Science

Des cochons « semi-vivants » défient notre définition de la mort

Des cerveaux de cochons décapités ont été partiellement ramenés à la vie par une équipe de chercheurs internationaux. Et personne ne s’entend sur ce que cette expérience signifie réellement pour des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, sans parler des questions pratiques comme la recherche et le don d’organes.

« C’est une expérience qui nous force à nous questionner sur des choses aussi fondamentales que ce qu’est la vie et ce qu’est la mort. C’est super intéressant pour un paquet de raisons. »

Bryn Williams-Jones, professeur et expert en bioéthique de l’Université de Montréal, fait partie de ceux qui ont suivi avec fascination le dévoilement cette semaine d’une expérience qui a fait grand bruit. Un groupe de chercheurs internationaux est parvenu à faire revivre en partie le cerveau de cochons dont la tête avait été coupée quatre heures plus tôt.

Les détails de l’expérience ont un côté morbide. Les chercheurs ont recueilli 32 têtes de porcs dans un abattoir commercial qui tue les animaux pour leur viande, puis les ont apportées au laboratoire. Ils ont ensuite scié les crânes pour en extraire les cerveaux. Puis, avec un système de pompes et de tuyaux baptisé BrainEx, ils ont irrigué le cerveau pendant six heures avec une solution qui, comme le sang, contient des nutriments et de l’oxygène.

Résultat : quatre heures après la décapitation des porcs, certaines cellules des cerveaux se sont mises à revivre. Ces cellules ont recommencé à consommer du sucre et à produire du CO2, ont montré une activité électrique individuelle et ont même réagi à certains médicaments. Les résultats ont été publiés mercredi dans la prestigieuse revue Nature.

Pas de conscience

Les cerveaux des porcs n’ont toutefois pas montré d’activité électrique coordonnée se propageant de neurone en neurone et qui aurait pu signifier que les porcs avaient une conscience. Il faut dire que les chercheurs avaient ajouté dans la solution des molécules destinées à bloquer les signaux nerveux, faisant le pari que les cellules avaient une plus grande probabilité de voir leur métabolisme repartir si elles n’étaient pas impliquées dans la transmission de signaux.

Les scientifiques, de toute façon, avaient tracé leur ligne éthique à cet endroit. Si les cerveaux des porcs, malgré les bloqueurs, avaient présenté une activité électrique coordonnée, les chercheurs auraient arrêté cette activité avec des médicaments et en refroidissant les cerveaux.

« C’est une démonstration de sensibilité éthique très forte. Ces gens ne sont pas des cow-boys. Ils avancent à petits pas, se fixent des balises et intègrent les aspects éthiques aux aspects scientifiques. »

— Le bioéthicien Bryn Williams-Jones

Serait-il possible de ramener une réelle activité électrique dans un cerveau mort ? Nenad Sestan, chercheur et médecin de l’Université Yale qui a dirigé les travaux, avoue ne pas le savoir.

« Nous avons seulement volé sur quelques centaines de mètres. Mais est-ce qu’on peut réellement s’envoler ? », a-t-il dit dans un article de presse publié par la revue Nature.

Une chercheuse peu impressionnée

Jeanne Teitelbaum, professeure à l’Université McGill et directrice du programme des soins neurointensifs de l’Institut et hôpital neurologique de Montréal, se montre moins impressionnée que d’autres par la découverte publiée dans Nature.

« Ce n’est pas une surprise pour moi. On savait déjà qu’au moment de déclarer la mort cérébrale, il y a encore plein de cellules qui ne sont pas complètement mortes », dit-elle.

Selon elle, la découverte ne remet pas en question la notion de mort cérébrale, définie comme la perte « irréversible » des fonctions cérébrales.

« On n’a jamais cherché une mort qui visait toutes les cellules. Même si certaines cellules ne sont pas complètement mortes, la capacité cérébrale holistique, celle de recevoir des signaux, de les interpréter, d’y réagir, est perdue à jamais. Et c’est ça qui compte. »

— La Dre Jeanne Teitelbaum

Selon elle, même si de nouveaux outils permettaient un jour de ramener à la vie des cerveaux malades, la définition de mort cérébrale ne serait pas touchée. On aurait simplement à faire plus de tests pour s’assurer que la perte de la fonction cérébrale est irréversible avant de déclarer la mort.

Don d’organes

Dans un commentaire accompagnant l’article de Nature, les bioéthiciens américains Stuart Youngner et Insoo Hyun disent croire que la nouvelle découverte risque de bouleverser les procédures entourant le don d’organes. Des patients qu’on déclare morts avec les protocoles actuels pourraient devenir des candidats pour la « ressuscitation du cerveau » plutôt que pour le don d’organes, écrivent-ils en substance. Cela pourrait réduire le nombre d’organes disponibles.

Les résultats publiés cette semaine pourraient aussi ouvrir de nouvelles avenues de recherche. Ces cerveaux « semi-vivants » pourraient représenter des bancs d’essai inédits pour mieux comprendre le cerveau, tenter de cerner ce qu’est la conscience ou, plus simplement, tester l’effet de nouveaux médicaments.

« Ça, c’est fascinant. Ce n’est pas pour tout de suite, mais on va pouvoir apprendre beaucoup de choses sur ces cerveaux-là », affirme Jeanne Teitelbaum. Selon elle, on en viendra aussi peut-être un jour à pouvoir maintenir un cerveau en vie dans un corps qui vient de flancher.

« Lors d’une attaque sévère du cœur ou des poumons, peut-être qu’on pourra garder le cerveau en vie le temps de trouver d’autres organes – ou un corps robot ! illustre-t-elle. C’est le début de la science-fiction, et ce n’est peut-être pas si loin qu’on le pense. »

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