Opinion  Rémunération des médecins

Nous serons riches

Compte tenu des hausses salariales négociées dans la dernière décennie, quand est-ce que « très bien » devient « trop » ?

Ça y est, ça m’est arrivé. Sans savoir quand ni comment, quelque part dans la dernière année j’ai fini par l’accepter. Je vais être très riche, pas seulement dans sa noble signification élargie, mais aussi dans sa plus brute définition économique et matérielle…

Un peu comme beaucoup de notions médicales, j’avais fini par l’accepter après avoir échoué à le comprendre réellement. Il était devenu normal pour moi qu’un médecin puisse s’attendre à un revenu brut de près de 300 000 $. (Pour 2014 : 264 000 $ pour les médecins de famille et 384 000 $ pour les spécialistes.) Et cette réalisation m’a choquée ; il est facile lorsqu’on s’engage dans l’exigeante formation médicale de décontextualiser ce salaire et de le prendre pour acquis.

Notre ordre professionnel recevra 7 % du budget total provincial, 6,4 milliards pour 19 000 individus. On pourrait diminuer de moitié le salaire des médecins spécialistes qu’ils feraient tout de même partie du fameux 1 % (il est d’environ 180 000 $ au Québec).

Je ne me considère pas comme un extrémiste en croisade contre les riches ou les inégalités, je partage au contraire l’opinion consensuelle qui pense que les médecins devraient être très bien payés. Mais compte tenu des importantes hausses salariales négociées dans la dernière décennie, quand est-ce que « très bien » devient « trop » ? Il est possible d’être riche sans l’être autant.

Nos représentants syndicaux nous ont obtenu de très généreux salaires. Tout en les remerciant (l’argent c’est bien, non ?), il n’est pas interdit de se poser des questions sur la nécessité et les conséquences de ces sommes.

Plus on paye nos médecins chers, moins il est possible d’en engager, moins il est possible d’engager d’autres professionnels de la santé. 

Il est aussi permis de se poser des questions sur le bien-fondé d’un système de répartition des salaires qui valorise trois fois plus le travail des radiologistes que celui des médecins de famille, pour ne nommer qu’un exemple. (Il est en soi dommage de devoir utiliser des exemples particuliers comme ceux-là ; je suis sûr que toutes les spécialités travaillent très fort et méritent une grande reconnaissance.)

Dans les prochains mois, la tempête politique et administrative guette la pratique médicale. Autant avec la loi 10 que la loi 20, le travail des médecins et l’organisation des soins de santé pourraient changer profondément. Comme je m’insurgerai contre les attaques à la qualité des soins, les attaques à la qualité de vie des médecins et le dénigrement de la médecine de famille, je serais ouvert à repenser notre rémunération.

Je suis conscient qu’on ne peut pas comparer directement le salaire des médecins avec celui d’autres professions. Nous avons des frais de pratique (étant des entrepreneurs…), des frais d’assurance et aucun fonds de pension. Mais serait-il justement possible de reconsidérer le paradigme du docteur travailleur-autonome-qui-n’est-surtout-pas-un-employé ? Reconsidérer la rémunération à l’acte ? Reconsidérer le système de poursuites médicales et les assurances dispendieuses qui en découlent ?

Je suis un futur médecin et j’aspire avant tout à être heureux et à avoir une bonne qualité de vie. J’ose croire que c’est un but noble, qui pourrait être atteint plus facilement par plusieurs modifications à nos conditions de pratique, pas nécessairement par une explosion de notre rémunération.

Être médecin est effectivement difficile. Nous avons généralement eu l’admiration et le respect des populations que nous desservons. Il serait dommage qu’on en vienne à minimiser les efforts et les sacrifices que nous faisons en raison de l’énorme reconnaissance financière que nous en récoltons.

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