Opinion : Turquie

La très courte victoire du président Erdogan

Le président Recep Erdogan a remporté, de justesse, le référendum constitutionnel instaurant un régime présidentiel fort en Turquie. Au pouvoir depuis 2002, Erdogan achève ainsi de remodeler les institutions de son pays pour les mettre au service d’une ambition personnelle. La route est-elle pour autant ouverte vers la dictature ?

L’enjeu de la consultation référendaire de dimanche était de taille. Les électeurs devaient se prononcer sur des modifications à la Constitution afin de renforcer les attributions de la présidence. Avec cette victoire du Oui, le poste de premier ministre sera aboli, le président nommera directement les ministres et la majorité des juges de la Cour constitutionnelle, le Parlement perdra son pouvoir de contrôler le gouvernement ou de le renverser.

De telles attributions se retrouvent ailleurs dans le monde. Aux États-Unis, le président nomme ses ministres qui ne sont pas responsables devant le Congrès, mais doivent être agréés par le Sénat. Au Canada, le premier ministre a de larges pouvoirs. Il nomme les ministres, les sénateurs, les ambassadeurs, les juges de la Cour suprême, le chef des forces armées et bien d’autres hauts fonctionnaires et cela sans l’agrément d’une autorité externe. Toutefois, le gouvernement est responsable devant la Chambre des communes et, théoriquement, le gouverneur général peut agir contre l’avis du premier ministre.

Ce qu’il y a d’exceptionnel en Turquie, c’est maintenant la concentration des pouvoirs entre les mains du président Erdogan.

Les contre-pouvoirs s’effacent les uns après les autres. Depuis une quinzaine d’années, le régime a mis au pas le Parlement, le système judiciaire, les médias et, surtout, l’armée.

L’institution militaire a toujours joué un rôle politique de premier plan depuis la fondation de la république turque en 1923, issue de l’effondrement de l’Empire ottoman. En plus d’être gardienne de l’héritage laïque du pays, elle est intervenue à plusieurs reprises pour confisquer le pouvoir à des civils qu’elle trouvait incompétents ou perturbateurs. L’an dernier, son dernier coup d’État a échoué marquant ainsi son éjection du jeu politique.

Forte résistance

Si les résultats du référendum de dimanche renforcent le président, ils confortent aussi la résistance qui s’organise en Turquie depuis quelques années contre le régime en place.

En effet, malgré une campagne où le Oui a dominé la couverture médiatique, où la violence a frappé l’opposition et où le gouvernement a été omniprésent, le camp du Non rassemble presque 49 % de l’électorat.

Le mécontentement est donc profond envers le président Erdogan.

Il est alimenté par plusieurs facteurs.

La Turquie est divisée, instable. À l’intérieur, l’économie bat de l’aile avec un taux de chômage atteignant 24 % chez les jeunes et suscite la grogne jusque dans les rangs du parti au pouvoir. La question kurde refait surface avec la rupture du cessez-le-feu qui avait été conclu en 2015. À l’extérieur, la Turquie multiplie les ingérences en Syrie, en Irak, dans le Caucase sans que cela ne profite au pays. Au contraire, Daech frappe désormais à Istanbul et dans plusieurs villes du pays. Les relations avec l’Europe, les États-Unis, la Russie et Israël sont en dents de scie.

Ces difficultés internes et externes donnent une nouvelle vie au mouvement contestataire de 2013 qui avait été largement ignoré par une population conservatrice et religieuse. Aujourd’hui, le mouvement s’étend, comme l’indique d’ailleurs la géographie du vote de dimanche. Il y a quelques années, l’opposition ralliait les électeurs des régions kurdes à l’est et certains sur la côte ouest et dans la partie européenne de la Turquie. Istanbul et Ankara restaient pro-Erdogan.

Dimanche, l’opposition a fait tache d’huile. Comme cela était prévu, les régions kurdes ont voté Non. Dans les régions côtières du sud-ouest et de l’ouest, l’opposition a fortement progressé et, surprise, les deux grandes villes ont voté Non.

Les résultats du référendum passeront certainement le test du recomptage. Le gouvernement y verra. Erdogan a gagné son pari, mais la partie n’est pas jouée. Dans deux ans, il y aura des élections présidentielles et législatives. Dimanche, ce sont les régions les plus dynamiques et les plus modernes qui ont voté Non. Elles sont l’avenir de la Turquie. Elles pourraient faire la différence lors des prochains scrutins et empêcher que le régime Erdogan se perpétue au pouvoir.

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