Science

le plastique, une réelle menace ?

La quantité de déchets de plastique qui se retrouvent dans les cours d’eau et les océans suscite beaucoup d’inquiétude. Entre les « continents » de déchets de plastique à la dérive, les microplastiques qu’ingurgitent les poissons avec le plancton et les microfibres qui s’échappent dans l’eau de lavage des vêtements, quelle menace représente vraiment ce matériau omniprésent ? Les scientifiques ne s’entendent pas tous sur la question.

UNE POLÉMIQUE SCIENTIFIQUE

Quelle est la toxicité réelle des microplastiques ? Certains biologistes sonnent l’alarme alors que d’autres pensent que leur risque est surévalué. Le débat faisait rage lors de la dernière réunion annuelle de l’Association américaine pour l’avancement de la science (AAAS), à la mi-février à Washington.

LE SCEPTIQUE

Depuis quatre ans, Allen Burton est parti en guerre contre les campagnes visant les microplastiques. Selon le biologiste de l’Université du Michigan, leur danger n’est pas prouvé, et l’énergie qui leur est consacrée par les groupes écologistes est au mieux gaspillée, au pis risque de provoquer un ressac dans l’opinion publique si les dangers des microplastiques s’avèrent exagérés. « Je ne suis pas un fan de plastique et ne reçois aucun financement de l’industrie, explique M. Burton en entrevue en marge du congrès de l’AAAS. Mais la plupart des études qui ont trouvé des microplastiques ont utilisé des concentrations de 1000 à 10 000 fois plus importantes que ce qu’on trouve dans l’environnement. Les seuls endroits sur la planète où on retrouve ce genre de concentration sont dans les eaux côtières de pays asiatiques qui n’ont pratiquement pas de gestion des déchets, où les plastiques sont envoyés directement dans la mer. Et même, on parle davantage de ports industriels, où il est difficile de départager les effets des concentrations élevées de microplastiques et la contamination aux métaux lourds. »

LE CONTRE-ARGUMENTAIRE

Au congrès de l’AAAS à Washington, un biologiste de l’Université norvégienne de science et de technologie, Martin Wagner, a croisé le fer avec Allen Burton. « La plupart des études scientifiques utilisent le conditionnel pour évoquer les dangers des microplastiques, a dit M. Wagner. Ce sont les médias qui sont irresponsables en établissant un lien de cause à effet, une toxicité prouvée. Je pense qu’on se trouve devant un cas classique de différents domaines de recherche qui sont en concurrence pour des fonds de recherche limités. Les biologistes qui travaillent sur les métaux lourds ou sur les macroplastiques ont beau jeu de juger alarmistes leurs collègues spécialistes des microplastiques. Je reconnais que le risque avec les concentrations actuelles n’est pas prouvé et pourrait être faible, mais il n’y a pas grand risque à limiter la pollution de microplastiques. » Un collègue scandinave, Thomas Backhaus de l’Université de Göteborg, a pour sa part apporté son appui à Allen Burton. « On voit déjà des effets négatifs de l’obsession pour les microplastiques, a dit M. Backhaus. En Suède, l’an dernier, une loi a interdit d’utiliser les boues des usines d’épuration comme engrais agricole, de peur que les microplastiques qu’elles contiennent contaminent les récoltes ou se retrouvent dans les cours d’eau. C’est absurde, on perd une superbe source d’azote pour des craintes hypothétiques. »

LES SACS DE LA SENSIBILISATION

Que pense Allen Burton des interdictions des sacs en plastique ? Il ne peut retenir un petit rire. « C’est bien parce que ça rend le citoyen moyen plus sensible à la pollution plastique, mais au Canada, aux États-Unis et dans le nord de l’Europe, les sacs de plastique sont un facteur négligeable de la pollution de macroplastiques. Je pense qu’il vaudrait mieux cibler la pollution liée aux pêcheries, les lignes et filets de pêche perdus en mer, qui posent problème même en Europe et en Amérique du Nord. »

DANS L’EAU DOUCE AUSSI

La pollution par des microplastiques ne concerne pas seulement les océans, mais aussi les rivières et les lacs. « Quand un réseau d’aqueduc prend son eau dans un fleuve ou une rivière, comme c’est souvent le cas au Canada, il va y avoir une contamination par microfibres parce qu’elles passent au travers des filtres », a expliqué lors de la conférence de l’AAAS une biologiste de l’Université de Toronto, Chelsea Rochman. « On a vu des microplastiques dans l’eau potable et même dans la bière de microbrasserie. Il faut absolument améliorer les laveuses à linge pour qu’elles n’envoient pas ces microfibres à l’égout lors du rinçage. » Mme Rochman a cité une étude ayant trouvé des microfibres de vêtements, d’une taille allant jusqu’à 0,1 millimètre, dans 81 % des bières de 12 microbrasseries des Grands Lacs. Elle explique également que les machines à chargement frontal, qui utilisent moins d’eau, évacuent davantage de microfibres et qu’un vêtement peut perdre jusqu’à 1 % de son poids en microfibres tous les dix lavages.

