petite m’a posée, c’est : si on peut mener sa propre vie seul, pourquoi avons-nous besoin de chefs ? Ce qui m’a confortée dans l’idée que, spontanément, il y avait une confusion sur le fait de réduire la politique au pouvoir. L’aînée avait des questions plus structurées sur la séparation des pouvoirs, le charisme, sur le succès des hommes et femmes politiques, sur le contenu de leurs programmes, leur image. En France, lors de la dernière élection présidentielle, ça a été un moment de haute intensité politique. Les enfants entendent les conversations des adultes, regardent la télévision et sont conscients qu’il y a un certain nombre de problèmes dont il faut parler.

La démocratie est-elle fragile ?

Oui, elle est extrêmement fragile, parce que c’est quelque chose de très difficile, ce n’est pas simplement le fait qu’il existe des modes d’organisation fondamentaux avec une séparation des pouvoirs, un pouvoir exécutif, législatif, une autorité judiciaire. Il est très important que ces instances fonctionnent correctement. La démocratie, ce n’est pas simplement une question de procédures, c’est aussi une manière de penser les rapports entre les citoyens et le pouvoir. À l’inverse des systèmes autoritaires ou totalitaires, dans une démocratie, on ne cesse de débattre ; ce qui est capital, c’est la délibération publique et, d’une certaine façon, le conflit que l’on doit négocier. Il y a quelque chose qui est constamment rejoué, qui peut paraître long et insatisfaisant et qui fait que les citoyens, très souvent, se désintéressent de la politique parce qu’ils sont déçus et que la démocratie ne répond pas à leurs attentes.

Il y a une crise de confiance envers les politiques et la démocratie ?

Tout à fait, il y a une certaine défiance à l’égard d’un certain personnel politique qui n’est pas toujours à la hauteur. Une défiance à l’égard de la représentation, de la façon dont les citoyens se sentent représentés. Ils pensent à tort que lorsqu’ils élisent des gouvernants, ils se dessaisissent de leur pouvoir, comme s’ils chargeaient les gouvernants d’agir à leur place. Ils doivent comprendre que les gouvernants agissent en leur nom, ce qui n’est pas la même chose. Il y a une tendance à la passivité dans la démocratie contemporaine. On reproche aussi aux politiciens de ne pas être capables de résoudre un certain nombre de problèmes comme le chômage.

La démocratie est-elle en danger ?

Il y a des phénomènes comme la mondialisation qui font qu’un certain nombre de gens se sentent abandonnés et laissés pour compte. Il y a aussi une coupure assez forte entre les villes et les campagnes. Quand on est éloigné et qu’on ne maîtrise pas les moyens de communication, on se sent isolé et c’est sur cette insécurité et sur cette frustration que jouent les mouvements qu’on appelle populistes. Ils jouent sur la peur de l’autre, la peur de l’étranger, comme si les choses allaient s’arranger si l’on se referme sur soi, ce qui n’est pas vrai.

La politique expliquée à nos enfants

Myriam Revault d’Allonnes

Éditions du Seuil

96 pages

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