vers les élections provinciales

Le congrès de la Coalition avenir Québec et le conseil national du Parti québécois se sont terminés hier à Lévis et à Drummondville. Analyse et comptes rendus.

Analyse

La CAQ se recentre, le PQ  à gauche toute

Québec — Les plaques tectoniques bougent lentement. Mais quand ces glissements arrivent simultanément, ils sont plus faciles à apprécier. C’est ce qui s’est produit, politiquement, en fin de semaine. À 127 jours des élections, la Coalition avenir Québec (CAQ) et le Parti québécois (PQ) se sont tassés sur la gauche. Résultat net : le parti de François Legault se rapproche du centre, tandis que celui de Lisée marche sur les plates-bandes de Québec solidaire.

Hier, à la clôture du congrès de son parti à Lévis, François Legault a clairement indiqué qu’il ne prônerait pas de nouvelles baisses d’impôts, le crédo habituel de la CAQ, parti qui incarnait le courant de droite depuis sa fondation. Hier, son discours aux 800 militants promettait surtout des services pour les élèves, les aînés et les familles. Tous les enfants auront accès à la maternelle à 4 ans. Bien sûr, les réflexes sont toujours présents : on déchirera l’entente avec les médecins spécialistes pour récupérer 1 milliard de dollars et on fera le ménage dans des contrats d’informatique, une économie de 800 millions. Mais l’ensemble du discours était clairement social.

Touche personnelle, Legault a martelé que jamais il ne pardonnerait à Philippe Couillard d’avoir sabré l’aide aux élèves en difficulté d’apprentissage, un problème auquel il a déjà fait face.

Un chef du PLQ n’aurait pas désavoué cette manœuvre. Legault a fait un appel pressant à la communauté anglophone. Maintenant que la souveraineté n’est plus un enjeu, une première en 50 ans, « Libérez-vous ! Joignez-vous à l’équipe du changement », a-t-il lancé en anglais. Une nouvelle tentative pour mettre le pied dans l’île de Montréal, dégeler le vote anglophone. Les circonscriptions ne changent guère d’allégeance à Montréal – seulement deux, Saint-Henri–Sainte-Anne et Crémazie (Maurice-Richard), avaient changé de couleur en avril 2014.

À l’inverse, à Drummondville, devant 500 militants, Jean-François Lisée s’est engagé à ce que le PQ, une fois élu, avance vers la gratuité scolaire totale, même au collégial et à l’université. La plateforme électorale de son parti, 48 pages d’engagements, est déposée dès maintenant, à quatre mois des élections. Assommé par la perte de quatre élections complémentaires, Jean Charest avait fait la même chose et devancé la publication de son programme, à l’automne 2002.

Le PQ promet aussi le nivellement pour tous des frais de garde, sans égard au revenu. Le syndicaliste Marc Laviolette a fait adopter une résolution qui rendrait impossible la réédition des lock-out survenus au Journal de Montréal et au Journal de Québec. L’obsession de Lisée pour le plan d’action de Québec solidaire ainsi que l’influence de Jean-Martin Aussant sont palpables. 

La CAQ n’a pas soufflé mot des questions identitaires et le PQ a ramené sa proposition qui interdit le port de signes religieux pour les employés de l’État en situation d’autorité, les enseignants et les employées de CPE.

On se surprend à se demander quelle direction aurait prise le PQ si, il y a 18 mois, Alexandre Cloutier avait été mis aux commandes. Mais les observateurs péquistes, supposément avertis, disaient que le jeune du Lac-Saint-Jean était appuyé par « la machine à perdre » péquiste. On se demande si, désœuvrée, elle n’a pas, depuis, rallié le camp Lisée.

Aux deux événements, des attitudes bien différentes quant aux adversaires. Des adversaires différents finalement. Du côté de la CAQ, Legault a promis, solennellement, de mettre fin au copinage pour l’attribution des contrats et des emplois. « Écoutez-moi bien », a-t-il insisté avant de dire que cette époque des « nominations partisanes et des petits “zamis” est ter-mi-née » ! Legault a fréquemment évoqué le régime libéral et Philippe Couillard. De toute la fin de semaine, il n’a pas mentionné le Parti québécois.

