YVES BOLDUC

58 ans

Né à Alma en 1957

Études en médecine et maîtrise en administration publique

Nommé ministre de la Santé en 2007

Élu député libéral trois mois plus tard

Siège dans l’opposition et pratique la médecine à temps partiel de 2012 à 2014

Nommé ministre de l’Éducation en 2014

Démissionne le 26 février 2015

YVES BOLDUC

La vie en rose

Ils ont été premier ministre, chefs de l’opposition officielle ou ministres. Ils ont connu le pouvoir. Certains l’ont quitté de leur propre gré, d’autres ont été mis à la porte. Comment ont-ils atterri dans la vraie vie ? Notre journaliste a rencontré six ex-politiciens. Confidences.

Mercredi matin 25 février. Yves Bolduc lit La Presse chez lui. Il apprend qu’un remaniement ministériel est imminent. Le titre de la manchette est sans équivoque : « Bolduc perdrait du galon ».

Il comprend que ses heures à la tête du ministère de l’Éducation sont comptées et que son chef, Philippe Couillard, vient de le larguer.

Il appelle le directeur de cabinet de Couillard qui lui confirme la nouvelle : exit l’Éducation.

Bolduc se demande s’il veut continuer. La réponse ne tarde pas. « J’étais prêt à passer à autre chose. Ce que je voulais, c’était un gros ministère qui ait de l’impact. »

Il veut la Santé ou l’Éducation, rien d’autre, sauf que la Santé est occupée par l’indélogeable Gaétan Barrette et qu’il vient de perdre l’Éducation en multipliant les déclarations maladroites. Pas question de se contenter du Tourisme, de l’Agriculture ou de la Culture, il préfère tout quitter.

Le soir, Bolduc annonce sa décision au directeur de cabinet. Il démissionne. De tout. Il abandonne la politique. Il prend cette décision seul, sans en discuter avec sa femme. « J’étais très serein. Je suis un gars de décision. »

Puis, tout s’enchaîne rapidement.

« Le lendemain, j’ai rencontré le premier ministre à 7h30 et le caucus à 9h. »

À la sortie du caucus, Bolduc fait face une dernière fois à la meute de journalistes.

S’est-il senti humilié ? Il répond plus vite que son ombre.

— Pas du tout ! Ça fait partie de la game. Au point de presse, j’avais la tête haute.

— C’était votre premier échec ?

— Non. Ce n’était pas un échec, mais une décision. J’ai démissionné. Une heure plus tard, j’étais dans une nouvelle vie. Je suis fait comme ça, je peux passer d’une affaire à l’autre. C’est un exemple de résilience. »

Dans sa vie, Yves Bolduc a toujours été le meilleur : premier à l’école et au cégep, président de sa classe, étudiant brillant à l’université, bon en sports, bon en tout. Mais l’Éducation, un ministère casse-gueule, a eu raison de lui. Pour la première fois dans sa vie, il n’a pas eu le dernier mot.

***

Il pique sa fourchette dans une crêpe aux fraises et au chocolat ornée d’une boule de crème glacée. Il arrose le tout d’un verre de vin blanc. Il mange et parle, parle, parle : de son premier ministère, la Santé, qu’il a occupé pendant quatre ans, de ses années dans l’opposition, où il a partagé son temps entre les banquettes de l’Assemblée nationale et une clinique où il travaillait comme médecin, de ses 10 mois à l’Éducation parsemés de controverses, des réseaux sociaux qui amplifient et déforment tout, de sa vision positive du monde et de son regard optimiste sur la vie.

« Chez nous, dit-il, on est très positifs. »

Après sa démission, il est vite retombé sur ses pieds. Il a démissionné le 26 février. Le 23 mars, il réintégrait la clinique médicale de Sainte-Foy, située à cinq minutes de chez lui, en plein cœur de son ancienne circonscription, Jean-Talon. Les semaines de fou, où le téléphone sonne sans arrêt, cèdent la place à un horaire plus pépère.

