Opinion : Personnes à mobilité réduite

Karine avait un billet pour Metallica

Depuis la petite enfance, elle et moi sommes amies. Ensemble, nous avons exploré, découvert et traversé les diverses étapes de ce que les experts appellent le développement global de l’enfant.

Une feuille de route sans faille qui nous offrait, à toutes les deux, un passeport express pour devenir des jeunes filles indépendantes, autonomes et affranchies. Mais l’héritage génétique de Karine en a toutefois décidé autrement. Pendant que les autres adolescents de notre âge progressaient avec aisance, ma meilleure moitié, quant à elle, était vouée à désapprendre avec résilience. Mon amie Karine est atteinte de l’ataxie de Friedreich.

Juste un peu d’humanité

Le 19 juillet dernier, le parc Jean-Drapeau recevait le groupe culte Metallica. Karine a acheté ses billets par téléphone, plusieurs mois avant le concert. Lors de cet échange, une dame l’a rassurée en lui mentionnant que le lieu prévoyait la présence de personnes à mobilité réduite. Le contraire aurait bien sûr été jugé hautement discriminatoire, surtout de la part d’une institution qui se targue elle-même d’attirer une clientèle diversifiée sur son site internet.

Par contre, lors de la soirée de l’événement, les employés sur place, tous plus confus et alanguis les uns que les autres, semblaient ignorer qu’une personne aux prises avec un handicap d’ordre physique pouvait, parfois, avoir envie de fréquenter le parc Jean-Drapeau.

Pendant plus de deux heures, on lui a dit d’aller à gauche, tantôt d’aller à droite, en lui promettant, chaque fois, qu’elle trouverait l’entrée « pour les gens comme elle ».

Karine n’a jamais trouvé l’endroit qui était accessible « aux gens comme elle ». Elle est donc retournée chez elle, sans même avoir eu accès au site.

Aujourd’hui, trois semaines plus tard et après plusieurs tentatives pour discuter avec les administrateurs de l’événement, le parc Jean-Drapeau persiste et signe : ils ne feront aucun remboursement, et cela, malgré le fait que Karine n’a pu accéder au site où se tenait le spectacle. L’argument répété par les responsables ? Karine aurait dû se rendre sur place en métro, ainsi elle aurait évité de perdre son temps à chercher un stationnement et aurait pu trouver, plus rapidement, une tierce personne pour la prendre en charge et l’amener à l’intérieur.

Bien sûr, ces bonnes gens ignorent visiblement le fait que la vaste majorité des stations de métro de la STM ne possèdent pas d’ascenseur. La station Jean-Drapeau, qui dessert ledit point d’intérêt, fait notamment partie de la longue liste de stations non adaptées.

Les gens extraordinaires

Je demande parfois à mon amie Karine, surtout après une situation comme celle-ci... Je lui demande comment elle réussit à gérer autant d’injustices. L’ostracisme crasse dont elle est couramment victime parce qu’elle n’est pas comme nous, les gens ordinaires. Tous les accès qu’on lui refuse impunément. Tous les obstacles que l’on dresse sur sa route par négligence. L’impardonnable mépris qu’on lui sert trop souvent en s’adressant à elle comme on interpelle un enfant. Toutes les règles que l’on bafoue ouvertement à ses dépens en la croyant beaucoup trop faible pour pouvoir revendiquer quoi que ce soit.

Je m’adresse aujourd’hui à vous, Société du parc Jean-Drapeau. Sachez que vos représentants, en agissant de la sorte, contribuent à cette culture de discrimination qui marginalise les personnes limitées. Je suis persuadée que votre administration n’embrasse pas de tels idéaux et que la situation n’est qu’une succession de tristes incidents qui ont malheureusement échappé à votre contrôle. Mais parfois, le simple fait de démontrer un peu d’humanité en acceptant de réparer nos actions, au lieu de verser dans la nonchalance, peut faire le plus grand bien.

C’est tout ce que mon amie Karine demande.

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