Opinion : Cycliste happée par un camion

Elle avançait tout droit dans la vie

Il y a de ces nouvelles qui, bien qu’elles soient effroyables, sont presque devenues banales à Montréal : une voiture ou un camion qui renverse un piéton ou un cycliste.

Lorsque j’ai entendu la nouvelle il y a quelques jours, je me suis dit que c’était un autre cas typique, mais le lendemain, j’ai reçu un message bouleversant d’une de ses anciennes coéquipières : c’était Justine qui était sous ce camion qui tournait à droite au mauvais moment…

Je ne suis pas son père. Ni son ami. En fait, je dois rectifier : je n’étais pas son père ni son ami. J’ai été son entraîneur de basketball et son directeur de niveau. Je l’ai côtoyée étroitement pendant deux ans dans un contexte éducatif et elle a contribué, avec ses coéquipières, à faire de ces moments une expérience professionnelle enivrante.

Je sais très bien que notre travail d’éducateur implique que l’on accepte de voir partir naturellement nos élèves ou nos joueurs afin qu’ils puissent vivre leur vie, mais je ne peux cesser de penser que pendant qu’elle était sur le terrain et que j’étais sur le banc, il ne lui restait même pas une décennie à vivre. Quelle tristesse !

Il n’y a pas plus triste sentiment pour un éducateur que d’apprendre que ceux qu’il a éduqués n’ont pu profiter de ce qui leur a été légué. En ce sens, c’est un vide qui ne pourra jamais être comblé.

Justine était une force tranquille et une joueuse d’équipe. Sur le terrain, elle jouait avec intensité et avec passion.

Ses coéquipières vous confirmeront qu’elle n’avait pas froid aux yeux. Si elle se transformait en bête sur le terrain, elle était une élève modèle pendant son quotidien scolaire. Assidue, elle avait de bons résultats scolaires et, bien plus important encore, elle était appréciée du reste de ses compagnons de classe. Elle était vouée à un bel avenir.

Je ne suis pas urbaniste. Ce que je sais, cependant, c’est que le réseau routier n’a pas été pensé pour autant de véhicules en circulation et encore moins pour la cohabitation de ces derniers avec d’autres modes de transport alternatifs : piétons, vélos, planches à roulettes, etc.

Je ne suis pas politicien non plus, mais quand j’entends les élus montréalais se blâmer mutuellement pour la mort accidentelle d’une jeune femme, je ne peux m’empêcher de me dire que pendant qu’ils s’invectivent à la mémoire d’une personne qu’ils ne connaissent pas, ils demeurent dans l’inaction.

RÉNOVER LA SOCIÉTÉ

Je suis enseignant de formation. Mon travail consiste, entre autres, à construire ou rénover les fondements de notre société. Le travail des urbanistes et des politiciens est complémentaire au mien : ils doivent bâtir ou rénover les infrastructures sur lesquelles cette société repose.

Bien malheureusement, Justine aura été la plus récente victime de cette incongruité entre la société que le monde scolaire et familial s’efforce de bâtir et celui dans lequel nos jeunes s’installent à la fin de leurs études.

Autrement dit, nous les protégeons tout ce temps et une fois qu’ils quittent le nid familial, nos jeunes doivent assurer leur propre protection et, évidemment, nous devons nous fier aux autres membres de notre société afin qu’à leur tour, dans l’espace d’un court moment inopiné de rencontre anonyme, ils agissent en toute prudence.

C’est certainement un cliché d’écrire que Justine est partie trop tôt. Au moins, je me rassure en présumant qu’elle a vécu ses années adultes avec autant de passion qu’elle aura joué ses matchs de basketball et qu’elle aura toujours su s’entourer de personnes aimantes et respectueuses.

À ce feu de circulation de la rue d’Iberville, elle aura choisi d’aller tout droit alors que d’autres tournaient. Cela lui aura été fatal, mais combien représentatif de sa personnalité de fille fonceuse, qui avance tout droit dans la vie.

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