Réfugiés

« Sans espoir, on n’a rien dans la vie »

On s’était donné rendez-vous à 9 h dans un café du boulevard Rosemont, au lendemain de l’élection de Trump. « De quoi va-t-on parler ? », m’a demandé Mouaid.

C’était sa première entrevue à vie. Il voulait se préparer.

Je lui ai dit qu’on parlerait de paix, le thème de la conférence organisée cette semaine à l’occasion de l’ouverture du Pavillon de la paix Michal et Renata Hornstein du Musée des beaux-arts de Montréal. Mélanie Loisel, auteure du livre Ils ont vécu le siècle : De la Shoah à la Syrie (Éditions de l’Aube, 2015), a eu l’heureuse idée d’y réunir huit anciens réfugiés vivant au Québec. Le but ? Changer la perception que l’on a trop souvent des réfugiés, au moment où on assiste à la pire crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale.

Mouaid Al Marzoki, réfugié syrien, sera le dernier à prendre la parole. Il le fera dans ce français exquis qu’il a appris en un temps record.

« Il fait partie de ces réfugiés qui veulent apprendre la langue, qui font des efforts inimaginables, qui veulent comprendre la société d’accueil et contribuer à son développement. »

— Mélanie Loisel, auteure

J’avais dit qu’on parlerait de paix. Rien à préparer, donc. Apporte ton histoire, Mouaid. Apporte ton espoir. Sujet difficile après la victoire d’un politicien populiste qui provoque un vent de haine et nous distrait du conflit sanglant en Syrie. Sujet en même temps plus nécessaire que jamais. « J’ai le sentiment qu’après Donald Trump, le monde ne sera plus jamais le même », me dit le jeune homme de 31 ans, arrivé à Montréal en mars. Il est déçu. Il est inquiet. Il sent qu’il l’a échappé belle, lui qui aurait pu trouver refuge aux États-Unis. « Je suis vraiment chanceux d’être ici au Canada. Je suis vraiment reconnaissant. »

Avec un Trump qui a promis d’interdire l’entrée de musulmans sur le territoire américain, Mouaid se sent comme un bouc émissaire. « Le pire, c’est que le monde ne sait rien de nous. »

« Pourquoi faire peur au monde en pointant les musulmans, les latinos ou les gens qui affichent n’importe quelle autre différence religieuse, sexuelle ou culturelle ? »

***

Mouaid est vite tombé amoureux du Québec et des Québécois. Il aime le vent de liberté qui souffle ici. Sociable et curieux, il a rapidement réussi à se faire des amis. Il aime le côté chaleureux, accueillant et bon vivant de sa terre d’accueil, qui lui apparaît comme un miroir de la Syrie qu’il a été obligé de quitter. « Le Québec, c’est moi ! Montréal, c’est moi ! », dit ce diplômé en littérature anglaise.

La Syrie n’est pas qu’une guerre, rappelle-t-il. La Syrie de ses souvenirs est un pays de tolérance et de cohabitation religieuse. Lui qui ne ménage aucun effort pour comprendre la nouvelle société dans laquelle il vit espère que des gens voudront faire le même effort pour saisir les enjeux qui le préoccupent.

Avec son français tout neuf, il aimerait monter un projet web, sous forme de comédie noire, qui permettrait aux gens d’ici de mieux comprendre la réalité des réfugiés syriens et d’aller au-delà du sentiment de peur ou de pitié.

« On n’est pas juste des réfugiés. On est des êtres humains comme vous avec des histoires, des espoirs, des projets pour contribuer à la société. »

— Mouaid

Professeur d’anglais à Damas, Mouaid est arrivé à Montréal au bout d’une longue course à obstacles. En 2013, il a fui la Syrie, d’abord vers le Liban, puis vers l’Égypte. Alors qu’un de ses frères s’est embarqué sur un bateau de fortune pour traverser la Méditerranée, Mouaid est resté au Caire. Il s’est inscrit auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Il a vécu des moments de grand désespoir.

En 2015, un coup de fil qu’il n’attendait plus lui a appris que le Canada était prêt à l’accueillir. C’est ainsi qu’il a atterri à Toronto un jour de février. On l’a d’abord envoyé à Saskatoon. Après un mois passé là-bas, il a finalement déposé sa valise à Montréal.

Damas-Beyrouth-Le Caire-Toronto-Saskatoon-Montréal… Le périple était épuisant. Ce n’était pas exactement du tourisme. « Mais je gardais espoir. Je me disais : je ne suis pas venu ici, à l’autre bout du monde, pour être fatigué et perdre espoir. Non. C’est le commencement de mon histoire ici au Canada. »

Qu’est-ce qui te donne espoir, Mouaid ?

Il y eut un long silence. Ses yeux se sont embués. Sa voix a tremblé. « L’espoir ? Ah ! Mon Dieu !… J’aime ce mot-là. Sans espoir, personne ne peut vivre. C’est la consolation de la vie pour tous les êtres humains dans leur quotidien. »

« L’espoir… L’espoir… » Il répétait le mot comme pour s’assurer qu’il ne lui échappera pas. « C’est un mot riche. Sans espoir, on n’a rien dans la vie. Je suis venu au Canada pour ce mot. »

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