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Un rapport d’enquête accablant

Un comité de direction dysfonctionnel, un chef de cabinet qui s’arroge des pouvoirs de directeur et impose un régime de terreur, une division des affaires internes mal formée, mal gérée, qui accorde des passe-droits aux uns et détruit sans motif valable la carrière des autres : le rapport d’enquête déposé hier est accablant pour le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). En voici les grandes lignes. 

Au service de qui ?

Me Michel Bouchard commence son rapport en ne citant rien de moins que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, document fondateur de la Révolution française rédigé en 1789, selon laquelle la « force publique » doit être instituée « pour l’avantage de tous et non pas pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». 

Il cite ensuite un ex-enquêteur des affaires internes qui dénonce la façon dont la division était utilisée. « Cette division a malheureusement servi des intérêts qu’elle n’aurait pas dû, [c’est-à-dire qu’elle a servi à] étouffer ou éliminer des enquêtes dans le but de promouvoir des gens, empêcher des gens d’avoir accès à des promotions en créant de fausses enquêtes ou en omettant de fermer des dossiers pour lesquels il n’y avait pas lieu d’enquêter. » Un inspecteur-chef à la retraite a par ailleurs déploré le fait que « les affaires internes faisaient les jobs de bras de la direction ».

Dossiers mort-nés

L’enquête administrative a révélé plusieurs cas d’allégations contre des policiers qui n’ont pas donné lieu à des enquêtes, notamment des signalements de brutalité policière. Parfois, le processus était si long que le délai pour porter des accusations était dépassé. Dans un cas, un plaignant qui disait avoir été brutalisé a été amené à conclure une entente pour retirer sa plainte, en échange de quoi les accusations d’entrave au travail de policiers contre lui seraient retirées. Des cadres visés par des allégations auraient aussi bénéficié de traitements de faveur. « Jamais les enquêteurs ne pouvaient enquêter sur une personne de rang supérieur », a déploré un ancien enquêteur des affaires internes.

Des dossiers étaient laissés incomplets pour éviter à certains policiers d’être poursuivis et un « classement parallèle » des enquêtes internes permettait de « tabletter » certains dossiers de plaintes pour protéger les policiers visés.

Enquêtes bâclées

Lorsque les enquêtes étaient menées à terme, c’était selon des processus qui variaient « de bâclés à inexistants », selon le rapport. Un sergent-détective du soutien technique, à qui on a souvent demandé de l’aide pour la surveillance électronique des cibles de la division des enquêtes internes, affirme que cette équipe était « une gang de cowboys à 90 % ». Ils abusaient de l’écoute électronique et gonflaient leurs projets d’enquête, dit-il. « Chaque fois, on a l’impression qu’on veut attraper le kingpin de la mafia », selon lui. Il dit avoir été intimidé pour avoir dénoncé le fonctionnement de cette division.

D’autres policiers ont dit que personne ne voulait aller aux affaires internes, que c’était comme une punition, que ceux qui y allaient risquaient de perdre tous leurs amis. Ceux qui y étaient recrutés apprenaient sur le tas et ne recevaient souvent aucune formation spéciale.

Guerres impitoyables

Me Bouchard évoque aussi les guerres de clans au sein du SPVM, notamment entre les gens de la gendarmerie, qui travaillent en uniforme, et les enquêteurs, qui travaillent habillés en civil. « Les deux mondes sont constamment en compétition et les tensions augmentent en période de “course à la chefferie”, alors que chacun des groupes voudrait que le prochain directeur provienne de leur monde », écrit-il.

Les conséquences de certains règlements de comptes peuvent être dévastatrices, dit-il au terme d’une quarantaine de rencontres avec des membres du service de police. « Certaines de ces rencontres ont donné lieu à des moments particulièrement émotifs, en raison des conséquences importantes qu’ont pu avoir sur le cheminement de leur carrière et la réputation de ces personnes les interventions menées par la Division des affaires internes à leur égard. »

Climat tendu au sommet

Le climat au sommet de l’organisation serait par ailleurs « extrêmement tendu », selon les informations recueillies par Me Bouchard. Depuis septembre dernier, 44 cadres sur 125 auraient été déplacés. Le comité de direction serait dysfonctionnel. Le chef de cabinet du directeur Philippe Pichet, Imad Sawaya, aujourd’hui suspendu parce qu’il fait l’objet d’une enquête de la Sûreté du Québec, se serait « arrogé un pouvoir normalement réservé au directeur », selon certains. « Il en abuserait pour pénaliser les récalcitrants et ceux qui manifestent leur désaccord à l’égard du fonctionnement actuel de l’organisation. » Son attitude serait assimilée à du harcèlement, et plusieurs cadres seraient en état de détresse psychologique. Le directeur aurait défendu son chef de cabinet coûte que coûte, le désignant comme « son homme de confiance ».

Recommandations

« Notre rencontre dans le cadre de cette enquête avec le directeur Philippe Pichet ne nous a pas permis d’être rassurés sur un changement d’orientation », note Me Bouchard. Il recommande donc au gouvernement d’utiliser son pouvoir pour le relever de ses fonctions. Il suggère aussi d’élargir le rôle du Bureau des enquêtes indépendantes pour lui confier le mandat de recevoir et de traiter les plaintes relatives à des crimes possibles commis par des policiers. Il recommande enfin l’adoption d’un code de discipline commun à tous les corps policiers du Québec et que l’on confie à un comité indépendant la décision de destituer ou pas un policier pour ses fautes.

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