Les filles russes au pouvoir
Moscou, — Russie — Sur un terrain synthétique qui a certainement connu de meilleurs jours, Vladimir Dolgiy-Rapoport distille ses instructions. Autour de lui, une quinzaine de joueuses, vêtues d’un maillot blanc avec des bandes latérales roses, l’écoutent attentivement. Un peu plus loin, sur un coin de terrain, trois débutantes ne maîtrisent pas encore des aspects techniques aussi simples que la conduite de balle et les contrôles. L’objectif de cette équipe, le Girl Power FC, n’est de toute façon pas l’excellence, mais l’accessibilité, le plaisir et l’espoir de contribuer au développement du soccer féminin en Russie.
L’idée de ce club au nom pas comme les autres a surgi il y a quatre ans. Dolgiy-Rapoport venait de fonder une académie pour les enfants lorsque l’une des mères s’est approchée. « Elle nous a demandé pourquoi on n’enseignait pas le football aux mamans. C’était une blague, mais on n’a apparemment pas le sens de l’humour ici, raconte-t-il en entrevue. On l’a donc fait et lors de notre premier entraînement, il y avait 10 femmes. Après trois mois, il y en avait une cinquantaine et, aujourd’hui, on est autour de 300. »
En tout, Girl Power FC compte cinq équipes de niveaux différents. Son succès est inespéré dans un pays où, comme dans bien d’autres pays d’ailleurs, le football est considéré comme une chasse gardée masculine.
« Au moment de sa création, il était très rare pour les femmes de jouer au football en Russie. »
— Anna Mironova, une milieu de terrain du Girl Power FC
« Cela devient de plus en plus populaire maintenant, mais ce n’est pas comme ailleurs en Europe ou aux États-Unis, souligne la jeune trentenaire. On a des filles qui sont à l’université et il y a même une femme qui a plus de 50 ans. Tout le monde peut venir. »
Chaque lundi et jeudi soir, l’équipe se réunit pour des entraînements de 90 minutes dans un petit stade défraîchi du quartier Basmanny. Ses matchs, à huit contre huit, ont lieu le week-end au sein de championnats et tournois amateurs.
L’équipe a surtout fait parler d’elle il y a quelques semaines lorsqu’elle a participé à la Coupe de Russie pour la première fois. Là encore, c’est une suggestion lancée sur le ton de la blague, lors d’une soirée dans un bar, qui a démarré le projet. En passant de la parole aux actes, il a fallu réunir et remplir une tonne de documents, puis réunir les fonds nécessaires. Par contre, les maillots ont été fournis gratuitement par un célèbre équipementier européen.
« On n’avait pas d’argent pour aller à Ivanovo [à 300 km de Moscou] et il nous en fallait pour le bus, l’hôtel, les repas ou les soins médicaux, énumère Dolgiy-Rapoport. On a fait une campagne via Facebook en vendant de l’espace publicitaire sur nos chandails. Chaque centimètre coûtait 300 roubles [6 $] et on a réussi à amasser plusieurs milliers de roubles. C’était notre premier match à 11 contre 11 face à des professionnelles. On a perdu, mais c’était une excellente expérience. »
Mais plus qu’une équipe, Girl Power FC est devenue une seconde famille pour toutes ces joueuses-là. « On passe beaucoup de temps ensemble. Trois ou quatre fois par année, on se rend à l’extérieur de Moscou pour faire un stage de quelques jours. On joue, on va au bar, on regarde des matchs. L’hiver, on va aussi à Sotchi où le climat est plus clément », développe Mironova.
La Russie occupe le 26e rang du classement féminin de la FIFA. Elle s’est qualifiée pour les trois dernières éditions du Championnat d’Europe sans toutefois dépasser l’étape de la phase de groupes.
Elle n’a plus été aperçue à la Coupe du monde depuis 2003, une disette qui se prolongera encore puisque les présentes qualifications ont été marquées par de lourdes défaites contre l’Angleterre (6-0, 3-1) et le pays de Galles (3-0).
« Ce n’était pas encore très fort, mais les filles ont fait beaucoup d’efforts compte tenu du niveau d’organisation du football russe. »
— Anna Mironova
« On a maintenant une fille, Nadezhda Karpova, qui joue en Espagne. Peut-être qu’avec l’aide de Girl Power, les filles seront plus intéressées par le football et que ça se développera encore plus », estime Mironova en ajoutant que la première division ne compte que huit clubs.
Justement, Girl Power ne manque pas d’ambition pour la suite. « On espère se transformer en club professionnel et ouvrir d’autres centres comme celui-ci ailleurs », termine Dolgiy-Rapoport sans blaguer, cette fois.