« Quand on est ministre, tout le monde nous appelle, mais ils le font parce qu’on a du pouvoir. Du jour au lendemain, il n’y a plus rien. C’est pas grave, j’ai encore des amis. »

— Yves Bolduc

Il me fait visiter la clinique dernier cri, où il travaille depuis trois semaines, et son bureau sans fenêtre éclairé par des néons.

« Ça m’évite d’être déconcentré, précise-t-il. C’est très efficace. Je maximise mon temps. »

Il voit entre 35 et 40 patients par jour.

Il est obsédé par l’efficacité. Son bureau est divisé en deux : au fond, une table de consultation où s’étendent ses patients, en avant, un bureau vierge de tout papier. « Je suis très, très techno », dit-il.

Tout est dans son ordinateur qu’il essaie d’ouvrir. Il doit s’y prendre à plusieurs reprises avant que l’écran s’allume. Il m’explique qu’il tape ses ordonnances dans son ordinateur avant de les imprimer, mais sa démonstration échoue, l’imprimante refuse obstinément de fonctionner.

Un rideau sépare la table de consultation de son bureau. Il ouvre et ferme le rideau plusieurs fois en le faisant glisser sur des roulettes accrochées au plafond.

« Vous voyez, j’ouvre le rideau, je ferme le rideau, j’ouvre, je ferme. »

Oui, je vois.

« En médecine, 90 % du monde t’aime ; en politique, ça tombe à 10 %. Quand tu vas en politique, tu passes d’une cote de popularité de 90 % à 10 %. »

Si le Yves Bolduc médecin est aimé, le Yves Bolduc ministre de l’Éducation en a arraché. Une controverse n’attendait pas l’autre, de sa prime de 215 000 $ qu’il a touchée parce qu’il pratiquait la médecine pendant son séjour dans l’opposition, aux enfants qui ne vont pas mourir si les commissions scolaires sabrent dans les budgets des bibliothèques, sans oublier les fameuses fouilles à nu qui sont acceptables si elles sont effectuées de façon respectueuse.

À chaque gaffe, les journalistes ont passé Bolduc dans le tordeur. Il a été caricaturé, ridiculisé, malmené, critiqué. On l’a même qualifié de ministre radioactif. Il n’aime pas l’expression. « On est plus à risque à l’Éducation. »

« Quand je lisais les journaux, c’est comme si ce n’était pas moi qui étais dans l’article. J’ai jamais pris ça personnel. Je ne suis pas prétentieux, mais j’ai une certaine confiance en moi. Ma conjointe me disait : “Si tu savais tout ce qu’ils disent sur vous autres à la radio !” Je lui répondais : “Écoute pas ça, ma chérie, n’importe qui dit n’importe quoi.” »

N’empêche, les controverses ont grugé ses réserves d’optimisme. Il a un petit sursaut d’indignation quand je lui rappelle les fouilles à nu. « C’était quasiment moi qui avais fait la fouille. Les gens voyaient ça comme dans Unité 9 ! »

L’affaire de la prime l’a piqué au vif. « On me regardait comme si j’avais fraudé, pourtant, j’ai suivi les règles. »

Mais c’est la critique sur les livres qui lui a fait le plus mal. Bolduc est un grand lecteur. Au primaire, il lisait un livre par jour. Il me montre son iPad dans lequel il a téléchargé des livres de Platon, Plutarque, Nietzsche, Machiavel, Kant, Henry Kissinger, Kierkegaard. Quand il me voit noter les noms, il me prévient. « Je ne veux pas avoir l’air prétentieux. »

Il ne veut pas prendre sa retraite. Il a 58 ans. Il veut travailler pendant encore 20-25 ans. « La retraite, c’est très, très loin. Je ne vais pas m’installer sur le bord d’une plage et lire. » La politique ? Il y reviendra. Au fédéral ou au provincial.

On quitte la crêperie qui est située dans le même centre commercial que sa clinique. Il sort ses clés et actionne le déverrouillage automatique des portes de son auto, mais ça ne marche pas. Il recommence la manœuvre trois fois avant d’entendre le déclic des serrures récalcitrantes.

Ce soir-là, la technologie l’a trahi. Comme la politique.

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