Courrier

Les médecins doivent revoir leur pratique

Plusieurs médecins, infirmières et gestionnaires ont applaudi au texte du Dr Claude Poirier, publié hier, sur la nécessité de responsabiliser le corps médical. Voici quelques réactions.

Nous médecins, devons rendre des comptes

Le Dr Poirier a tout à fait raison. Les médecins, dans leur comportement, ne sont redevables à aucune autorité et se moquent totalement des répercussions de leur choix sur l’institution. Dans l’organisation Kaiser Permanente ou à la Cleveland Clinic, les institutions ont un contrôle sur les médecins, non pas sur l’acte médical – ceci relève de leur compétence –, mais sur la façon de le mettre en pratique. Par exemple, les horaires de travail sont surveillés et l’arrivée et les départs sont pris en considération. Les écarts et les retards amènent des sanctions et même des renvois. 

Je mets au défi une organisation de mettre au pas un médecin pour son manque de discipline ou un comportement litigieux. Pourtant, chez nous, plusieurs médecins travaillent à vacation, mais ils sont leurs propres surveillants et la feuille de temps remplie ne correspond pas souvent à la réalité. D’où l’importance d’introduire des mécanismes de surveillance et d’imputabilité dans le système de santé. Le jour où les médecins seront engagés, payés et remerciés par l’institution, nous, les contribuables, en aurons sûrement plus pour notre argent.

— Régent L. Beaudet, médecin

Rejouer dans les structures ne donnera rien

L’article du Dr Claude Poirier est excellent et tout à fait pertinent. Les dysfonctionnements du système de santé ne sont qu’en partie structurels. L’absence de responsabilisation des médecins en matière de services efficients à la clientèle (et non en matière de qualité de l’acte) dans les établissements et les bureaux privés est l’une des principales causes de ce dysfonctionnement.

La rémunération est le principal obstacle à un meilleur service et une accessibilité améliorée. Un professionnel, travailleur autonome, sans aucune compétition, rémunéré à l’acte et payé par le gouvernement, avec peu ou pas de contrôle, sans aucune obligation de donner un bon service à la clientèle ou à l’établissement et qui, selon plusieurs observateurs ainsi que certaines études, diminue sa prestation de service au fur et à mesure que son niveau de revenu augmente, est une bonne recette pour obtenir un système de santé qui fonctionne mal.

Rejouer dans les structures ne corrigera pas le problème humain du système qui, en toute honnêteté, n’est pas le seul apanage des médecins.

— Marc Couturier, médecin

Pouvoir et responsabilité devraient être indissociables

M. Poirier identifie un problème majeur que le ministre ne veut pas voir. Nous avions tenté d’implanter un modèle de coordination des soins en santé mentale ou de suivi systématique de clientèles, afin d’offrir la meilleure intervention au meilleur moment au bénéfice du patient. Certaines difficultés se sont dressées face à l’implantation de ce projet, la principale provenant des résistances des médecins à travailler en interdisciplinarité, à déléguer leur pouvoir avec les membres de l’équipe et à mettre de côté leur façon traditionnelle de faire dans une perspective d’efficacité.

Les infirmières ou les gestionnaires auront beau mettre les bouchées doubles pour améliorer la qualité, l’accessibilité et l’efficience, ce sera encore une fois des coups d’épée dans l’eau s’il n’y a pas de responsabilité partagée avec les médecins. J’aurais de multiples autres exemples à donner dont, entre autres, la résistance massive des médecins au développement du rôle des infirmières praticiennes dans divers secteurs, notamment en santé mentale, en raison de leur grande difficulté à faire confiance et à partager leur pouvoir. Pouvoir et responsabilité devraient donc être indissociables si on veut réformer le système.

— Nicole Ricard, infirmière, professeure retraitée de l'Université de Montréal

Bravo !

Pour avoir baigné dans le système de santé et services sociaux toute ma vie (une affaire de famille) et après 30 ans de loyaux services dans le réseau régional et ministériel, je ne peux qu’applaudir aux propos de M. Poirier. Il est plus que temps que ce genre d’analyse circule. Mon père, directeur général de centre hospitalier en région, disait : « Quand je rencontre un médecin pour la première fois, c’est d’abord le comptable en lui que je rencontre. Il me demande de visiter l’hôpital seulement lorsque les questions d’argent sont réglées. »

— Luce de Bellefeuille

Le curé, le docteur et le paiement à l’acte

Le paiement à l’acte a des conséquences lourdes sur les habitudes et le budget. Des exemples : prescrire une consultation coûteuse et contraignante auprès d’un spécialiste, au lieu de demander rapidement conseil à un collègue ; charger une visite supplémentaire pour confirmer au patient que ses prises de sang étaient normales ; et surtout, maintenir des actes réservés de façon illogique sous l’œil approbateur de la RAMQ, actes payants pour peu d’efforts, aurons-nous deviné. Savez-vous qu’une simple marchette payée par la RAMQ doit être prescrite par un spécialiste, souvent un orthopédiste ? Pourtant, le physiothérapeute, titulaire d’une maîtrise, est de loin plus habilité à le faire.

