Chronique

L’économie est-elle sexiste ?

Le prix Nobel d’économie n’a jamais été accordé à une femme. 

À l’Université de Montréal, même si le département d’économie est dirigé par une femme, Emanuela Cardia, elles ne sont que quatre dans l’équipe de 24 professeurs et demi.

Quand Marie-Claude Beaulieu, directrice du département de finance à l’Université Laval, est arrivée, elle était la seule femme sur 12 professeurs. Maintenant, il y en aura « bientôt quatre » sur 18, explique-t-elle.

Que tous ceux qui croient que l’univers universitaire est maintenant envahi par les femmes se réveillent – oui, j’ai entendu cette affirmation maintes fois –, le monde de l’économie et de la finance n’est pas encore du tout paritaire.

Donc, quand l’American Economic Association a rendu publics les résultats très inquiétants de son sondage sur le sexisme et la discrimination dans ce secteur, la semaine dernière, les femmes du milieu québécois ne sont pas tombées de leur chaise.

« Je n’ai pas du tout été surprise », m’a confié Francesca Carrieri, professeure de finance à la faculté de gestion Desautels à McGill. « Moi, je n’ai jamais subi ce dont on parle dans le sondage, mais est-ce que je crois que c’est impossible ? Pas du tout. »

Que disent les résultats du sondage ?

En gros, selon le compte rendu du New York Times, près de 100 femmes économistes – sur 9000 personnes sondées – ont dit qu’elles avaient été agressées sexuellement par un de leurs pairs. Près de 200 ont dit qu’elles avaient été victimes d’une tentative d’agression. Et des centaines ont affirmé qu’elles avaient été suivies et touchées de façon inappropriée. 

La moitié des femmes sondées ont aussi dit qu’elles avaient été traitées professionnellement de façon injuste parce qu’elles étaient des femmes – 3 % des hommes ont dit la même chose. Et près de la moitié des femmes ont dit qu’elles évitaient de parler dans les séminaires et conférences, par peur des réactions de leurs collègues. Et finalement, sept femmes sur dix ont dit qu’elles sentaient que le travail des hommes économistes était pris plus au sérieux que le leur. 

« On n’est pas à l’abri de ça ici », m’a confié Mme Beaulieu, de l’Université Laval. 

« C’est un sondage sérieux fait par une grande association d’économistes. Les résultats doivent être pris très au sérieux. »

— Emanuela Cardia, directrice du département d’économie de l’Université de Montréal

Peut-être, ajoute Mme Cardia, qu’il faut maintenant faire une recherche sur ces questions, pour comprendre pourquoi c’est ainsi. Et comment ça se compare à d’autres disciplines.

Mais y a-t-il des « clubs » d’économistes, à travers les universités du monde entier, qui ne prennent pas autant les femmes au sérieux ? « C’est possible », dit Mme Cardia.

Selon Mme Carrieri, le problème est vaste. Il faut se demander pourquoi il n’y a pas plus de femmes dans des postes de direction universitaires, à la tête des publications scientifiques, dans les comités de sélection, chez les profs, chez les étudiants au doctorat.

Doit-on mettre en place des stratégies pour aller chercher des étudiantes semblables à celles qui ont été pensées pour les « STIM », soit sciences, technologie, ingénierie et mathématiques ? Sûrement, répond la professeure.

Parce qu’il y a un problème de recrutement, c’est évident.

« En comparaison d’autres sciences sociales et bien des sciences pures, la proportion de femmes dans les départements d’économie est ridiculement basse », a expliqué récemment Kelly Bedard, économiste de l’Université de Californie à Santa Barbara (UCSB), à mon collègue Mathieu Perreault. Elle a publié une étude en 2017 sur le sujet. « Et elle stagne, particulièrement dans les domaines plus prestigieux de l’économie, de la macroéconomie et de la finance », a-t-elle ajouté.

Ici, « chez les étudiants de premier cycle, c’est un peu plus égalitaire », dit Mme Carrieri.

Mais dès qu’on passe à la maîtrise et au doctorat, le nombre d’étudiantes diminue. « Surtout en finance », ajoute la professeure, qui a déjà entendu des thèses selon lesquelles les femmes aiment moins la prise de risque donc évitent les secteurs financiers plus pointus. Pourtant, ajoute la professeure, d’autres disent qu’elles sont d’excellentes gestionnaires parce qu’elles font de très bonnes analyses de risque…

« On travaille sur ces questions, on veut changer tout ça. Mais c’est un processus très long. »

— Francesca Carrieri, professeure de finance à la faculté de gestion Desautels à McGill

Mme Beaulieu, elle, souligne l’importance de la construction de liens solidaires entre les femmes. « Il faut qu’on se crée des réseaux, qu’on se donne des chances. »

J’ai tenté de parler à l’Association des économistes québécois pour avoir une réaction aux résultats de la recherche de l’American Economic Association. 

Voici ce que le directeur général m’a répondu : « Nous sommes présentement en période intensive d’analyse des budgets gouvernementaux, et en mode planification à notre congrès annuel. Il nous est donc difficile de vous proposer une ressource pouvant répondre à votre demande. »

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