C’était une tout autre affaire à Drummondville. Chaque sortie, toutes les charges visaient la CAQ et son chef.

Ironiquement, les autocars de campagne, présentés hier par les deux camps, incarnaient ces différences. La CAQ a opté pour un autocar de campagne tout ce qu’il y a de plus prévisible – on l’a fait entrer dans la salle où se trouvaient les délégués. Les candidats déjà choisis et les députés, plus d’une soixantaine en tout, en surgirent à tour de rôle, pour monter sur scène. Sur les flancs, un slogan classique – « L’équipe du changement ». Le seul couac est survenu quand le bénévole au micro a momentanément perdu le fil, et les noms, des députés qui montaient sur scène.

Du côté du PQ, en attendant l’autocar aux couleurs du parti, on a présenté aux caméras un véhicule récréatif, plutôt sympathique, le Véronique Mobile. La députée de Joliette sera conscrite tout l’été pour sillonner le Québec. « Un été fort au service des gens », petit clin d’œil au slogan du parti qui parle plutôt d’un « État fort ». Un bobo n’aurait pas désapprouvé le turquoise tendance, ni les autocollants qui prévenaient qu’au lieu de bébés, « des idées » se trouvaient à bord.

Congrès de la CAQ à Lévis

Legault invite les anglophones à se « libérer » des libéraux

François Legault souhaite plus que jamais incarner le changement en amont des prochaines élections. Alors que les sondages indiquent que son parti mène pour l’instant la course, le chef caquiste s’est adressé hier aux anglophones et aux électeurs moins acquis à la CAQ : « Libérez-vous » des libéraux.

« Joignez-vous à l’équipe du changement »

« Changement ». Le mot a été prononcé à répétition ce week-end à Lévis, où les caquistes étaient réunis en congrès national. Debout sur la scène, à côté de laquelle était garé un véritable autocar de campagne (d’où sont sortis une soixantaine de candidats), François Legault s’est présenté comme celui qui peut « rassembler tous les Québécois ».

« Free yourself, join the team for change », a-t-il lancé, tout sourire, dans la portion anglaise de son discours. [Traduction : Libérez-vous, joignez-vous à l’équipe du changement.]

Plus tard en journée, lors du point de presse de clôture du chef, M. Legault a précisé le message qu’il souhaite marteler. « Les anglophones peuvent sans s’inquiéter voter pour un autre parti que le Parti libéral et se dire qu’il n’y aura pas de référendum. »

Intégrité

Ralentissant son débit et regardant l’immense salle du Centre de congrès de Lévis, où étaient rassemblés près de 1000 membres de la CAQ hier, François Legault a prévenu ses militants qu’ils n’auraient pas de passe-droits, advenant une victoire électorale le 1er octobre prochain.

« À la CAQ, on n’est pas là pour nous servir [et] pour servir nos petits amis », a dit le chef au cours de son discours qui a duré 26 minutes.

« Les Québécois sont écœurés du copinage et des magouilles. […] Aucun d’entre vous ne doit s’attendre à recevoir un traitement de faveur parce qu’il a une carte de membre de la CAQ », a poursuivi M. Legault.

Pour s’attaquer au cynisme ambiant, que François Legault affirme mesurer sur le terrain, le chef caquiste promet de déposer dans la première année d’un possible mandat une réforme du mode de scrutin.

« On sera prêt pour l’élection de 2022. Ça sera un grand changement au Québec [qui forcera] les partis politiques à travailler en collaboration », a dit M. Legault.

Réinvestir sans augmenter les taxes

François Legault a de nouveau affirmé hier qu’il n’aimait pas les étiquettes gauche-droite. À preuve, s’il promet de réinvestir dans certains programmes, particulièrement en éducation, il prend du même coup « l’engagement ferme » que les Québécois « n’auront pas à payer une augmentation de taxes, de tarifs ou d’impôt [plus élevée] que l’inflation ».

« Est-ce qu’on peut le mettre dans un projet de loi ? On n’exclut pas ça », a-t-il laissé tomber.

Pour financer son programme, dont les promesses qui ont été formulées samedi et hier ne sont pas chiffrées (le cadre financier sera déposé pendant la campagne électorale, a-t-on répété), François Legault entend piger dans une entente modifiée avec les médecins spécialistes – retrouvant ainsi 1 milliard par année, juge-t-il – ainsi que dans « le bordel informatique », où il prévoit récupérer 800 millions annuellement.

