OPINION JOCELYN MACLURE

Le pacte faustien du populisme de gauche

Dans une discussion avec Marc Cassivi publiée dans La Presse+ du 20 février, la députée de Québec solidaire Catherine Dorion disait que les débats sur les vertus du « populisme de gauche » étaient vigoureux au sein de sa formation politique.

Plusieurs progressistes se demandent si la gauche ne doit pas jouer sur le même terrain que la droite populiste en déployant des stratégies rhétoriques et politiques associées au populisme. Ces derniers cherchent généralement un appui théorique dans les travaux de la philosophe politique Chantal Mouffe, qui a publié un livre dans lequel elle défend une version singulière du populisme de gauche.

Bien que je comprenne cette tentation, je ne peux m’empêcher de penser que le jeu n’en vaut pas la chandelle pour les progressistes. La raison principale est que l’intégrité et la qualité de nos processus et institutions démocratiques ne doivent pas être sacrifiées au nom des gains électoraux (bien hypothétiques) engendrés par une stratégie populiste.

Un populisme « vertueux » ?

On reconnaît généralement le populisme à certaines caractéristiques. Les leaders populistes prétendent parler au nom du peuple, quitte à l’homogénéiser outrageusement. Leur prétention à incarner la volonté populaire se traduit par un mépris pour l’État de droit et les contre-pouvoirs, dont les médias, les tribunaux et les universités. Les populistes cherchent aussi habituellement à accentuer les distinctions entre le « nous » et les « autres », ces derniers présentés comme des ennemis de peuple. Les boucs émissaires sont souvent l’« élite » et différentes minorités identitaires.

Contrairement à celui de droite, le populisme de gauche serait, selon ces défenseurs, vertueux. Il servirait des fins nobles. Son bien-fondé serait qu’il harnacherait les frustrations, déceptions et craintes d’une partie de la population afin qu’elles servent de catalyseurs à des luttes pour une plus grande justice sociale et environnementale. La fin justifierait les moyens. Le populisme de gauche serait-il un machiavélisme de gauche ?

Mais doit-on être populiste pour défendre efficacement des idéaux progressistes ?

Doit-on accentuer les clivages existants, trouver des boucs émissaires, simplifier abusivement les enjeux, caricaturer les positions des opposants et entretenir des préjugés présents dans les segments de la population que l’on veut séduire ? Si on pense que oui, on peut difficilement ensuite déplorer l’ère de la post-vérité et critiquer la démagogie de nos adversaires idéologiques. On peut, évidemment, définir le populisme autrement, mais on risque alors de rabattre le concept sur ceux plus précis de démocratie ou de souveraineté populaire, ce qui ne ferait qu’embrouiller encore davantage la réflexion collective.

Est-ce que le populisme de gauche implique que l’on affirme que les inégalités socioéconomiques « ne cessent de croître » sans jamais jeter un œil à l’évolution du coefficient de Gini au Québec ? Ou en relatant des données concernant la distribution des revenus avant les transferts, alors que les inégalités qui subsistent après l’application des politiques de redistribution sont, au final, plus déterminantes ?

Être populiste implique-t-il que l’on soutienne que la pauvreté augmente continuellement sans faire état de l’évolution des données sur le seuil de faible revenu ou sur la mesure du panier de consommation ? Le cas échéant, les progressistes contribueraient à l’affaiblissement de nos standards épistémiques communs, c’est-à-dire les normes que l’on devrait respecter lorsque l’on forme nos croyances, délibère avec nos concitoyens et prend des décisions collectives. On comprend aisément que pour ceux qui pensent qu’il faut réduire la part du machiavélisme, du baratin et de la démagogie dans le discours public, le flirt avec le populisme de gauche ressemble dans les faits à un pacte faustien.

Je pense, comme bien d’autres, qu’il y a quelque chose d’indécent dans la richesse amassée par les mieux nantis et que l’utilisation de paradis fiscaux par des multinationales et des détenteurs de grandes fortunes est une forme de resquillage contre laquelle nous devons lutter avec toute notre ardeur. Cela n’autorise pas pour autant la simplification abusive et la démagogie sur le « capitalisme » et la « mondialisation néolibérale ».

Le refus du populisme condamne-t-il les progressistes à l’élitisme et au mépris de larges pans de la population ? Je ne crois pas.

Exprimer clairement des idées nuancées ne témoigne-t-il pas davantage du respect de l’intelligence de tout un chacun que la croyance selon laquelle le simplisme, la démagogie, l’appel abusif aux émotions et la stratégie du bouc émissaire sont nécessaires pour rallier de larges segments de la population ? Il est possible de prendre au sérieux les inquiétudes et doléances des citoyens sans les prendre pour des enfants incapables de comprendre que les enjeux sont complexes.

Bien sûr, il ne faut pas extrapoler sur la base d’un cas singulier, mais le triste sort du Mouvement 5 Étoiles en Italie devrait inciter à la prudence. Se réclamant à l’origine du populisme de gauche, le parti partage maintenant le pouvoir avec la Ligue du Nord, un parti populiste qui se rapproche souvent dangereusement de l’extrême droite. Les risques du populisme, qu’il soit de droite ou de gauche, apparaissent trop grands pour la santé de nos processus et institutions démocratiques.

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