Chronique

Le culot de Rémi Garde

Dès sa nomination comme entraîneur-chef de l’Impact le mois dernier, Rémi Garde a donné un aperçu de son caractère. Derrière son ton amical, on a deviné une volonté de fer. Des petits bouts de phrase échappés çà et là ont montré qu’il n’hésiterait pas à bousculer l’Impact. Cette pugnacité a sûrement charmé Joey Saputo, profondément exaspéré par le manque d’énergie des siens la saison dernière.

Mais qui savait que Garde avait autant de culot ? Qui aurait pensé que son premier geste significatif à la tête du club serait d’échanger un gars aussi populaire que Laurent Ciman ?

Le défenseur belge n’était pas l’as de l’équipe, mais l’affection qu’on lui portait était profonde. On appréciait le joueur, mais on admirait le père de famille. À travers le combat que sa femme Diana et lui ont mené pour offrir les meilleurs soins à leur fille atteinte d’autisme, on a appris à découvrir cette famille attachante.

À une époque où l’argent domine le sport professionnel, et où les athlètes sont de plus en plus déconnectés de la réalité quotidienne des fans, Ciman s’est révélé une vedette proche des gens. Le genre d’homme avec qui on souhaiterait prendre un café pour simplement discuter de la vie. Parce qu’on se doute qu’il est aussi capable d’écoute. La relation qui nous unissait à lui était unique.

Et voilà qu’en ce premier jour de tempête hivernale sur Montréal, la bourrasque frappe encore plus fort sur le stade Saputo. Un autre joueur aimé du public quitte le club. Et si on comprend bien les raisons derrière les départs de Didier Drogba, Patrice Bernier et Hassoun Camara, celles expliquant le transfert de Ciman à Los Angeles sont moins évidentes.

Avec son expérience, son talent et sa fierté d’endosser le chandail bleu-blanc-noir, Laurent Ciman n’aurait-il pas dû être un pilier de la relance ?

Garde a jugé que non. On peut critiquer sa décision, mais admettons ceci : le nouveau coach livre un message fort. Cette équipe est désormais la sienne et le passé ne compte pas. À partir de maintenant, c’est pleins feux sur l’avenir. Il n’hésitera pas à prendre des risques pour remodeler le visage du club.

Malgré la déception provoquée par le départ de Ciman, ce constat est encourageant.

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En compagnie du directeur technique Adam Braz, Garde a répondu aux questions des journalistes lors d’une conférence téléphonique en fin d’après-midi hier. L’exercice ne s’est pas étiré. La direction de l’Impact avait hâte de passer à autre chose, et ce n’était sûrement pas parce que le souper était prévu à 18 h ! Mais Garde, lui, est demeuré très calme, même quand on lui a rappelé que des raisons familiales avaient incité Ciman à se joindre à l’Impact en janvier 2015.

« Je ne suis pas insensible à la personne derrière le footballeur, a-t-il répondu. […] Mais au club, depuis les quatre semaines que je suis ici, personne ne m’a demandé d’évaluer les joueurs autrement que sur un point de vue sportif, que ce soit pour Laurent ou les autres. Je m’en suis tenu à ça. L’objectif est d’essayer de faire progresser le groupe. »

Garde a ensuite rappelé que l’Impact était un des clubs avec la moyenne d’âge la plus élevée en MLS. Il a manifestement senti qu’un virage jeunesse s’imposait. Et on réalise que le jeu de Ciman au cours de la dernière saison ne l’a pas impressionné au point d’en faire un intouchable. À preuve, ce commentaire : « Je comprends que cette mesure est spectaculaire, car il s’agit d’un joueur qui a donné beaucoup à l’équipe pendant trois ans, peut-être un peu moins sur la deuxième partie de ses prestations ici... »

On peut aussi tirer une conclusion très intéressante des propos de Garde : Joey Saputo lui a manifestement demandé de brasser la cage. Évoquant toujours l’échange de Ciman, il a lancé : « Loin de moi l’idée de vouloir pointer un seul responsable à des changements qui me semblaient nécessaires et, en tous cas, qui m’ont été réclamés. »

Or qui, à part la personne l’ayant embauché, peut avoir l’autorité d’exiger des changements ? En faisant ce geste audacieux, Garde montre à son nouveau patron qu’il n’a pas froid aux yeux.

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En confiant le sort de l’Impact à un entraîneur européen, doté d’un palmarès enviable, Joey Saputo s’est assuré de faire accepter des décisions controversées auprès des partisans. Peut-être qu’on remettra un jour ses décisions en question. Mais pour l’instant, la chance est au coureur.

Après analyse des matchs de l’Impact en 2017, Garde a ciblé des lacunes et mis en place une stratégie pour les corriger. J’ignore si c’est lui qui a imaginé le scénario ayant conduit à cette transaction, ou s’il s’est fié au savoir-faire du duo Adam Braz-Nick De Santis, beaucoup plus familier avec les arcanes de la MLS.

Mais l’opération d’hier est créative à souhait. Elle fait la démonstration d’une organisation aux aguets. Il y avait une occasion à saisir avec ce repêchage de l’expansion destiné à la nouvelle équipe du circuit. Et l’Impact n’a pas manqué son coup.

Pour faire aboutir un dossier semblable, il faut une solide dose de travail. Les dirigeants de l’Impact ne se sont pas tourné les pouces. C’est une excellente nouvelle, car le dynamisme n’a pas toujours été la marque de commerce de l’organisation durant l’entre-saison. Et cela lui a parfois coûté cher lorsque le ballon a été remis au jeu au mois de mars.

Alors bonne chance à vous et à votre famille, monsieur Ciman. On ne vous oubliera pas de sitôt. C’est dommage de vous voir partir, mais la grande roue du sport professionnel tourne sans cesse. Nos yeux sont désormais rivés sur Rémi Garde qui, à l’évidence, nous réservera d’autres surprises.

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