« Je sais très bien [quel est le coût de] nos mesures et où je prendrai l’argent », a assuré le chef de la CAQ en point de presse.

Garderies : Legault « pour la liberté de choix »

Alors qu’il disait samedi qu’il fallait « privilégier » les centres de la petite enfance (CPE), qui offrent de meilleurs services que les garderies privées, François Legault a rectifié le tir, hier, précisant que son parti était avant tout « pour la liberté de choix ».

« Ce qu’on veut, c’est de la qualité de services et la liberté de choix entre un service public et un service privé », a affirmé le chef caquiste lors de son point de presse de clôture.

Geneviève Guilbault, porte-parole de la CAQ en matière de famille – qui a par le passé défendu le modèle d’affaires des garderies privées –, s’est pour sa part défendue de ne pas soutenir les CPE.

« On est pour les CPE, on est pour les garderies privées, on est pour la diversité […]. Le fait qu’on propose la prématernelle 4 ans, des places [en garderie] vont donc se libérer », a-t-elle dit lors d’une mêlée de presse.

Le leader parlementaire adjoint de la CAQ, Éric Caire, dont les enfants ont fréquenté tour à tour différents modèles de garderie, réfute pour sa part les études qui affirment que les services sont meilleurs dans les CPE.

« Ce n’est pas l’expérience que [j’ai eue]. Je veux bien qu’il y ait une étude qui dit que j’ai tort, que [mes] enfants ont été mal servis, mais ce n’est pas vrai », a dit le député de La Peltrie.

Conseil national du PQ à Drummondville

Lisée abat ses cartes en vue des élections

Drummondville — Gratuité scolaire pour les moins fortunés, interdiction de signes religieux à certains fonctionnaires, baisse des tarifs de garderie. Un gouvernement du Parti québécois (PQ) effacerait plusieurs pans de l’héritage libéral, révèle la plateforme électorale présentée à Drummondville hier. Un document qui ne reprend pas les dispositions du programme péquiste sur le financement des cégeps anglophones.

Cégeps anglophones

Le programme du PQ prévoit que le financement des cégeps anglophones sera « graduellement aligné sur le poids démographique proportionnel de cette communauté ». Cela aurait pour effet de couper les vivres au réseau, puisqu’il est fréquenté par de nombreux francophones. Cet engagement découle d’une résolution adoptée en septembre dernier au congrès du PQ. Mais on n’en trouve aucune trace dans la plateforme électorale présentée hier. Il n’a pas été retenu par la commission chargée d’élaborer le document d’une cinquantaine de pages.

Anglais au cégep

Le chef péquiste, Jean-François Lisée, a assuré hier qu’il adhérait toujours à la position adoptée par les membres l’an dernier. Mais un gouvernement péquiste ne couperait pas directement les vivres aux cégeps anglophones, a-t-il expliqué. Sa stratégie serait plutôt de « réorienter l’offre » en proposant un « parcours enrichi en anglais » dans les cégeps francophones. « On veut faire en sorte que les cégeps francophones soient beaucoup plus attractifs en donnant un meilleur parcours d’apprentissage de l’anglais. Et ainsi, on veut attirer des gens qui, actuellement, vont au cégep anglophone et vont venir au cégep francophone. Ça va rééquilibrer le financement. »

« Gratuité scolaire »

Un gouvernement péquiste instaurerait graduellement la « gratuité scolaire » à l’université. M. Lisée veut faire en sorte que les droits de scolarité soient réduits à zéro, d’abord pour les plus démunis, ensuite pour la classe moyenne puis, éventuellement, pour tous les étudiants. « Notre objectif, c’est que dans le premier mandat, on aille jusqu’au milieu de la classe moyenne, a expliqué M. Lisée. C’est-à-dire que pour tous les enfants de milieu modeste, classe moyenne inférieure jusqu’au milieu de la classe moyenne, les droits de scolarité soient à zéro. »

