PIRATAGE
Le piratage n’épargne pas les livres québécois
La Presse
Hier le photocopieur, aujourd’hui le pilleur 2.0. Avec la multiplication des tablettes, liseuses et autres supports de lecture numérique, le monde de l’édition est aux prises avec un véritable chamboulement, pour le meilleur et pour le pire. Le pire étant… le piratage, dont a tant souffert l’industrie du disque.
Les vedettes internationales de la plume en sont-elles les uniques victimes ? Détrompez-vous. En écumant le fabuleux monde du web,
a constaté qu’un grand nombre d’œuvres d’écrivains québécois peuvent être téléchargées dans la plus parfaite illégalité.Au fil de nos recherches, nous avons ainsi détecté des titres issus d’un large éventail de maisons d’édition locales, des plus importantes aux plus modestes. La plupart semblent être des fichiers numériques originaux dont la protection a été désactivée.
Œuvres classiques, premiers romans, nouveautés… les pirates ne font pas de quartier. Parfois, des dossiers compressés contenant plus d’une centaine de livres ont été constitués.
Bref, un véritable braquage.
Évidemment, l’existence de ces fichiers hors-la-loi n’a pas échappé au radar des maisons d’édition, qui les traquent.
À Québec Amérique, par exemple, une « veille internet » a été mise en place et deux avocats ont, en marge de leurs tâches courantes, le mandat d’envoyer avis et mises en demeure aux propriétaires des sites qui hébergent les livres piratés. Un travail de moine puisque les fichiers réapparaissent régulièrement.
Les éditeurs que nous avons joints sont incapables d’évaluer l’impact du piratage sur leurs affaires. Chez HMH, on indique simplement qu’il n’y a pas eu d’effondrement.
« Les ventes de livres numériques vont bien et ont progressé, même si elles ont atteint un plateau dernièrement », note également Caroline Fortin, directrice générale de Québec Amérique. Signe que ces pratiques n’auraient pas encore miné le milieu, même si l’on reste sur ses gardes : plusieurs éditeurs se montrent réticents à distribuer des exemplaires de presse en format numérique. Leméac n’en vend tout bonnement pas à ses lecteurs; sa directrice générale, Lise Bergevin, juge que les outils de protection du droit d'auteur sont insuffisants.
« On ne va pas se raconter d’histoires, il est temps de sonner l’alarme, lance Richard Prieur, directeur général de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL). Le marché du livre numérique démarre, au Québec, il n’y pas d’incidence majeure actuellement, mais avec la multiplication des tablettes, il va y avoir une pression. »
« Plus l’offre de livres numériques sera grande, plus le problème va se poser, et ce, dans un avenir rapproché. »
—Richard Prieur, directeur général de l’Association nationale des éditeurs de livres
L’ANEL s’est dotée d’un comité numérique qui assure un suivi et des actions pour contrecarrer le phénomène. « Là où cela risque de faire mal, c’est sur les best-sellers », pressent M. Prieur.
Malgré tout, certains nuancent les sombres perspectives, en raison notamment des caractéristiques propres au monde du livre. « L’offre de livres gratuits a toujours existé, grâce aux bibliothèques. La plupart des nouveautés sont aujourd’hui accessibles en format numérique à la BaNQ », rappelle Arnaud Foulon, vice-président, éditions et opérations du groupe HMH.
De plus, l’acte de consommation du livre est plus complexe, selon le directeur de l’ANEL. Il requiert plus d’engagement que l’écoute d’un morceau de musique. « Les lecteurs, de façon générale, sont mieux instruits et sensibilisés par rapport au droit d’auteur. Cela joue en notre faveur », avance-t-il.
Suffisamment pour échapper aux dégâts essuyés par l’industrie de la musique ? Réponse dans les prochains chapitres de l’ère numérique.