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Une « administration provisoire » pour le SPVM

Refusant de démissionner de son poste de chef de la police de Montréal, Philippe Pichet a dû être suspendu hier après-midi en raison de son incapacité à corriger les profonds problèmes de gestion interne minant le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Il sera remplacé par le directeur général de la Sûreté du Québec (SQ), Martin Prud’homme, désigné « administrateur provisoire » du corps policier pour un an.

Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a rendu public hier après-midi le rapport qu’il avait commandé en mars dernier à Me Michel Bouchard sur la gestion interne du SPVM. Après l’analyse de la période de 2010 à aujourd’hui, son enquête administrative a relevé des « irrégularités manifestes dans la conduite des enquêtes internes ».

Le rapport avance notamment que plusieurs allégations criminelles visant des policiers n’ont pas fait l’objet d’enquêtes ni été rapportées au Directeur des poursuites criminelles et pénales, comme l’impose pourtant la loi. L’enquête administrative met aussi en lumière des « préoccupations importantes quant aux tensions et au climat de travail ».

Devant ces écueils, le ministre estime que la suspension du chef de la police de Montréal s’imposait, lui qui avait été incapable d’assainir le climat depuis son entrée en poste à l’été 2015.

Philippe Pichet ne s’est pas adressé aux médias à la suite de sa suspension. « Je suis suspendu. Je ne suis pas autorisé à faire de commentaire », a-t-il indiqué à La Presse lors d’un bref échange.

Officiellement, Martin Coiteux décidera s’il réintègre Philippe Pichet ou le destitue après avoir reçu un rapport de l’administrateur provisoire à la fin de son mandat. Le ministre a toutefois dit hier qu’il lui semblait peu probable que celui-ci retourne à la direction du SPVM. Il a d’ailleurs dit s’attendre à ce que la mairesse Valérie Plante lui propose un successeur d’ici la fin de l’année que doit durer l’administration provisoire.

De la SQ au SPVM

C’est le directeur général de la Sûreté du Québec, Martin Prud’homme, qui agira comme administrateur provisoire du SPVM jusqu’à la fin de 2018. Durant son mandat, il sera lui-même remplacé par Yves Morency à la tête du corps policier provincial.

Martin Coiteux dit avoir choisi un policier plutôt qu’un civil pour éviter un flottement à la tête du plus important corps policier municipal de la province.

« On a besoin de quelqu’un qui a des capacités exceptionnelles, qui est immédiatement disponible, qui a la connaissance intime de ce qu’est le monde policier et qui a géré une grande organisation. »

— Martin Coiteux, ministre de la Sécurité publique

Le ministre voulait aussi éviter de nommer une personne ayant des visées sur la direction du SPVM. Martin Prud’homme a ainsi vu son mandat à la tête de la SQ être prolongé pour l’inciter à retrouver son poste à l’issue de l’administration provisoire.

Valérie Plante s’est dite satisfaite de la mise en place d’une administration provisoire puisqu’elle permettra à la Ville de Montréal de conserver « son influence sur les opérations et les orientations du SPVM ». Elle compte demander à Martin Prud’homme de donner suite à sa volonté d’accentuer le virage « police de proximité qui met beaucoup l’accent sur la prévention » que son administration souhaite prendre.

« Tutelle déguisée », selon l’opposition

Aux yeux du député du Parti québécois Pascal Bérubé, le ministre Coiteux a commis une « erreur » en plaçant le chef de la SQ à la tête du plus important corps policier municipal. Selon lui, Québec aurait plutôt dû choisir un civil.

Le député dit n’avoir aucun reproche à faire à M. Prud’homme, qu’il appuie pleinement comme chef de la SQ. Il craint toutefois que la police provinciale soit vue « par beaucoup trop de monde au SPVM comme un corps de police concurrent, voire rival ».

Le ministre Coiteux s’est défendu de faire une mise sous tutelle du SPVM. Pour lui, l’administration provisoire est une mesure d’exception visant à corriger des problèmes précis et ne touche pas les opérations courantes.

Surtout, tant le ministre que la mairesse Plante ont tenu à assurer que le travail des policiers montréalais n’était pas remis en question.

