Chronique

Le courage des Casques blancs syriens

Farouq Habib est un banquier syrien originaire de la ville de Homs. Raed Saleh travaillait dans le domaine de l’électronique, à Idlib, dans le nord de la Syrie.

Mais ça, c’était avant que la guerre civile qui ravage leur pays ne propulse ces deux hommes dans la jeune trentaine à la tête des Casques blancs syriens – l’ultime et unique organisation venant en aide aux civils noyés sous un torrent de bombes. À Alep, mais aussi dans d’autres villes syriennes encore contrôlées par l’opposition.

Les Casques blancs syriens, ce sont 3000 bénévoles, répartis dans plus d’une centaine de points de service, qui ont pour mission d’accourir le plus rapidement possible sur les lieux des frappes pour sauver un maximum de vies.

C’est un métier à haut risque : 154 de ses secouristes ont perdu la vie dans le cours de leur travail depuis la mise sur pied de ce réseau, il y a trois ans. Et des dizaines d’autres ont été blessés.

Farouq Habib et Raed Saleh étaient de passage à Montréal, hier, dans le cadre d’une mission internationale qui leur a permis d’aller cueillir quelques récompenses internationales, en Europe et aux États-Unis. Mais aussi d’attirer l’attention des gouvernements et du grand public sur la tragédie qui ravage leur pays.

« Nous avons voulu profiter de ce voyage pour rappeler au monde qu’en Syrie, il n’y a pas qu’un dictateur et des extrémistes, qu’il y a encore des gens bien », souligne Farouq Habib.

Sauf que ni lui ni son collègue n’avaient la tête à leur mission internationale, hier. Ils ne pensaient qu’à une chose : retourner sur le terrain pour continuer leur boulot. Ils ont même failli annuler leur présence à une conférence de l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits humains, organisée hier soir à l’Université Concordia, pour prendre l’avion le plus rapidement possible.

« Avec la détérioration de la situation à Alep, ce n’est plus le moment d’aller chercher des prix. Nous devons être là-bas. » 

— Farouq Habib, lors de notre rencontre, hier après-midi

Les traits tirés, la voix éteinte, Farouq, qui est établi en Turquie, et Raed, qui coordonne les Casques blancs en Syrie même, ont raconté la situation désespérante des civils pris au piège d’Alep, où « un obus tombe toutes les 30 secondes » et où même leurs équipes de secouristes n’arrivent plus à atteindre les lieux bombardés.

La trêve annoncée par les Russes, hier en fin d’après-midi, n’avait rien pour les rassurer. Aux dernières nouvelles, ceux-ci auraient promis de laisser sortir quelques milliers d’assiégés. Alors qu’au moins 100 000 personnes vivent toujours dans les quartiers tenus par les rebelles.

***

Pour mieux comprendre en quoi consiste le travail des Casques blancs, il faut voir White Helmets, documentaire produit par Netflix qui a suivi pas à pas, pendant deux ans, le travail de ces équipes de secouristes à Alep.

Les dernières images ont été tournées en janvier dernier, soit bien avant l’offensive impitoyable déclenchée à la fin de l’été. Elles sont déjà à la limite du supportable.

On y voit de jeunes hommes arrachés à la vie civile, dans laquelle ils exerçaient des métiers comme ceux de tailleur ou de forgeron, se précipiter vers des quartiers fraîchement bombardés pour chercher les survivants sous les décombres.

Un jour, ils en ont retiré le petit Mahmoud, un bébé né tout juste une semaine plus tôt. Que l’on revoit, toujours vivant, à l’âge de 2 ans.

Hier, j’ai demandé à Farouq des nouvelles de Mahmoud, qui doit approcher de son troisième anniversaire

« Il va bien, sa mère l’a amené en Turquie. Par contre, le secouriste qui l’avait sauvé est mort. Tué dans un bombardement il y a trois mois. »

L’homme s’appelait Khaled. Il était lui-même jeune papa…

***

Soutenue par plusieurs gouvernements occidentaux, dont celui du Royaume-Uni qui est son plus généreux donateur (le Canada, lui, vient d’annoncer un don de 4,5 millions), l’organisation des Casques blancs syriens n’échappe pas aux critiques. On lui reproche notamment d’être alliée aux rebelles.

Faux, protestent Farouq et Raed. « Nous sommes neutres, nous aidons tout le monde, peu importe l’affiliation politique. »

Les deux Casques blancs n’en peuvent plus de voir les bombes s’abattre sur Alep. Mais ils craignent aussi ce qui arrivera aux survivants le jour où la ville tombera entre les mains du régime et des milices étrangères qui appuient Damas.

« Ce ne sera pas la fin de la guerre, mais le début d’une violence exacerbée », prévoit sombrement Farouq.

***

J’ai écrit plusieurs chroniques sur le drame d’Alep au cours des dernières semaines. Chaque fois, des lecteurs m’ont demandé ce qu’ils pouvaient faire pour aider les civils coincés dans cette ville assiégée.

J’ai posé la question à Farouq et Raed, hier. Que peut-on faire pour aider les Alépins bombardés, de nos salons ?

« Faites pression sur vos politiciens pour qu’ils défendent les droits des Syriens », a répondu Farouq. Et pour qu’ils appellent à l’évacuation des civils.

Et puis, si on cherche un organisme particulier à aider, il y a toujours les Casques blancs…

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.