Élections provinciales Correspondance

Mûrissement du fruit constitutionnel

Pour la durée de la campagne électorale, l’étudiant au doctorat en science politique Félix Mathieu entretient chaque samedi une correspondance intergénérationnelle avec le professeur Gérard Bouchard (écran suivant).

Les fédéralistes ont tort de dire que l’enjeu de la souveraineté est derrière nous. Le partage de la souveraineté demeure effectivement au cœur du fédéralisme. Dans tous les cas, il faut voir à ce que la nation québécoise jouisse d’une égalité des chances réelle en Amérique du Nord.

C’était là le fondement premier de la vision qu’André Laurendeau a popularisée avec honneur et grandeur au cours des années 60. Jusqu’à un certain point, la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes (2017) y fait écho. L’équipe du Secrétariat du Québec aux relations canadiennes et le ministre Jean-Marc Fournier en portent les mérites.

Fédéralisme et reconnaissance

Il est important que le fédéralisme ne soit pas qu’un écran de fumée servant à camoufler un unitarisme Canadian ou un antinationalisme québécois. À cet égard, la politique de 2017 est rafraîchissante. Elle fait la promotion d’une reconfiguration de l’architecture constitutionnelle de la fédération canadienne pour que le Québec puisse pleinement se développer sur les plans politique et culturel. La solution passe par le déploiement d’une structure institutionnelle asymétrique, résultat d’une reconnaissance que la nation québécoise forme une société distincte et que son gouvernement doit être garant de sa pérennité. La logique de ce document est d’autant plus intéressante qu’il présente l’émancipation du Québec et celle des autres partenaires au sein de l’association politique – au premier chef, les peuples autochtones et les francophones hors Québec – comme des projets qui se renforcent mutuellement.

L’ennui, c’est que le gouvernement n’a pas su concrétiser ces idées par une rigoureuse démarche de mise en œuvre. En parler, c’est bien, mais ensuite, il faut agir !

L’enjeu du fédéralisme et de la place qu’occupe le Québec au sein de la fédération est quasiment absent des discours politiques, si ce n’est quelques formules un peu creuses, qui manquent assurément de conviction.

Certes, dans leurs programmes, le PLQ comme la CAQ affirment être favorables à une plus grande autonomie pour le Québec, et juger fondamental que celui-ci soit formellement reconnu dans la Constitution. Toutefois, qu’il nous soit permis de douter des actions qu’ils voudront bien mettre en œuvre pour convaincre que, ça aussi, ça fait partie des « vraies affaires » !

On reprochera sans doute à QS de promouvoir une indépendance campée à gauche, mais c’est actuellement la seule position ferme en la matière. Populariser un rêve et le porter à bout de bras : voilà peut-être ce qui fait défaut au PQ d’aujourd’hui.

Souveraineté et émancipation

Le statu quo est inacceptable. Il revient aux fédéralistes de convaincre les Québécois – et en particulier les jeunes générations – qu’il faut absolument réformer les ressorts d’un régime qui nous a été imposé injustement en 1982. Par ailleurs, une pensée fédéraliste authentique reconnaîtra qu’il est pleinement légitime pour un partenaire insatisfait de quitter la fédération. Le fédéralisme doit être un projet habilitant pour la diversité, pas une « camisole de force ».

La souveraineté d’une nation s’exprime sur plusieurs fronts. Fondamentalement, la souveraineté représente l’idée pour un peuple d’être autonome et de décider de son être et de son devenir politique. Or, le modèle de l’État-nation « un-et-indivisible », homogénéisant, n’apparaît pas comme une solution désirable, ni pour le Québec ni pour le Canada. Notamment, ce modèle est complètement inadapté en vue d’un traitement équitable des peuples autochtones.

L’émancipation des peuples peut se réaliser de différentes manières, et une conception véritablement multinationale du fédéralisme est la voie la plus prometteuse pour le Canada.

Une fois de plus, le Québec pourrait se faire pionnier dans l’avancement des droits et des revendications des peuples minoritaires en travaillant avec acharnement à convaincre ses partenaires canadiens de la pertinence de cette idée. Seul le naïf, toutefois, ne se rendra pas compte qu’il faut un interlocuteur pour dialoguer.

À l’ère des sociétés complexes et des identités citoyennes multiples, faisons preuve de résilience et de persévérance pour imaginer les termes d’une association politique plus hospitalière. Sans doute, le fruit constitutionnel n’est pas encore mûr, faute de « lumières » qui nourrissent le bourgeon. Faire sécession du Canada doit absolument demeurer une option légitime pour les Québécois, mais en faire l’unique porte de sortie d’une situation injuste est déraisonnable et irresponsable.

Si la politique de 2017 voulait « semer le printemps » pour un renouvellement du débat constitutionnel, il est fondamental que le prochain gouvernement redouble d’ardeur et qu’on s’y active véritablement.

Pour l’instant, personne ne voit poindre au loin l’automne de la récolte.

Mais comme le veut l’adage : « Le bœuf est lent, mais la terre est patiente. »

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