Chronique

Une bonne idée de 10 milliards

Le plus grand risque pour le Fonds des générations, ce n’est pas le marché boursier, c’est les politiciens. Aussi est-ce une très bonne idée de commencer à utiliser le Fonds pour les raisons qui ont présidé à sa création, soit le remboursement de notre grosse dette publique.

Hier, Philippe Couillard a confirmé la nouvelle de mon collègue Denis Lessard : le gouvernement a bel et bien l’intention de puiser 10 milliards de dollars dans le Fonds pour rembourser la dette, à raison de 2 milliards par année.

Cette idée rejoint les suggestions de nombreux économistes : vite, remboursez la dette avant que des politiciens ne s’emparent du magot à d’autres fins.

Le risque financier – par opposition au risque politique – demeure bien présent, bien sûr. Les marchés financiers ne sont pas à l’abri d’une crise comme celle de 2008. Cette crise avait fait perdre au Fonds 22,4 % de sa valeur, à l’époque, et heureusement, le Fonds géré par la Caisse de dépôt était petit au moment de la crise (environ 1,6 milliard), si bien que la perte réelle s’était avérée relativement faible (environ 350 millions).

Il en serait autrement aujourd’hui, alors que le Fonds a une valeur estimée de 14,2 milliards. Un recul des marchés de 22,4 % ferait alors perdre 3,2 milliards au Fonds, une somme colossale.

Ce risque financier demeure bien présent, donc, mais il est moins probable, par son ampleur, que le risque de voir les politiciens utiliser le Fonds à d’autres fins qu’au remboursement de la dette, en tout ou en partie. Et plus le magot grossit, grâce aux versements et aux rendements annuels, plus son détournement est tentant.

Impôts, garderies, fleurons…

Les politiciens n’ont pas manqué d’imagination. La Coalition avenir Québec a lancé l’idée d’utiliser une grande partie des versements au Fonds pour réduire les impôts des Québécois de 1,5 milliard.

Le Parti québécois a suggéré, en janvier 2017, de recourir au Fonds des générations pour favoriser le nationalisme économique, comme le maintien dans des mains québécoises de nos entreprises faisant l’objet d’une offre d’achat extérieure.

En octobre 2017, ce fut au tour de Québec solidaire de proposer que les versements au Fonds financent plutôt la gratuité dans les garderies, une affaire de 950 millions par année.

Enfin, rappelons qu’au printemps 2015, les syndicats avaient fait campagne pour forcer le gouvernement à utiliser une partie des sommes versées au Fonds pour hausser les salaires des employés du secteur public.

Bref, on a tout entendu, ou presque. Le Fonds a toutefois été créé en 2006 pour réduire le poids de notre dette publique et soulager le budget des lourds paiements d’intérêts annuels qui en découlent.

Cette dette brute, la plus importante des provinces canadiennes, équivaut à environ 54 % de notre produit intérieur brut (PIB), mais en soustrayant le Fonds, cette part descend à 50,9 % (au 31 mars 2018, à 207 milliards).

Le Fonds est une entité distincte, si bien qu’il ne réduit la dette qu’en théorie. Un changement total de vocation, soit pour les sommes accumulées, soit pour les versements annuels, mettrait en péril les cibles fixées par la loi qui encadre le Fonds.

Ces cibles, précises, exigent de ramener le niveau d’endettement public des Québécois à un niveau viable. Ainsi, la loi prévoit que la dette brute après soustraction du Fonds ne devra pas dépasser 45 % du PIB le 31 mars 2026. De plus, la portion de cette dette constituée des déficits accumulés ne devra pas excéder 17 % (1).

Oui, mais justement, les 2 milliards de ponctions annuelles pendant cinq ans prévues par le gouvernement Couillard ne risquent-ils pas de nous faire rater l’objectif de 2026 ? Non.

Selon une récente étude des économistes Yves St-Maurice et Luc Godbout, de la Chaire de recherche de l’Université de Sherbrooke en fiscalité et en finances publiques, le gouvernement peut même virer immédiatement les 14 milliards du Fonds au remboursement de la dette, et les cibles seront tout de même atteintes.

Le scénario de remboursement progressif de 2 milliards a deux avantages. D’abord, il permettra d’atteindre les cibles, même si le Québec et le monde vivent une dure récession entre-temps, selon ce qui se dégage de l’étude. Ensuite, il mettra le Fonds au cœur du débat des prochaines élections.

Les électeurs devront se poser la question suivante : faut-il consacrer les 2 milliards annuels prévus à la réduction de la dette, aux baisses d’impôts, au nationalisme économique ou aux garderies gratuites et autres services publics ?

Après avoir baissé les impôts et réinvesti dans les services publics, m’est avis qu’il faut choisir la dette.

(1) La dette qui n’a pas été constituée par les déficits accumulés vient plutôt des emprunts pour les ponts et les routes, par exemple.

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