Chronique

Le Québec coincé par ses impôts

Le Québec est la nation dans le monde qui dépend le plus de l’impôt sur le revenu des particuliers pour financer ses services publics. La question a déjà été abordée sous différents angles, mais ce dur rappel à la réalité frappe, surtout dans le contexte actuel.

Celui qui porte ce message n’est ni un économiste de droite ni un libertarien. Le pragmatique Luc Godbout, professeur à l’Université de Sherbrooke, est reconnu pour être plutôt au centre. Il cite même Paul Krugman pour étayer sa démonstration, cet économiste américain de gauche qui pourfend les dérives de la finance.

Luc Godbout a de nouveau présenté ses constats sur le sujet jeudi dernier, au congrès de l’Association des économistes québécois (ASDEQ), à Québec. Sa démonstration est limpide.

Au Québec, l’impôt sur le revenu des particuliers équivaut à 13,5 % de notre produit intérieur brut (PIB), soit 13,5 % de la valeur totale de ce que nous produisons chaque année. Vu sous cet angle, le Québec se classe troisième au monde, derrière l’exceptionnel Danemark (27,7 %) et la minuscule Islande (13,8 %), mais devant la Suède (12,2 %), les États-Unis (9,9 %) et même la France (8,4 %). Le reste du Canada est à 10,8 %.

Si les Québécois étaient imposés comme les Ontariens, ils paieraient 6,5 milliards d’impôts sur le revenu de moins. C’est beaucoup d’argent.

D’autres pays ont une fiscalité aussi lourde que le Québec, cela dit, mais ils s’en remettent davantage à d’autres outils fiscaux pour financer leurs services publics, comme les taxes de vente et les tarifs.

À ce sujet, Luc Godbout a justement mesuré la part de nos recettes qui sont prélevées en taxes de vente et en impôts sur le revenu des particuliers (fédéral et provincial combinés), entre autres.

Ce faisant, il a constaté que notre dépendance à l’impôt sur le revenu était la plus importante chez les nations développées. Dit autrement, on passe du troisième rang au premier.

Sachant que l’impôt sur le revenu des particuliers est l’un des plus dommageables pour l’économie et la création de la richesse, selon diverses études, le poids disproportionné du Québec à ce chapitre peut expliquer en partie pourquoi notre économie n’avance pas aussi vite qu’ailleurs.

Malheureusement, le vieillissement de la population ne risque pas d’arranger les choses, avertit Luc Godbout. De fait, la croissance économique subira les contrecoups du retrait des baby-boomers du marché du travail, selon la vaste majorité des études.

Les chiffres sont éloquents. Luc Godbout estime que le nombre de personnes de 15 à 64 ans – ceux qui travaillent le plus – diminuera de 2 % d’ici 15 ans, ce qui équivaut à 96 000 personnes. Pendant ce temps, le bassin des 65 ans et plus augmentera de… 829 000 (57 %).

Cette tendance explique pourquoi les décideurs cherchent des façons d’inciter les travailleurs âgés à prolonger leur carrière. Or, les lourds impôts sur le revenu sont la pire façon d’y parvenir, puisqu’ils ont au contraire pour effet de décourager les gens de travailler davantage.

Luc Godbout tape donc à nouveau sur le même clou.

Il milite pour un transfert d’une partie de l’impôt sur le revenu vers les taxes à la consommation, comme le proposait le comité qu’il a présidé et qui a déposé son rapport l’an dernier sur le sujet.

Après avoir dit oui, le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitao, a changé son fusil d’épaule. Dans les couloirs du congrès de l’ASDEQ, toutefois, certains affirment qu’il s’agit d’un report plutôt que d’une fin de non-recevoir. Entre autres, on pouvait craindre qu’un gouvernement Trudeau n’augmente de son côté la TPS, ce qui aurait laissé le Québec Gros-Jean comme devant.

Au terme de sa présentation, un congressiste a demandé à Luc Godbout s’il ne craignait pas qu’une hausse de notre taxe de vente ne rende nos commerçants moins concurrentiels par rapport à nos voisins, ce qui nuirait à notre économie.

L’économiste a répondu qu’en Europe, des pays limitrophes avaient des écarts de taxe de vente (TVA) allant jusqu’à quatre points de pourcentage, sans trop d’effets. De plus, les provinces atlantiques ont maintenant toutes des taxes de vente qui avoisinent les 15 %, comme au Québec. Ne reste plus que l’Ontario à emboîter le pas.

Le professeur de l’Université de Montréal Alain Noël a fait valoir, par contre, que les taxes de vente étaient bien souvent comprises dans les prix en Europe, ce qui pourrait expliquer les effets apparemment neutres. À ce sujet, Luc Godbout a rappelé que l’affichage des taxes de vente (notamment la TPS) au Canada a été une décision politique des conservateurs. Et un politicien qui voudrait aujourd’hui « cacher » la taxe dans les prix serait bien mal vu…

Oui, mais les taxes de vente sont régressives, disent certains, dans la mesure où elles sont plus difficiles à assumer pour les moins nantis. Paul Krugman : « La progressivité des taxes n’est pas l’aspect le plus important. Les pays nordiques dépendent beaucoup de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), qui est une taxe régressive, mais ils se servent des recettes pour assurer un solide filet social, ce qui est plus important. »

Quoi qu’il en soit, l’une des décisions politiques les plus difficiles de la réforme proposée par le comité Godbout concerne le ménage des dépenses fiscales dont profitent certains groupes munis de lobbyistes. La réforme retirerait 2,3 milliards à ces contribuables choyés (la moitié venant des entreprises) pour baisser les impôts de tous.

Bref, le prochain qui militera pour une hausse des impôts sur le revenu des particuliers au Québec est attendu de pied ferme…

Fiscalité

Qui est Luc Godbout ?

Luc Godbout est directeur du département de fiscalité de l’Université de Sherbrooke et chercheur à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques du même établissement. En 2015, il a présidé la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise chargée d’analyser la fiscalité de la province et d’en proposer la réforme. Au début des années 2000, Luc Godbout a notamment été membre du secrétariat de la Commission sur le déséquilibre fiscal au ministère des Finances, avant de devenir professeur à l’Université de Sherbrooke, puis directeur de département.

— Audrey Ruel-Manseau

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