Conférence New Cities Summit

Un sommet urbain et international

Mine de rien, Montréal a accueilli un nouveau siège social, ces derniers mois, celui du bureau principal de la New Cities Foundation. Organisation sans but lucratif, la fondation regroupe différents acteurs de la ville, des associations, des entreprises, des universités dans le but de favoriser l’innovation et l’entrepreneuriat dans les villes. Le principal mandat de la fondation est l’organisation annuelle d’un sommet dont la cinquième édition s’ouvre aujourd’hui, au Hyatt Regency de Montréal. Quelque 500 acteurs et experts internationaux s’y réuniront pour discuter des technologies urbaines.

Conférence New Cities Summit Chronique

Les villes détrônent les nations

Depuis la construction du Musée juif de Berlin, Daniel Libeskind fait partie de cette constellation de starchitectes dont les projets sont attendus partout sur la planète. Celui qui a signé le plan de Ground Zero à New York ainsi que le « cristal » du Musée royal de l’Ontario sera de passage à Montréal demain, dans le cadre du New Cities Summit. François Cardinal s’est entretenu avec cet observateur averti des villes.

La tenue du New Cities Summit à Montréal à compter d’aujourd’hui prouve l’importance qu’ont prise les villes. Elles innovent, attirent des entreprises, s’occupent d’immigration, se portent au secours du climat. Nous parlons de mondialisation, mais ironiquement, les villes semblent plus proactives que les nations, non ?

Oui. Les maires ont un énorme avantage sur les gouvernements supérieurs : ils ont un impact immédiat sur leur environnement et sur la nature de leur ville, alors que les nations sont enlisées dans la bureaucratie. Ce n’est donc pas un hasard si nous voyons aujourd’hui les villes émerger de manière impressionnante.

Le phénomène est nouveau, mais en même temps, il fait écho à l’histoire. Nous revenons à l’ère où les villes jouaient un plus grand rôle que les nations.

Dans un contexte où les villes doivent échanger, créer des partenariats, comment une ville de taille moyenne comme Montréal peut-elle tirer son épingle du jeu ?

Ce n’est pas la taille qui fait une grande ville : pas besoin d’être une mégapole de 40 millions de personnes pour prendre sa place. Regardez l’Italie : la capitale, Rome, est importante, mais Florence l’est aussi, Milan, Venise. Regardez les États-Unis : New York est dynamique, mais des villes de taille plus modeste, même des villes qui ont longtemps été peu attrayantes, reviennent en force par leur diversité, leur créativité. Je pense spontanément à Pittsburgh et à Newark.

Je pourrais d’ailleurs ajouter Montréal, qui est un excellent exemple. C’est une très belle ville qui a connu des hauts et des bas. Une ville qui émerge aujourd’hui comme un leader en raison de ses multiples avantages : sa beauté, mais aussi sa culture, son identité, son ambition. C’est une ville attirante pour les touristes, mais aussi pour les gens qui souhaitent s’y installer. J’ai souvent visité Montréal, que j’adore !

Et l’architecture, elle a une importance pour les villes qui veulent se distinguer ?

Elle est primordiale ! La première arme des villes qui se livrent une compétition est l’architecture. Elles ont réalisé que de bâtir plus de la même chose ne les aidera pas. Au contraire, l’architecture est une carte de visite, c’est ce qui exprime leurs aspirations, leurs ambitions, leur savoir-faire.

Nous jugeons les villes, aujourd’hui, par la qualité de leur architecture et du bien-être des citoyens : comment sont les rues et les quartiers, comment est l’offre de logements, comment il est agréable de marcher. Voilà tout ce qui constitue une ville attractive.

Et la présence d’œuvres signées par des starchitectes, est-ce vraiment important ?

Je ne sais pas si « starchitecte » est le mot juste. L’important est de pouvoir compter sur des architectes passionnés, talentueux, capables non pas de redessiner des bâtiments vus ailleurs, mais plutôt d’offrir une touche originale à la ville.

Il ne faut pas oublier que l’architecture est un art, c’est un art civique qui doit inspirer le public. Ce n’est pas juste une « business ». On voit d’ailleurs l’effet des nouveaux bâtiments dans les villes en émergence. On peut même parler de renaissance pour certaines villes qui connaissent une transformation par l’architecture, précisément.

J’arrive de Copenhague, une ville qui possède une réelle culture d’architecture. Tout le monde peut nommer au moins une demi-douzaine d’architectes. Comment insuffler une telle culture à une ville ?

Il faut d’abord cesser de voir l’architecture par la seule lorgnette de l’argent… En Amérique du Nord, nous voyons hélas l’architecture comme une « business », alors que c’est là où les gens vivent, c’est l’environnement qui les entoure, c’est ce qu’ils croisent tous les jours.

Au Danemark, au contraire, l’architecture fait partie de la vie, comme en Allemagne ou en Italie. Vous trouvez des nouvelles sur l’architecture en première page des journaux, on en parle à la télé, à la radio.

Je travaille actuellement sur un projet qui s’appelle Citylife, à Milan. Ce projet est, d’abord et avant tout, une discussion avec le grand public : comment on veut changer la silhouette de la ville, quelle densité permettre, comment aborder la durabilité, quelle place pour les parcs, les équipements publics, le logement abordable.

Eh bien, c’est justement par des projets comme ceux-là, par la conversation, par la consultation qu’on sensibilise les gens à l’importance de l’architecture. Bien plus qu’en parlant d’argent.

L’architecture est l’art du quotidien, celui que l’on croise tous les jours sans avoir à visiter de musée… sans vouloir froisser l’expert en musées que vous êtes !

Tout à fait. Je ne serais pas surpris que, dans un proche avenir, on en vienne à considérer l’architecture comme une composante de la santé publique. Si vous vivez dans une ville laide, si vous vivez dans une pièce avec une petite fenêtre qui mène à un mur aveugle, cela a un impact énorme sur votre santé mentale, psychologique et physique.

Or nous avons négligé cet aspect de l’architecture, nous avons escamoté tout l’impact de l’aménagement des bâtiments et des villes sur la santé des gens.

L’architecture est un art civique, un art qui doit amener des émotions et des expériences, qui doit miser à la fois sur la beauté et la fonctionnalité. Elle peut te faire vivre des choses uniques, elle peut t’offrir plus qu’un livre ou un concert. Il n’y a pas que la galerie d’art et le spectacle qui peuvent t’inspirer, il y a la ville, qui est devant toi, derrière toi, tout autour. C’est ce que tu vois tous les jours. De cette manière, l’architecture nous aide à devenir de meilleurs êtres humains.

Et après tout, voilà pourquoi nous allons en ville, pour devenir meilleurs, pour apprendre, pour vivre de nouvelles expériences. Sinon, on n’a qu’à rester chez soi et à regarder la télé toute la journée !

Et que devrait faire une ville comme Montréal pour se distinguer ?

Les grandes villes sont celles qui prennent des risques, qui osent. Ce n’est pas le business as usual qui propulse une ville, c’est le pas courageux qu’elles osent prendre, celui qui n’est pas prévisible. Le mantra des grandes villes, c’est de faire des choses que l’on n’aurait jamais pensé qu’elles feraient.

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