Signes religieux

La plateforme prévoit la relance du débat sur la laïcité. Le PQ s’engage à baliser dans la Charte des droits et libertés les paramètres entourant les accommodements religieux. Il compte aussi interdire le port de signes religieux aux fonctionnaires avec un pouvoir de contrainte (juges, policiers, etc.), tel que le recommandait la commission Bouchard-Taylor. L’interdiction s’étendrait aux enseignants et aux éducatrices en garderie. Un droit acquis s’appliquerait à ceux et celles qui sont déjà employés de l’État. M. Lisée estime que cette solution fait consensus au Québec. « On sent qu’une grande majorité des Québécois veulent ça, c’est l’offre que nous faisons, a-t-il dit. La CAQ, par exemple, n’a pas le courage d’aller sur les garderies. »

Garderies

S’il est élu, le PQ fera table rase de la réforme libérale de la tarification des services de garde. En début de mandat, le gouvernement Couillard a mis fin au tarif unique de 7,30 $ par jour pour le remplacer par un tarif modulé en fonction du revenu des parents. Un gouvernement péquiste restaurerait un tarif unique de 8,05 $ par jour dans les centres de la petite enfance (CPE) et les garderies subventionnées. La mesure vise à rendre les services à la petite enfance « universels », a expliqué la vice-cheffe Véronique Hivon. « Est-ce que quelqu’un imaginerait ça, en matière d’éducation, de moduler selon le salaire des parents ? Les gens qui font plus d’argent paient déjà plus, à travers leurs impôts, que les gens qui font moins d’argent. »

Briseurs de grève

Un gouvernement péquiste moderniserait le Code du travail en matière de grève de manière à empêcher une réédition des lock-out au Journal de Montréal et au Journal de Québec. Le militant Marc Laviolette a convaincu les délégués d’inscrire cette proposition à la plateforme électorale, hier. Le Code du travail stipule qu’en cas de grève ou de lock-out, les travailleurs de remplacement sont interdits « dans l’établissement ». Or, pendant les conflits de travail à Québecor, des travailleurs ont continué de produire les quotidiens en toute légalité parce qu’ils ne se trouvaient pas physiquement sur place. « Ça nous a permis de voir qu’il y avait un trou dans la notion d’établissement », a résumé M. Laviolette. Québecor est la propriété de Pierre Karl Péladeau, ancien chef du Parti québécois.

Écoles privées

Le PQ propose aussi de réviser le financement des écoles privées. La stratégie vise à accorder plus de ressources aux écoles publiques et à bonifier le soutien aux élèves à besoins particuliers. Le PQ proposerait d’ailleurs un projet de loi pour créer un « bouclier de protection » qui empêcherait un gouvernement de réduire le budget des services d’éducation, d’enfance ou de protection de la jeunesse.

Économie

Pour stimuler un « nationalisme économique robuste », le PQ propose de réviser le mandat de la Caisse de dépôt et placement afin qu’elle ait pour mission de protéger les sièges sociaux québécois. On propose aussi de créer un « Fonds des Québécois » dans lequel les petits épargnants pourraient investir pour profiter de l’expertise de la société d’État. Le salaire minimum serait haussé à 15 $ l’heure d’ici à 2022.

Environnement

Un gouvernement péquiste tournerait le dos à l’industrie pétrolière et gazière. La plateforme prévoit l’abrogation de la Loi sur les hydrocarbures adoptée par le gouvernement Couillard et l’interdiction de tout nouveau projet pétrolier ou gazier au Québec. Elle promet aussi une loi pour affirmer la « primauté de la compétence du Québec en matière d’environnement ». Une telle mesure viserait à éviter un bras de fer comme celui qui oppose le gouvernement fédéral à la Colombie-Britannique autour de l’oléoduc Kinder Morgan.

Une plateforme qui se veut « Sincère et crédible »

La plateforme électorale se veut « sincère et crédible », a affirmé M. Lisée dans un discours pour clore le conseil national. Il souhaite ainsi renvoyer dos à dos le Parti libéral et la Coalition avenir Québec. Le chef compte sur Mme Hivon pour la faire connaître à l’électorat. Tout au long de l’été, elle sillonnera le Québec à bord d’une fourgonnette pour mener une précampagne avec différents candidats. Le véhicule, que M. Lisée a surnommé « Véronique Mobile », a été présenté aux militants hier, 24 heures après que François Legault eut montré son autocar de campagne dans son congrès à Lévis.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.