Environnement

Secouer l’inertie de nos comportements

Pourquoi les Québécois tardent-ils à réduire de façon draconienne leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), malgré les alertes répétées du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et des experts sur l’urgence climatique ? Soyons francs : nous, les individus, sommes les principaux responsables de ces GES, bien plus que les entreprises ou le gouvernement. D’un point de vue économique, au moins trois raisons expliquent cette inertie des comportements.

D’abord, l’urgence climatique n’est qu’un élément parmi tant d’autres influençant nos choix individuels. Lorsqu’une personne envisage l’achat d’un véhicule, un voyage, ou toute autre action émettant beaucoup de GES, elle compare son appréciation des avantages (caractéristiques, revenu gagné, agrément, etc.) avec les coûts (prix, temps, GES émis, etc.), puis va de l’avant lorsque les premiers surpassent les seconds. Par exemple, le Québécois moyen sait que son VUS nuit à l’environnement, mais aussi que son véhicule performe bien en hiver et réduit de façon importante les coûts liés aux nids-de-poule – beaucoup plus immédiats que ceux des GES. Tant que les prix des produits n’incluront pas les coûts complets des GES émis, peu de gens feront de réels efforts pour minimiser leurs émissions.

Deuxièmement, nos biais et carences cognitives rendent difficile l’appréciation de l’impact durable de nos comportements au jour le jour.

L’humain moyen préfère nettement le court terme au futur lointain, dont il a une perception floue et incertaine. Sauf exception rarissime, il lui est pratiquement impossible de comprendre la portée globale (donc, le dommage à long terme) de ses petits gestes du quotidien. Une solution parmi d’autres : une étiquette sur chaque bien indiquant les GES émis pour le produire et générés par son utilisation.

Enfin, notre vie est gouvernée par des habitudes et des contraintes difficiles à changer du jour au lendemain. Par exemple, toute personne utilisant une automobile conventionnelle devrait transitionner vers un mode de transport carboneutre dès que possible, sinon minimiser ses déplacements et compenser ses émissions par des crédits carbone. À quelle vitesse ces virages majeurs peuvent-ils être effectués de façon réaliste, surtout sans incitation massive venant de l’État ? Du reste, les options technologiques « nettes zéro » demeurent limitées ou carrément inexistantes pour plusieurs domaines d’activité humaine.

Pour réduire les émissions de GES, il existe deux façons principales et réalistes : réduire la consommation d’énergie par dollar de production économique et, surtout, éliminer les GES nets émis par unité d’énergie consommée.

En ce qui concerne les individus, l’approche logique consiste à favoriser (fortement) l’adoption de technologies propres, tant par des incitations positives pour celles-ci que d’autres négatives pour celles émettant beaucoup de GES. Si le gouvernement doit être le maître d’œuvre des mesures fiscales et autres initiatives mises en place à ces fins, les entreprises doivent aussi contribuer à inciter l’adoption des comportements et des technologies menant vers une économie carboneutre.

Cependant, une seconde approche est aussi requise, plus subtile, mais néanmoins fondamentale : minimiser les freins à l’adoption de ces technologies propres. Un exemple : au début des années 1900, les véhicules électriques existaient déjà aux États-Unis. Toutefois, deux décennies plus tard, ils avaient pratiquement disparu en raison d’un manque d’infrastructure de recharge⁠1. Sans investissement considérable pour bonifier l’offre des bornes de recharge, plusieurs demeureront réticents à se départir de leur moteur à essence. Vu l’urgence de transitionner nos économies et nos vies en mode « net zéro », ne laissons pas l’histoire se répéter tristement.

1. The role of energy infrastructure in shaping early adoption of electric and gasoline cars, J. Taalbi et H. Nielsen, Nature Energy, 6, 2021, pp. 970–976

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