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Édition du 23 octobre 2016,
section ACTUALITÉS, écran 11
L’idée de creuser un tunnel sous la montagne est celle de Henry Wicksteed, ingénieur de la société Canadian Northern Railway (Canadien Nord). Celle-ci veut relier Montréal à Toronto et son chemin de fer partant vers l’ouest. Mais la compagnie fait face à deux obstacles. Elle ne possède pas de gare au centre-ville et elle ne veut pas que ses voies côtoient celles de ses concurrents, le Canadien Pacifique et le Grand Tronc. Contourner la montagne par l’est était impensable en raison des coûts d’expropriation. On opte donc pour un tunnel.
Les travaux sont lancés. Deux équipes d’ouvriers, installées de part et d’autre de la montagne, amorcent le creusage de la roche. « Elles progressent en moyenne de 130 mètres par mois, au moyen de pics et de pelles, affirme l’historien Martin Landry, de Montréal en histoires. Pour évacuer la terre et la roche retirées, on a d’abord recours aux chevaux, puis on utilise ensuite des locomotives à essence, mais les émanations de gaz empoisonnent l’air du tunnel. Elles sont donc rapidement remplacées par des locomotives électriques. »
Le 10 décembre 1913, les deux équipes de travailleurs font leur jonction à 188 m de profondeur. L’alignement est presque parfait : 2,5 cm d’écart. La nouvelle fait la une des journaux. Ainsi, dans son numéro du 11 décembre, La Patrie rapporte qu’un premier voyage symbolique a lieu dans les heures suivant le percement. « Parti à 3.45 [15 h 45] de la porte ouest du tunnel, le train d’invités arrive à 5 heures à la rue Dorchester et tous les visages sont empreints de fierté d’avoir pu assister à cet événement unique », écrit-on.
Il faudra attendre près de cinq ans avant que le chemin de fer soit mis en service. Les administrateurs du Canadien Nord font face à toutes sortes d’obstacles qui ralentissent les travaux. À une querelle juridique entourant un droit de passage succèdent le manque de matière première imputable au déclenchement de la Première Guerre mondiale, les difficultés financières de la compagnie et la grippe espagnole. En 1917, les fondateurs William Mackenzie et Donald Mann démissionnent. Le Canadien Nord est nationalisé par le gouvernement fédéral.
Le 21 octobre 1918, un premier train à destination de Toronto traverse officiellement le tunnel à deux voies électrifiées. Coût du billet : 25 cents. « Mais il n’y a pas de cérémonie officielle à cause de l’épidémie de grippe espagnole qui court dans la ville et qui empêche les grands rassemblements », écrit Martin Landry. Les travaux de cette étonnante infrastructure auront couté 5 millions de dollars. En parallèle à la construction du tunnel, le Canadien Nord aménage une gare au centre-ville. Sur ce même emplacement s’élève aujourd’hui la Gare centrale de Montréal. En 1923, le Canadien Nord devient, après fusion avec des concurrents, le Canadien National.
La construction a un effet structurant sur le développement du versant nord-ouest de la montagne. Henry Wicksteed propose en effet à ses employeurs de concevoir une cité en forme d’étoile autour de la gare de la sortie nord du tunnel. Le Canadien Nord acquiert 4800 acres de terrain pour 120 000 $, embauche l’architecte paysagiste Frederick Gage Todd et vend les terrains subdivisés pour financer les travaux. Le lotissement, exemple type de cité-jardin, deviendra la ville de Mont-Royal. Aujourd’hui, certaines rues, telles Wicksteed et Canora (pour Canadian Northern Railway), témoignent de cette initiative.
Le tunnel est toujours en fonction. Les voies sont utilisées pour le train de banlieue Montréal–Deux-Montagnes de l’Agence métropolitaine de transport. Depuis la construction de la Place Ville Marie, au début des années 60, on a entièrement recouvert l’entrée sud. Au fil des ans, quelques projets pour un autre usage des voies ont été avancés, mais jamais réalisés. Le plus connu est celui de l’aménagement de la ligne de métro numéro 3 (dite « rouge ») dans l’emprise de celles-ci. Mais cela aurait signifié l’usage de rames à roues d’acier au lieu de pneumatiques.