Mon clin d’œil

Ne manquez pas la nouvelle émission Le club des ex-dragons.

OPINION

LAÏCITÉ À L’ÉCOLE L’option de la cohérence

À la veille de la période des Fêtes, le premier ministre François Legault a réitéré son intention de procéder avec diligence et fermeté dans le dossier de la laïcité.

Il sait bien que la population québécoise, dans sa vaste majorité, n’accepterait pas que cet enjeu fondamental soit encore relégué aux oubliettes. Les attentes en matière de laïcité sont grandes. L’interdiction du port de signes religieux aux agents de l’État en situation coercitive ou d’autorité est la première décision annoncée. Les enseignantes et les enseignants des écoles publiques sont d’emblée désignés puisqu’ils sont en réelle autorité et « en contact » avec les enfants, comme le dit si bien le premier ministre.

LES ENSEIGNANTS AVANT TOUT

Par leurs rôles, les enseignants ne sont pas de simples guides ou accompagnateurs. Bien au contraire. Ils précisent les objectifs de l’enseignement, la séquence des apprentissages et les modes d’évaluation. Ils jugent de l’acquisition des compétences et usent d’un pouvoir de coercition et de sanction. 

Les enseignants exercent ainsi une autorité certaine auprès des jeunes enfants dans une école, et c’est pourquoi ils doivent accepter de s’astreindre à une stricte neutralité en matière religieuse.

Il importe au plus haut point de protéger la liberté de conscience des enfants et de leurs parents.

PROSÉLYTISME RELIGIEUX

Mais il y a plus. Les enseignants véhiculent des valeurs fondamentales aux élèves. Ils exercent une influence majeure sur la construction de leur identité sociale. C’est pour cela qu’il faut instituer une stricte neutralité de l’école. Pour éviter que celle-ci devienne un lieu de prosélytisme religieux ou politico-religieux où les enseignants affichent des valeurs non partagées ou potentiellement indésirables.

Car c’est ce dont il s’agit avec les signes et les symboles religieux. Ils sont des marqueurs et ont un effet idéologique direct, même sans paroles. La croix sur les murs des classes, les coiffes et robes des sœurs ainsi que les soutanes des frères étaient tous des vecteurs de l’obscurantisme rigoriste catholique. Le turban et la longue barbe reflètent indubitablement le projet de création d’un Khalistan indépendant et théocratique, tandis que le voile islamique est l’expression d’une ségrégation sexuelle envers les femmes, nourrie par le salafisme sunnite et l’intégrisme chiite. Tout cela risque de léser frontalement la liberté de conscience des élèves.

Exercer son travail en faisant ainsi la promotion de ces croyances politico-religieuses sur les heures de travail, ça ne fait pas partie non plus des droits fondamentaux d’un agent de l’État. 

Les citoyens ne paient d’ailleurs pas des impôts et des taxes scolaires pour soumettre leurs enfants à un tel exhibitionnisme.

LA DIRECTION ET LE RESTE DU PERSONNEL

L’option de la cohérence laïque, c’est admettre que l’école constitue un tout. Elle n’est pas faite en compartiments séparés. Pour cette raison, l’interdiction du port de signes religieux devrait logiquement s’appliquer aussi aux techniciennes et techniciens des services de garde et laboratoires, car ils ne sont pas sans influence ni autorité sur les enfants. Ils établissent une relation directe avec ces jeunes.

On ne peut donc pas introduire une laïcité à double standard : une interdiction des signes religieux pour les enseignants et une autorisation dans les services auxiliaires à l’enseignement. L’iniquité de traitement serait flagrante.

Que dire maintenant des directions d’école et des professionnels non enseignants qui exercent un pouvoir d’autorité incontestable ? Peut-on leur épargner l’interdiction du port de signes religieux ?

Comment pourrait-on permettre à une directrice d’école de porter le voile alors que les enseignantes n’y seraient pas autorisées ? Poser la question, c’est y répondre.

Ajoutons que la direction de l’école représente le plus haut niveau d’autorité dans une école. La neutralité désirée de nos écoles passe donc inévitablement par le sommet, car la direction doit donner l’exemple dans un établissement public.

UN RÉGIME UNIVERSEL

Dans un souci de cohérence, l’interdiction de signes religieux devrait tout autant être régie sans considération du statut de la personne concernée, qu’elle soit déjà en poste ou nouvellement embauchée. On ne devrait pas introduire de passe-droit, aucune règle de droit acquis. La protection de la liberté de conscience des enfants doit absolument l’emporter sur le privilège religieux de la personne qui enseigne.

Il faut aussi éviter l’instauration d’une inégalité de traitement. Comment peut-on justifier le port du voile à une enseignante déjà en poste et l’interdire à la nouvelle arrivante ? Sans compter que la gestion d’une telle règle des droits acquis entraînerait un casse-tête infernal. Y aurait-il une « date butoir » au-delà de laquelle il ne serait plus possible de s’afficher, un mécanisme de surveillance, une autorisation de mutation de ce privilège acquis d’une école à l’autre ou d’une commission scolaire à l’autre ? Tout cela deviendrait très alambiqué, source de divisions. Encore une fois, il saperait le principe d’égalité de traitement entre tous et toutes.

LE DILEMME DU COURS ECR

Même si elle ne s’est pas engagée à reconsidérer le cours d’éthique et culture religieuse (ECR) en cours de campagne électorale, la Coalition avenir Québec (CAQ) l’a quand même souvent critiqué. Il faut le dire : le volet « culture religieuse » de ce cours s’inscrit aux antipodes d’un enseignement laïque. Il crée même insidieusement l’obligation de croire. La protection de la liberté de conscience des élèves exige donc que, dans les meilleurs délais possible, le gouvernement constitue un groupe de travail de manière à retirer de ce cours le volet « culture religieuse » pour le remplacer par un enseignement visant l’éveil et la formation continue à la vie citoyenne. Tout le monde y gagnerait. 

Le gouvernement assumera-t-il ce défi ? Espérons qu’il ne balaie pas d’un revers de la main cet autre dossier capital.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.