Moins tabou ?
Est-ce tabou, chez les jeunes, de consulter un psychologue ? Moins qu’avant, répondent les intervenants à qui nous avons parlé.
« C’est beaucoup mieux connu. Il y a eu des campagnes de sensibilisation auprès des jeunes et ça a fait œuvre utile, heureusement. »
— Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec
« J’ai fini mon doctorat en 1973. Et oui, il y a beaucoup de changements. […] Globalement, il y a une meilleure distinction entre les différents rôles professionnels qui existent. L’histoire de : “les psychologues, c’est pour les fous”, ça commence à être un peu moins le cas. »
— Richard Cloutier, psychologue et professeur émérite à l’Université Laval
« J’ai posé la question à certains jeunes et ils m’ont dit que, spontanément, ils ne diraient pas qu’ils vont voir un psy, mais que si quelqu’un leur dit qu’il en voit un, ce sera plus facile pour eux de dire qu’eux aussi. »
— La Dre Johanne Renaud, psychiatre et responsable du centre Manuvie de l’Institut Douglas (CIUSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal)
Recours limité
En santé mentale, « les jeunes consultent relativement peu les ressources formelles », constate Monique Bordeleau, coordonnatrice à la Direction des statistiques de la santé à l’Institut de la statistique du Québec et coauteure d’une étude sur le sujet publiée l’an dernier. Selon l’étude, chez les jeunes de 15 à 29 ans ayant un niveau de détresse psychologique élevé, les deux tiers n’ont pas eu recours à un professionnel (médecin, psychologue, travailleur social, infirmière, etc.). Des études ont montré que les jeunes consultaient moins que leurs aînés, mais d’autres, dont celle de Monique Bordeleau, n’ont pas relevé de différence.
10,8 %
Au Canada, 1 jeune de 15 à 17 ans sur 10 a consulté un professionnel relativement à sa santé mentale dans les 12 derniers mois. On parle de 12,3 % chez les 18-24 ans.
Source : Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – santé mentale, 2012
Accès difficile
L’accès à la psychothérapie chez les jeunes demeure difficile, estiment tous les intervenants à qui nous avons parlé. Annoncé en décembre par le gouvernement provincial, le nouveau programme public de psychothérapie sera « petit et étalé dans le temps, avec des prestations très limitées », constate le psychologue Richard Cloutier. « Quand on n’a pas les moyens de payer 100 $, 115 $ l’heure et qu’on est ado, on ne va pas là », résume-t-il. « Et à l’école, avoir accès à un psychologue pour parler de vos problèmes, c’est un bon défi aussi », ajoute M. Cloutier, qui rappelle que l’accès aux psychologues dans les écoles est moins facile qu’avant.
2/3
« Chez les gens qui ont des troubles anxieux ou de la dépression et qui cherchent à avoir un service, on dit qu’environ les deux tiers reçoivent de la psychothérapie ; il y a toujours un tiers qui ne la reçoit pas », indique la psychiatre Johanne Renaud.
L’importance d’intervenir tôt
Pourtant, les jeunes ne perdent rien à consulter un psychologue. Au contraire : « C’est vraiment pour prévenir les conséquences négatives : chronicité, consommation de substances, décrochage scolaire, énumère la Dre Johanne Renaud, qui évoque aussi la question du suicide. Les jeunes qui obtiennent de l’aide ont aussi plus de chances d’avoir le profil scolaire conforme à leurs capacités.
75 %
Les trois quarts des problèmes de santé mentale débuteraient avant l’âge de 25 ans, et 50 % avant l’âge de 14 ans.
Source : « Lifetime Prevalence and Age of Onset Distributions of DSM-IV Disorders in the National Comorbidity Survey Replication », Archives of General Psychiatry
Bons taux de rémission
Et ça fonctionne, la psychothérapie chez les ados ? Oui, assure la Dre Renaud. « Pour certains, ça fonctionne très bien », dit-elle, concédant du même souffle que pour d’autres, ça fonctionne moins bien. Plusieurs facteurs vont jouer dans la réussite du traitement, dont le type de trouble et sa sévérité, mais aussi l’intérêt et la volonté de l’adolescent. « Si les jeunes sont télécommandés et que ce n’est pas leur projet, on oublie ça. Il faut qu’ils y voient un gain », résume Richard Cloutier.
De 60 % à 80 %
Pour les troubles anxieux chez les adolescents, les taux d’amélioration clinique notable varient de 60 % à 80 % avec la psychothérapie cognitivocomportementale.
Source : « Cognitive Behavior Therapy for Anxious Adolescents : Developmental Influences on Treatment Design and Delivery », Clinical Child and Family Psychology Review
De 70 % à 80 %
Dans le traitement de la dépression majeure chez l’adolescent, les taux d’efficacité de la psychothérapie seule varient de 45 % à près de 60 %, selon les études. Ces taux atteignent de 70 % à 80 % en combinant les antidépresseurs et la psychothérapie.
Source : « Comparative Efficacy and Acceptability of Psychotherapies for Depression in Children and Adolescents : A Systematic Review and Network Meta-analysis », World Psychiatry
Jeunes sous pression ?
« La barre est haute ! Les jeunes doivent être beaux, bons en sport, performants, hot socialement… Et avec les réseaux sociaux, c’est facile, comme adolescent, d’avoir l’impression que tu es le seul à avoir des journées un peu merdiques. […] Les jeunes sont peut-être un peu plus seuls qu’avant. Quand les familles étaient nombreuses et tricotées serré, tu avais plus que deux personnes en référence. »
— Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec
« Les exigences que certains jeunes se donnent et qu’on leur donne depuis qu’ils ont 4 ans, qui vont au cours de patin, au cours de ski, au cours de danse… Ça ne touche pas les couches de la société de la même façon, mais la pression éducatrice très forte posée sur les jeunes n’est pas étrangère à la présence des troubles anxieux de performance. Le sentiment de ne pas être à la hauteur des attentes. L’écart entre l’idéal du moi et la réalité n’est pas à la baisse. »
— Richard Cloutier, psychologue et professeur émérite à l’Université Laval
28 %
Plus du quart (28 %) des Québécois de 15 à 24 ans se situent au niveau élevé de l’indice de détresse psychologique. Les jeunes de 15 à 24 ans seraient aussi les plus touchés par la dépression et l’abus de substances.
Source : Institut de la statistique du Québec
Antidépresseurs
Le recours aux antidépresseurs est en hausse chez les adolescents, ce que la Régie de l’assurance maladie attribue notamment au fait qu’on détecte, diagnostique et traite la dépression chez les jeunes plus rapidement qu’avant. La Dre Johanne Renaud, psychiatre, y voit le reflet de meilleures connaissances : « Quand j’ai commencé, il y a 20 ans, on ne parlait même pas de dépression à l’adolescence. C’était une phase », dit-elle. Chez les jeunes dépressifs, surtout lorsque la dépression est de légère à modérée, on débute habituellement avec la psychothérapie seule. « Si la dépression est sévère – la personne ne mange plus, ne dort plus ou dort tout le temps, veut se tuer –, là, il faut combiner la psychothérapie avec la médication. »
64 000
En 2017, plus de 64 000 ordonnances d’antidépresseurs (pour 6528 personnes distinctes) ont été délivrées pour des adolescents de 12 à 18 ans inscrits au régime public d’assurance maladie du Québec. C’est près de quatre fois plus d’ordonnances qu’il y a 15 ans.
Source : Régie de l’assurance maladie du Québec