Chronique

Cinq enjeux pour les Expos 2.0

La poussière retombée sur le gros week-end de baseball à Montréal la semaine dernière, voici mon analyse de cinq enjeux liés au retour des Expos.

1. Billets : il faudra tester le marché

Depuis 2014, les huit matchs préparatoires des Blue Jays de Toronto au Stade olympique ont attiré en moyenne 49 000 spectateurs chacun. Ce succès inespéré fait croire aux optimistes que l’appétit pour le baseball majeur est fort à Montréal et que les Expos 2.0 auraient du succès aux guichets.

Je n’ai rien contre l’enthousiasme, mais je dis néanmoins : prudence ! Les Expos ont disputé 36 saisons à Montréal. À peine sept fois se sont-ils classés dans la première moitié des équipes de la Ligue nationale au chapitre des assistances. La dernière fois, c’était en 1983, 21 ans avant leur départ pour Washington.

Avant d’autoriser la renaissance des Expos, le baseball majeur voudra sans doute s’assurer que l’équipe pointera minimalement au milieu du peloton à ce niveau. La saison dernière, 2,3 millions de spectateurs ont dû franchir les tourniquets pour atteindre ce seuil, une moyenne de 28 400 par match. C’est beaucoup, surtout si la formation accuse un retard significatif au classement à partir de la mi-août.

Voilà pourquoi les Expos 2.0 devront compter sur une solide base d’abonnements, au moins 20 000, à mon avis. Et pour savoir si c’est possible, une seule solution existe : tester le marché, comme la LNH l’a exigé à Winnipeg, en prévision du retour des Jets en 2011, et à Las Vegas, avant de lancer le processus d’expansion.

Ce test ne se fait pas par sondage, mais en demandant un acompte en argent. Je vois mal comment les investisseurs s’engageraient dans le projet sans être sûrs à 100 % que le public sera au rendez-vous durant plusieurs années. Et comme à Winnipeg, les amateurs intéressés par les meilleurs sièges devraient s’engager pour une période de trois à cinq ans.

2. Pas de compromis sur le nouveau Stade

Compte tenu des coûts élevés liés au retour du baseball majeur, il pourrait être tentant de couper les coins rond dans la conception du nouveau Stade. Gérer de manière serrée le budget de construction est une chose, mais réduire la facture en proposant un édifice de qualité moyenne serait une erreur colossale.

Pour intéresser la clientèle d’affaires, les loges d’entreprise devront offrir un degré élevé de confort et de services, comme au Centre Bell. Même chose pour les « sièges de luxe », vendus plus cher. Une valeur ajoutée est nécessaire. Suffit de suivre l’évolution des stades de baseball aux États-Unis pour le comprendre. Ils sont conçus pour générer d’immenses revenus, en offrant des produits adaptés aux différentes clientèles.

Un « toit parapluie », permettant aux amateurs d’assister à un match en tout confort malgré la température, est aussi essentiel. Sinon, des matchs seront présentés devant des milliers de sièges vides, privant ainsi l’organisation de revenus importants, en plus de relancer le débat sur l’avenir de l’équipe.

Pour que les Expos 2.0 connaissent du succès, les assistances devront être assez fortes pour évacuer ce sujet de la conversation, comme c’est le cas pour le Canadien. Les vrais Expos ont composé avec ce problème pendant leurs 25 dernières années et ce fut un psychodrame à n’en plus finir.

3. Le contrat de télévision local

Au baseball majeur, les contrats nationaux de télévision valent 50 millions US à chaque équipe. Mais celles-ci vendent aussi à un diffuseur régional les droits de retransmission de leurs matchs. Les sommes ainsi obtenues ont explosé au cours des dernières années.

En avril 2016, selon une recherche de fangraphs.com, les revenus médians se chiffraient à 46 millions US par saison. Oublions un moment l’impact du taux de change – après tout, les Expos 2.0 auraient beaucoup de dépenses en dollars canadiens (salaires des employés de bureau, achat de fournitures, etc.) – et posons la question : un réseau serait-il prêt à verser 40 millions ou plus pour télédiffuser les 162 matchs de l’équipe ? À première vue, la somme semble astronomique pour le marché de baseball du Québec, où le gros de l’auditoire serait concentré.

La solution idéale serait que le diffuseur soit un actionnaire important de l’équipe. Il pourrait ainsi établir des stratégies de communication et de marketing intégrées, à l’image du géant des télécommunications Rogers, à la fois propriétaire du réseau Sportsnet et des Blue Jays de Toronto. Cela intéresserait-il la société Bell Média, propriétaire de TSN et de RDS ? N’oublions pas qu’elle a perdu les droits sur les matchs « nationaux » de la LNH au Canada jusqu’à la fin de la saison 2025-2026, propriété prestigieuse qui n’a pas été remplacée.

4. La convention entre actionnaires

Sous le règne de Charles Bronfman, la prise de décision était simple chez les Expos. Propriétaire de l’équipe, il détenait les pleins pouvoirs. Les choses se sont gâtées après la vente du club en 1991. Douze actionnaires minoritaires avaient voix au chapitre, dont le président Claude Brochu. Les relations entre tous ces gens se sont envenimées au fil des années et cela a conduit à l’arrivée de Jeffrey Loria. On connaît la suite.

Pour éviter cet écueil, le principal bailleur de fonds, ou une personne à son emploi, devra prendre la direction des Expos 2.0. Un leadership éclaté ne produirait pas de bons résultats. Le Canadien, par exemple, appartient à un groupe d’investisseurs. Mais Geoff Molson, qui a investi beaucoup d’argent avec ses frères lors de l’achat de l’équipe, est clairement le patron.

5. Quelle est la prochaine étape ?

Combien d’années encore les amateurs rempliront-ils le Stade olympique pour deux matchs préparatoires des Blue Jays de Toronto ? Chez evenko, promoteur de l’évènement, pas d’inquiétude : le marché continue de bien répondre, explique Jacques Aubé, chef de l’exploitation. Il mise aussi sur la notion d’« évènement » pour satisfaire le public : hommage à d’anciens Expos, cérémonies d’avant-match réussies, animation durant la rencontre…

La formule actuelle met néanmoins beaucoup de pression sur les amateurs. Si les assistances diminuent, le baseball majeur y verra peut-être un signe inquiétant sur la viabilité d’une concession à Montréal. Une baisse d’affluence serait pourtant compréhensible, puisque ces matchs sont d’un intérêt limité. Dans les dernières manches, avec la panoplie d’espoirs et de réservistes sur le terrain, ça ressemble souvent à du baseball AAA.

La solution réside dans la présentation de matchs réguliers. Une série de trois rencontres, où les Blue Jays seraient officiellement le club visiteur – ils ne joueront pas de matchs locaux ailleurs qu’à Toronto –, constituerait une prochaine étape naturelle. Cela permettrait au baseball majeur d’envoyer un signal positif à Montréal. Nous sommes rendus là.

Les chiffres sur les assistances proviennent de Baseball-Reference.com et d’ESPN.com.

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