Isolé sur la scène internationale, poussé dans ses derniers retranchements dans son propre pays, le président du Venezuela, Nicolás Maduro, vit possiblement les derniers moments de son règne.
Hier, le président du Parlement du Venezuela, l’opposant Juan Guaidó, s’est proclamé « président en exercice » du pays devant des milliers de partisans rassemblés à Caracas.
Parallèlement, des dizaines de milliers de Vénézuéliens continuaient à manifester dans la capitale, y compris dans les quartiers populaires où le régime actuel obtenait traditionnellement ses appuis les plus solides. Les protestataires demandaient à Nicolás Maduro d’abandonner le pouvoir et à l’armée de cesser de le soutenir.
La suite des choses dépend justement, en grande partie, de la réaction de l’armée, qui, au moment d’écrire ces lignes, n’avait pas lancé de vaste opération de répression. Et qui a aussi commencé à montrer des signes de scission au cours des derniers jours. Lundi, par exemple, 27 militaires s’étaient retranchés dans une caserne de la capitale, appelant la population à se rebeller contre le régime Maduro. Cet acte de sédition a vite été étouffé.
Mais selon Graciela Ducatenzeiler, spécialiste de l’Amérique latine au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, de nombreux militaires ont fait défection au cours des derniers mois, certains fuyant le pays, comme l’ont fait 3 millions de Vénézuéliens depuis deux ans.
L’armée a toutefois rejeté l’autoproclamation de Juan Guaidó, selon un tweet du ministre de la Défense, Vladimir Padrino.
« Nous, soldats de la patrie, nous n’acceptons pas un président imposé à l’ombre d’intérêts obscurs ni autoproclamé en marge de la loi. L’armée défend notre Constitution et est garante de la souveraineté nationale. »
— Vladimir Padrino, ministre de la Défense
Aux yeux de Graciela Ducatenzeiler, il n’en reste pas moins que le régime de Nicolás Maduro, qui a été élu président en 2013 par une faible marge à la suite de la mort du dirigeant charismatique Hugo Chávez, et dont la réélection, en mai 2018, était considérée comme invalide par l’opposition, est bel et bien sur la voie de sortie.
« Reste à savoir si ça se terminera pacifiquement ou dans le sang », tranche-t-elle. Car même si l’armée devait se retourner contre lui, en protégeant les manifestants, par exemple, Nicolás Maduro peut encore compter sur l’appui de nombreuses milices qui agissent en son nom.
« Aujourd’hui, 23 janvier 2019, je jure d’assumer officiellement les pouvoirs exécutifs nationaux comme président en exercice du Venezuela », a déclaré solennellement Juan Guaidó, politicien jeune et peu connu jusqu’à hier, qui s’est aussi engagé à mener le pays dans une transition vers la démocratie.
Il a ensuite demandé à ses compatriotes de s’engager à lutter jusqu’à ce qu’ils « retrouvent la liberté ». Tout en avertissant ses partisans de se préparer à un dur combat.
Appuis internationaux
Juan Guaidó a été immédiatement reconnu par Washington et par le Groupe de Lima, qui comprend le Canada et dix autres pays latino-américains, dont le Brésil, la Colombie et le Pérou. Ottawa a déclaré hier que les souffrances des Vénézuéliens ne feraient qu’empirer si Nicolás Maduro continuait de s’accrocher au pouvoir.
Le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), Luis Almagro, a aussi félicité Juan Guaidó.« Il a toute notre reconnaissance pour insuffler le retour de la démocratie dans ce pays », a-t-il écrit dans un message sur Twitter.
La réponse du président Donald Trump a été si immédiate qu’il est presque certain qu’il s’attendait à ce dénouement, croit Sébastien Dubé, professeur de sciences politiques à l’Université Del Norte, à Barranquilla, en Colombie.
D’autres signaux, notamment un message de cinq pays européens appelant au « dialogue interne au Venezuela », laissent deviner que l’opposition vénézuélienne avait bien préparé le terrain et que les évènements des derniers jours étaient prévisibles, analyse Sébastien Dubé.
La manœuvre d’hier équivaut à un « coup d’État constitutionnel contre un dirigeant jugé illégitime », résume-t-il.
Arrivé à la présidence en 2013, Nicolás Maduro a été réélu en mai, lors d’un scrutin largement contesté. La vague de contestation a commencé à se manifester il y a deux semaines, alors que le dauphin de Hugo Chávez venait de prêter serment pour un nouveau mandat de six ans.
Depuis son accession au pouvoir, le Venezuela, pays qui détient les plus riches réserves de pétrole de la planète, s’est enfoncé dans une grave crise économique. L’hyperinflation, les pénuries de denrées essentielles et les services publics en ruine ont poussé 3 millions de Vénézuéliens à l’exil – mettant de la pression sur les pays voisins. Parallèlement, le régime a serré la vis aux opposants et certains d’entre eux ont été arrêtés et emprisonnés.
Vent de fraîcheur
À 35 ans, Juan Guaidó n’était pas une figure d’opposition de premier plan. Il est apparu sur le radar politique le 5 janvier dernier, quand il a accédé à la présidence de l’Assemblée nationale. Mais ce manque de notoriété lui a permis d’unir derrière lui une opposition traditionnellement divisée.
« Les Vénézuéliens qui m’écrivent voient en Guaidó un politicien crédible, qui a les mains propres et apporte un vent de fraîcheur », souligne Graciela Ducatenzeiler.
Les débuts du jeune opposant en politique datent de 2007, année des manifestations étudiantes contre l’ex-président Hugo Chávez, qui a été emporté par un cancer en mars 2013.
Hier, le Venezuela retenait son souffle, alors que des altercations sporadiques opposaient les forces de l’ordre aux manifestants.
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Nombre de personnes tuées en deux jours dans le cadre des manifestations, selon l’Observatoire vénézuélien des conflits sociaux
Tandis que les « astres étaient alignés pour isoler le régime de Nicolás Maduro », différents scénarios restaient possibles, selon Sébastien Dubé. Son régime pouvait céder sous la pression. Mais il pouvait resurgir avec une nouvelle vague répressive, ou encore essayer de gagner du temps en déclenchant de nouvelles élections.
L’attitude de l’armée restait le facteur déterminant pour prévoir la suite des évènements.
— Avec l'Agence France-Presse et La Presse canadienne
« Dehors ! » Maduro rompt les relations avec les États-Unis
Le président du Venezuela, Nicolás Maduro, a annoncé hier que son pays rompait ses relations diplomatiques avec les États-Unis, après la reconnaissance par Donald Trump du chef de l’opposition Juan Guaidó comme président par intérim. « J’ai décidé de rompre les relations diplomatiques et politiques avec le gouvernement impérialiste des États-Unis. Dehors ! Qu’ils s’en aillent du Venezuela, ici il y a de la dignité, voyons ! », a déclaré Nicolás Maduro, qui a donné 72 heures aux représentants diplomatiques nord-américains pour quitter le pays. Nicolás Maduro n’a pas l’autorité pour rompre les relations diplomatiques du Venezuela avec les États-Unis, a riposté hier le département d’État dans un communiqué. — Agence France-Presse