Martin Prud’homme

Un vert chez les bleus

Québec — Pendant des années, on a parlé des « bleus » et des « verts ». Et pendant des années, on a dit que, comme l’eau et l’huile, les deux groupes ne pouvaient se mélanger. Pourtant, le gouvernement Couillard a fait hier un pari étonnant : envoyer le chef du camp des « verts », Martin Prud’homme, de la Sûreté du Québec (SQ), diriger les « bleus », les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Martin Coiteux a surpris bien des collègues au Conseil des ministres, hier, quand il a proposé de remplacer Philippe Pichet par le patron de la SQ. Les Pierre Moreau, Jean-Marc Fournier et Pierre Arcand, les plus expérimentés autour de la table du Conseil, étaient passablement perplexes devant l’opération que proposait leur collègue Coiteux. 

Ce qui était en cause, ce n’est pas la personnalité de Prud’homme – considéré comme un « super cop » par tout le monde au gouvernement. C’est plutôt la différence de culture entre les deux groupes qui les faisait hésiter. Au surplus, le fait que M. Prud’homme est le gendre de Robert Lafrenière, patron de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), fait sourciller – son siège est toujours là à la SQ, il prend le contrôle du SPVM et le beau-père est patron de l’UPAC. La direction de toute la police au Québec sera assise autour de la même dinde au souper de Noël !

M. Coiteux n’a pas vraiment présenté d’autres scénarios à ses collègues. Pour lui, il n’y avait pas d’autres candidats capables de relever ce défi au pied levé. Fallait-il agir ainsi, dans la précipitation ? Il a fait valoir qu’il y avait urgence. En fait, depuis un bon moment, il savait vers quelles conclusions se dirigeait l’enquêteur Michel Bouchard. Dès mardi soir, à la réunion du comité des priorités, il avait, semble-t-il, indiqué qu’il comptait nommer Prud’homme.

Une culture à « casser »

Beaucoup plaidaient pour la nomination d’un civil. Mais Guy Coulombe – ex-haut fonctionnaire qui a notamment dirigé la SQ – n’est plus de ce monde. Et ils ne sont pas nombreux.

Avec un « administrateur temporaire » issu de la SQ, le gouvernement veut à l’évidence « casser » la culture dominante au SPVM, depuis longtemps dysfonctionnelle.

Des policiers d’expérience expliquent : la structure de décision à la SQ est très encadrée, chaque palier décisionnel répond de ces gestes à un étage supérieur. Les rapports avec le patron-gouvernement sont bien délimités. Le directeur général de la SQ, par exemple, ne discute pas de ses opérations avec le politique.

Le passage du témoin à la SQ au profit d’Yves Morency, jusqu’au 31 décembre 2018, soulève bien des questions à la SQ. Directeur général associé, M. Morency est perçu comme l’exécutant des commandes de Martin Prud’homme. Il a souvent servi de « gilet pare-balles » pour son patron. Ce dernier peut dormir tranquille, Morency n’aura aucune velléité de conserver ce poste. D’ailleurs, si la CAQ est portée au pouvoir en octobre 2018, peut-être M. Prud’homme préférera-t-il conserver la direction du SPVM.

La culture est bien différente au SPVM, où les policiers conservent toute la marge de manœuvre et n’ont pas le même rapport d’autorité avec la direction. Le patron y est perçu comme l’interface obligée avec le maire. Le phénomène avait pris des proportions inquiétantes sous Denis Coderre et Philippe Pichet, perçu comme plutôt mou devant les doléances du politique. De surcroît, M. Pichet fait figure de « loner ». Récemment, il a surpris ses troupes avec un « plan stratégique » qu’il avait concocté tout seul. Son plan de match a fait long feu.

Martin Prud’homme supporte mal l’adversité, dit-on. Affable dans une conversation, il peut être cassant si on lui tient tête. Il aura besoin de toute sa détermination pour faire face aux « vieux loups », officiers du SPVM, qui vont lui promettre une totale soumission, pour, à la première occasion, « lui envoyer la rondelle dans les patins ».

Les antécédents de Prud’homme

Sous-ministre à la Sécurité publique, Prud’homme avait été nommé patron de la SQ quelques mois après l’arrivée de Philippe Couillard au pouvoir. Le gouvernement libéral voulait sortir Mario Laprise, nommé par Pauline Marois, de ce poste hautement stratégique.

L’expérience de Prud’homme au sein de la fonction publique avait pesé lourd dans le choix du gouvernement. Déjà, il était le choix le plus sûr, le moins susceptible de surprendre.

Mais ce fonctionnaire connaissait la SQ de fond en comble et avait toujours maintenu ses contacts à tous les étages du bunker de la rue Parthenais, siège social de la police. Depuis son arrivée au 11e étage, celui des patrons, il a demandé à tout le monde de porter son arme de service au bureau. Un policier doit toujours être prêt.

Son premier mandat à la SQ a été d’imposer une cure minceur à l’organisation, une tâche naturelle puisque, comme sous-ministre, il avait eu à écrire le menu. Fin d’une longue liste d’avantages, les autos fournies aux officiers, notamment.

Il aura fait accepter une grosse bouchée aux patrouilleurs, syndiqués : le rééquilibrage de leur contribution à leur généreux fonds de retraite – ce sera moitié-moitié avec l’employeur en 2022. Mais les augmentations de salaire accordées ont été importantes – 17,5 % pour une convention de sept ans « désynchronisée », dans l’avenir, de la négociation de l’ensemble des fonctionnaires.

Policier d’abord, Prud’homme a amorcé sa carrière comme patrouilleur dans la région de Montréal, au bas de l’échelle, en 1988. Il avait étudié en techniques policières au cégep Ahuntsic. Après un bref passage comme agent double au début des années 90, il est devenu enquêteur, puis caporal en 1995. Il est sergent quatre ans plus tard, puis rapidement capitaine spécialisé dans les mesures d’urgence.

Il devient plus tard adjoint au service des enquêtes contre la personne, puis patron de ce service « des homicides » de 2004 à 2009. Il multiplie à partir de ce moment les interventions publiques. En 2007, c’est lui qui donne le point de vue de la SQ dans le dossier de la disparition alors récente de Cédrika Provencher, à Trois-Rivières. Cette disparition l’a toujours hanté. C’est lui qui a donné le feu vert pour qu’une armée de spécialistes fouille en plein hiver l’abord d’une autoroute pour trouver des indices des années après le drame.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.