OPINION : DEMANDES DE SUBVENTIONS POUR LA RECHERCHE EN SANTÉ

Des évaluateurs désengagés

Madame la ministre Philpott,

Nous, chercheurs en santé du Canada, tenons à vous informer des préoccupations grandissantes de notre communauté concernant la réforme des programmes et des processus d’évaluation des demandes de subvention des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).

Le rôle des IRSC est de sélectionner puis de subventionner les meilleures propositions de recherches fondamentales et cliniques au pays.

Les changements récents du processus d’évaluation des projets de recherche soumis aux IRSC nous inquiètent profondément.

D’abord, le formulaire de demande de subventions a été radicalement modifié avec une réduction importante de l’espace consacré au contenu scientifique, ce qui rend l’évaluation des projets très difficile, les éléments essentiels ne pouvant plus être présentés de façon appropriée.

ÉVALUATION « EN LIGNE »

Le processus établi voulant que les évaluateurs de projets de recherche se réunissent pour discuter en personne de leurs rapports d’évaluation a été remplacé par un processus d’évaluation dit « en ligne ». Cette nouvelle façon de procéder a engendré divers problèmes dont notamment un désengagement des évaluateurs face à leur tâche.

En effet, de nombreux présidents de comités d’évaluation ont noté des cas de piètres performances de certains évaluateurs (indépendamment de leur séniorité), une situation inexistante dans le système précédent alors que les scientifiques arrivaient mieux préparés aux rencontres en personne.

Les présidents des comités ont également signalé qu’une fraction importante des évaluateurs n’a tout simplement pas participé aux discussions en ligne ou encore n’avaient pas les compétences requises pour évaluer les demandes qui leur étaient assignées.

En plus des changements majeurs du processus d’évaluation mentionné ci-dessus, les IRSC ont aussi simultanément mis en place une nouvelle programmation de leurs subventions par un volet nommé « Fondation » qui avait initialement pour objectif de soutenir les laboratoires les plus performants réduisant ainsi la fréquence d’évaluation de ces chercheurs et par conséquent le nombre de demandes de subventions soumises aux IRSC. Ce nouveau programme a également souffert du processus d’évaluation inadéquat décrit plus haut.

CRISE DE CONFIANCE

Finalement, il faut souligner que ces réformes surviennent alors que le support financier disponible par chercheur est à la baisse et que le nombre de subventions à évaluer n’a jamais été si grand. La résultante est une crise de confiance majeure de la part de la communauté scientifique du pays envers les IRSC et un réel risque de perdre plusieurs de nos chercheurs et emplois connexes vers l’étranger.

Il est important de noter que ce sont des fonds publics dont il est question et les contribuables sont en droit de s’attendre à ce que ces fonds soient octroyés selon les plus hauts standards existants tels que ceux qui prévalaient précédemment. À notre avis, les IRSC doivent suspendre les réformes en cours et rétablir l’ancien mode d’évaluation, dont le processus était comparable à ce qui se fait partout ailleurs dans le monde.

N.B. La version originale anglaise rédigée par Jim Woodgett, publiée le 27 juin dans le Globe and Mail, est maintenant cosignée par 1275 chercheurs.

* Guy Sauvageau, professeur, Institut de recherche en immunologie et en cancérologie, Université de Montréal ; Jean-Claude Tardif, directeur, Centre de recherche de l’Institut de cardiologie de Montréal, Université de Montréal ; Jim Woodgett, directeur, Lunenfeld-Tanenbaum Research Institute

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