Nous sommes en 2014 : le temps où le curé du village et le « docteur » étaient les seuls détenteurs de scolarité est révolu ! Ne creusons pas davantage le gouffre entre le médecin et ses collègues, entre le médecin et ses concitoyens. Ils ne sont pas des entreprises. Ils font partie d’une équipe multidisciplinaire, d’une société, d’un effort collectif pour se serrer la ceinture et se respecter.

— Geneviève Thibault, professionnelle de la santé

Trois médecins en conflit d’intérêts

Merci au Dr Claude Poirier pour son analyse éclairante du plus grand problème du réseau de la santé et des services sociaux, soit l’absence de responsabilisation du corps médical. Je suis bien d’accord que la « structurite » pilotée par le docteur Barrette ne va rien régler – nous en sommes à la treizième restructuration du réseau depuis sa création – car le problème n’est pas dans les structures, d’autant plus que cette réforme fragilise encore plus les services sociaux en fusionnant maintenant la protection de la jeunesse.

Je dirais plutôt que la situation va empirer, car pendant les sept prochaines années (temps nécessaire pour compléter l’implantation d’une réforme) les gestionnaires seront occupés à réorganiser et les professionnels du réseau à tenter de s’acclimater à leur nouvel environnement organisationnel. Il est loin d’être assuré qu’on aura économisé, si on se base sur la dernière réforme du réseau – celle du docteur Couillard – qui s’est soldée par une augmentation de la bureaucratie.

J’en suis à penser sérieusement que toutes ces opérations ne servent qu’à maintenir et à augmenter la mainmise du pouvoir médical sur le réseau avec les aberrations qu’il génère. En cela, je considère que les trois médecins qui sont à la tête du Québec sont en sérieux conflit d’intérêts corporatifs et que l’on vit actuellement un abus de pouvoir à l’encontre de l’intérêt commun.

— Daniel Poirier, gestionnaire de services sociaux à la retraite

Les mains dans le plat de bonbons

Vous mettez le doigt sur le principal problème du système de santé : l’institution qui le dirige n’est pas l’État, mais le corps médical. Ce dernier met en priorité la santé de son propre corps. Mettez un plat de bonbons dans les mains d’un enfant et assurez-le qu’il sera toujours plein : il ne se gênera pas pour en manger. C’est ce que font les médecins à qui l’on donne une structure de soins qui ne dépendent que de leur bon vouloir, et non uniquement de leur savoir. Regardez le déroulement de la majorité du travail d’équipe dans les milieux de santé et vous y verrez le reflet de cette réalité, centrée sur les besoins du patient en passant au préalable par celui du médecin.

— Yves Bonenfant, infirmier

Comment faire fondre les listes d’attente

Je partage tout à fait ce commentaire. J’ajouterais à la participation véritable des médecins aux équipes de soin celle de la responsabilité partagée des soins entre les divers professionnels de la santé. Si les pharmaciens, psychologues, infirmières, travailleurs sociaux, et j’en passe, pouvaient déployer l’étendue de leurs compétences, les listes d’attente fondraient comme neige au soleil.

— Caroline Larue, professeure à la Faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal

Il faut freiner le paquebot !

Il ne faut pas se leurrer, la restructuration du réseau de la santé est belle et bien démarrée. C’est ce qui m’effraie le plus car, ayant travaillé comme gestionnaire pendant 22 ans dans le réseau, j’ai vécu plusieurs restructurations sans succès véritable. Je ne vois pas dans celle-ci un réel désir d’améliorer notre offre de service aux Québécois.

Vous et plusieurs spécialistes en gestion et en veille stratégique le dénoncez, mais toute l’administration du réseau devrait aussi le faire. Comment peut-on cesser ce carnage de notre système ? Ne devrions-nous pas amorcer une refonte essentielle de notre offre de service et de notre approche actuelle face au corps médical ? Je suis entièrement d’accord avec vos propos et j’espère que vous ne serez pas le seul à dénoncer la situation actuelle. Il faut freiner ce paquebot !

— Pierrette Gervais

Le statut des médecins est un frein

Je suis entièrement d’accord avec cette opinion. Le statut des médecins est un frein au travail d’équipe.

— Nicolas Trudeau, médecin

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.