« Il est très clair que les policiers de Montréal font un excellent travail. »

— Martin Coiteux, ministre de la Sécurité publique

La Fraternité des policiers et des policières de Montréal a d’ailleurs réagi en disant que « des policiers ont sévèrement fait les frais de l’incompétence et des irrégularités de la direction et ont été malmenés par des processus injustifiés ». Dans un communiqué, leur président Yves Francoeur a estimé qu’un « travail colossal » attendait Martin Prud’homme puisque celui-ci devra rapidement produire un plan de redressement.

« Extrêmement préoccupant »

Le ministre a jugé « extrêmement préoccupant » le rapport Bouchard, notamment sur la conduite des enquêtes internes. Une importante partie des recommandations touche d’ailleurs la gestion de celles-ci. Le mandat de Martin Prud’homme précise d’ailleurs qu’il devra restructurer cette division et mettre en place des mécanismes pour assurer un meilleur contrôle de la qualité des enquêtes. Le gouvernement lui demande de veiller à l’application du règlement de discipline interne des policiers.

Le rapport a été rendu public sur le site du ministère de la Sécurité publique. Des informations ont toutefois été caviardées pour éviter de nuire à des enquêtes criminelles en cours. Quelques témoins rencontrés par Michel Bouchard ont également demandé à ce que leur anonymat soit préservé.

Quant aux autres recommandations, notamment celle de renforcer le rôle du Bureau des enquêtes indépendantes, le ministre Coiteux a souligné qu’elles imposaient des modifications législatives qui devront être étudiées par le gouvernement.

À noter, cette enquête administrative se faisait en parallèle d’enquêtes policières d’une équipe mixte pilotée par la Sûreté du Québec. Le ministre Coiteux a d’ailleurs souligné que le volet criminel se poursuit et devrait prendre encore plusieurs mois. Une trentaine de dossiers sont en analyse approfondie.

Pour un chef de police civil

L’opposition à l’hôtel de ville de Montréal a pris acte de la décision de nommer un administrateur externe au SPVM. Son chef par intérim, Lionel Perez, a dit espérer des changements profonds au sein du corps policier afin de « donner un grand coup de barre au SPVM ».

Le parti, qui a dirigé durant quatre ans Montréal sous Denis Coderre, estime que le prochain chef de police doit être un civil plutôt qu’un policier, afin d’éviter la culture de clans. On espère aussi un renforcement des pouvoirs de la Commission de la sécurité publique, devant qui la direction du SPVM doit rendre des comptes. Projet Montréal a d’ailleurs promis en campagne de rendre ces rencontres publiques.

— Avec Daniel Renaud et Martin Croteau, La Presse

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Les réactions

Valérie Plante

Mairesse de Montréal

« Notre service de police est miné depuis plusieurs mois par une crise de confiance. Elle puise ses racines dans un manque de transparence. Je m’étonne que cette situation ait duré si longtemps avant que des sonneurs d’alerte ne fassent bouger les choses. Nous aurons besoin de mécanismes de surveillance plus rigoureux au cours des prochaines années. »

Pascal Bérubé

Député du Parti québécois

« On nous promet un ménage, on ne fait que déstabiliser pour un an la direction de la Sûreté du Québec, et Dieu sait qu’on a besoin de stabilité présentement dans le domaine de la police. C’est une tutelle déguisée. »

Martin Coiteux

Ministre de la Sécurité publique

« Je n’aime pas qu’on prenne ce terme [de tutelle]. Lorsqu’on met une ville sous tutelle, on prend le contrôle de toutes les opérations et ce n’est pas de cela qu’il s’agit aujourd’hui. »

Yves Francoeur

Président de la Fraternité des policiers et des policières de Montréal

« Le SPVM doit être remis sur pied et nous allons y concourir. […] Il était temps que le SPVM s’engage dans un processus pour regagner la confiance du public et des policiers et policières, fortement ébranlée au courant des dernières années. »

Lionel Perez

Chef de l’opposition à Montréal

« Il faut donner un grand coup de barre au SPVM. On pense qu’on est rendu à une étape où le prochain directeur soit un civil, pour éviter qu’il soit dans un clan. »

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