LES ESPÈCES INVASIVES

Les « continents de plastique », comme sont surnommées les zones océaniques où s’accumulent les débris de plastique flottants, ne nuisent pas seulement à la vie marine : ils favorisent la circulation des espèces invasives. « Nous avons suivi des radeaux de débris du tsunami japonais de 2011 à travers le Pacifique », a dit à la réunion de Washington Jim Carlton, biologiste au collège Williams du Massachusetts. « Elles contenaient une foule d’espèces invasives, surtout des bactéries et des algues, mais parfois des invertébrés. Le même phénomène se produit sûrement à plus petite échelle avec les débris de plastique de la pollution ordinaire. Ça pourrait accélérer la transmission des microbes qui causent, par exemple, la mort de populations d’étoiles de mer, ou même les marées toxiques d’algues rouges. » En 2018, dans la revue Science, M. Carlton a dénombré 300 espèces invasives arrivées aux États-Unis entre 2013 et 2017 sur des débris du tsunami japonais. « Et il y a encore d’autres radeaux de débris qui arrivent sur les côtes américaines. »

393 millions de tonnes

Quantité de plastique estimée dans les océans

246 000 tonnes

Quantité de plastique qui flotte à la surface des océans

4 à 12 millions de tonnes

Quantité de plastique qui entre chaque année dans les océans

36 millions de tonnes

Quantité de plastique qui est déposée chaque année au fond des océans, dans les sédiments marins

SOURCE : Université de Newcastle

QUELQUES ÉTUDES

En 2015, dans la revue Marine Biology, des chercheurs de l’Université James Cook, en Australie, ont montré qu’une partie des microplastiques ingérés par les coraux s’accumulent dans leur estomac. Des chercheurs américains ont reproduit ces résultats en 2017 dans le Marine Pollution Bulletin.

En 2015, dans la revue Scientific Reports, des chercheurs ont montré que des microplastiques sont présents dans 25 % des poissons et 33 % des crustacés vendus dans les poissonneries américaines.

En 2013, dans la revue Environmental Science and Technology, des biologistes britanniques ont montré que, dans des solutions qui comportent une concentration 10 000 fois plus élevée de microplastiques que dans l’océan, le zooplancton dépense trois fois plus d’énergie pour se nourrir.

En 2017, dans la revue Science of the Total Environment, des biologistes danois ont montré que la concentration de microplastiques dans les poissons qui sont pêchés dans la mer Baltique, et dans le zooplancton qui s’y trouve, n’a pas augmenté depuis 30 ans.

Haro sur les microfibres

Sur la carte mondiale de la pollution de plastique dans les mers, les pays riches sont très peu touchés. Parfois, le problème est simplement exporté en ballots vers les pays pauvres qui recyclent les déchets de l’Occident. Mais un nouveau défi est apparu : celui des microfibres de vêtements, qui sont évacuées avec l’eau des laveuses à linge, et qui constituent maintenant plus du tiers des plastiques des océans.

La source des microplastiques des océans

Textiles qui se désagrègent dans les laveuses à linge (microfibres)

Pneus

Poussière urbaine

Peinture de voirie

Peintures marines

Microplastiques contenus dans les produits d’hygiène personnelle

Microplastiques abrasifs issus de procédés industriels

PRODUCTION MONDIALE (en millions de tonnes)

Plastique

En 1950 : 1,7

En 1980 : 150

En 2015 : 310

Fibres synthétiques

En 1990 : 20

En 2005 : 40

En 2018 : 70

Polyester

En 1990 : 10

En 2005 : 20

En 2018 : 80

SOURCES : PEMRG, Ocean Conservancy

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La question des élèves

Est-ce que les bactéries capables de décomposer le polytéréphtalate d’éthylène (PET) seront capables d’éliminer les océans de plastique ?

Réponse : La question est sur les lèvres de tous les spécialistes de ces amas océaniques de plastique. L’an dernier, des chercheurs français du CNRS et du Laboratoire des interactions moléculaires et réactivités chimiques et photochimiques ont annoncé que les bactéries présentes dans la « plastisphère » océanique ont une évolution très rapide qui leur permet d’améliorer leur capacité de transformer le plastique en énergie, donc de le dégrader. Et en 2017, dans la revue PNAS, des biologistes de l’Université de Portsmouth, en Angleterre, ont fait savoir qu’ils avaient réussi à augmenter cette capacité dans une bactérie retrouvée dans une usine de recyclage de plastique japonaise. C’est un domaine de recherche d’avenir, très certainement. — Mathieu Perreault, La Presse

Dans le cadre d’un projet spécial, des écoles de la région montréalaise ont soumis des questions scientifiques à notre journaliste, qui y répondra d’ici à la fin de l’année scolaire. Si votre école désire participer au projet l’automne prochain, où que vous soyez au Québec, écrivez-nous !

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