Effet de miroir
Le galeriste montréalais Simon Blais avait déjà coordonné la présentation d’œuvres de Marc Séguin, Françoise Sullivan et Michel Goulet dans l’Espace musée Québecor. Il récidive une quatrième fois avec l’exposition Refus global : 70 ans, hommage aux artistes signataires, en 1948, du manifeste qui devait sceller le début d’une prise de conscience dont le cheminement mettrait le Québec sur la voie de sa Révolution tranquille des années 60 et de ses velléités d’indépendance.
« On voulait proposer un regard nouveau sur cette période trouble, mais faste de l’art du Québec de cette époque, dit Simon Blais. Les signataires de Refus global revendiquaient la fin de l’obscurantisme, du conservatisme et du conformisme de la société québécoise à la fin des années 40, en puisant dans toutes les formes d’expression artistique. »
Le galeriste a rassemblé 16 œuvres d’art des peintres automatistes, mais aussi des manuscrits, des lettres et des ouvrages liés à Refus global. Les œuvres proviennent de sa propre collection et de collections privées, notamment celles des héritiers des signataires.
Dans le hall d’entrée de l’édifice Québecor, Simon Blais a fait placer les œuvres de grands formats : le magnifique Océan no 1, immense toile de Françoise Sullivan réalisée en 2005, dans des tons de bleu turquoise et de légers violets. Ainsi qu’une impressionnante huile de Riopelle datant de 1989 (avec ses fameux hiboux) et un Sans titre coloré de Marcelle Ferron.
On retrouve une autre œuvre de Marcelle Ferron dans la petite salle où ont été rassemblés peintures automatistes de la période 1946-1949 et documents d’archives : une petite huile sur panneau, sombre et touffue, qui date de 1947.
Dans cette salle à la scénographie soignée, une encre de couleur sur papier de Marcel Barbeau – Les hauts de Meuse, de 1949, de sa série Combustions originelles –, elle aussi bien tristounette par rapport à ses belles couleurs ultérieures, côtoie des aquarelles de Françoise Riopelle et de Pierre Gauvreau, un petit Riopelle de 1946, mi-figuratif mi-abstrait, et une nature morte de Madeleine Arbour.
Simon Blais a aussi placé sous vitrine des archives précieuses qui permettent de se replonger dans les préoccupations profondes des signataires de Refus global. Avec des extraits des contributions intellectuelles de Bruno Cormier, Claude Gauvreau ou Fernand Leduc.
Dans Qu’on le veuille ou non, un texte de Leduc, on retrouve ces mots : « Notre justification : le désir, notre méthode : l’amour, notre état : le vertige. »
Des citations du manifeste ont été reproduites en gros caractères dans le couloir qui mène à la petite salle d’exposition. Les photos des 16 signataires y apparaissent sur un mur en sus de leur biographie résumée. On peut aussi consulter sur place divers ouvrages, notamment le texte du manifeste.
L’expo présente des photographies des signataires prises par Maurice Perron, ainsi que des images et des notes de Françoise Sullivan sur ses chorégraphies. Une publication accompagne l’évènement. Elle résume la carrière des artistes de Refus global et replace la diffusion du manifeste dans le contexte de l’époque.
Un contexte très différent d’aujourd’hui, évidemment, qui a suscité, mardi, lors du vernissage, une réflexion chez Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor et ex-chef du Parti québécois, lors du vernissage.
« Avec Refus global, il y a eu une espèce de césure qui a, par la suite, mené à ce que les Canadiens français deviennent des Québécois, a dit M. Péladeau à La Presse. Refus global, c’était un peu les prémices de ça. Alors que lundi dernier, les commentateurs politiques ont précisé que c’était la première [campagne électorale] au Québec depuis les 50 dernières années durant laquelle la question de l’indépendance n’a pas été au centre des débats. »
M. Péladeau ne va pas jusqu’à dire que les Québécois sont redevenus des Canadiens français. L’effet de miroir 1948-2018 ne correspond pas à un retour en arrière au Québec, selon lui. Mais voici en tout cas une exposition qui tombe à pic pour apprécier l’évolution sociétale du Québec, de Refus global à nos jours.
Refus gobal : 70 ans, à l’Espace musée Québecor (612, rue Saint-Jacques, Montréal), jusqu’au 9 janvier.
Les 16 signataires de Refus global : Paul-Émile Borduas, Madeleine Arbour, Marcel Barbeau, Muriel Guilbault, Pierre Gauvreau, Claude Gauvreau, Louise Renaud, Fernand Leduc, Thérèse Renaud-Leduc, Jean-Paul Riopelle, Françoise Riopelle, Jean-Paul Mousseau, Marcelle Ferron, Françoise Sullivan, Bruno Cormier, Maurice Perron.