Chronique

Qui a peur de la poésie ?

Traitez-moi d’illuminé ou d’extrémiste, mais je crois sincèrement que la forme d’art la plus utile en ce moment est la poésie. Je suis loin d’être le seul à penser cela. La poésie-spectacle connaît en ce moment une popularité certaine. Partout, des soirées thématiques, des performances et des concours s’organisent autour de la poésie. Qu’on se le dise : la poésie est hot !

Dernier exemple de cet engouement pour la parole des poètes : la Nuit blanche de la poésie, qui aura lieu dans la nuit de samedi à dimanche. Organisée par une bande de jeunes fous, ce spectacle se veut une suite aux fameuses Nuits de la poésie de 1970 et 1980.

Au cours de cette soirée, on pourra entendre Raôul Duguay (portera-t-il une tuque à pompon et des culottes comme en 1970 ?), Jean-Paul Daoust, Georgette LeBlanc et Robert Lepage. Ce dernier reprendra le poème Speak White de Michèle Lalonde, pierre angulaire de sa pièce 887.

On pourra aussi compter sur la présence de jeunes auteurs comme Gisèle Ndong Biyogo, Inès Talbi, Simon Boulerice, Nicholas Giguère et Charles Sagalane. Pour cette édition, on tente visiblement d’obtenir un certain équilibre.

« Cet équilibre m’obsède, je ne fais que penser à cela, m’a dit Jocelyn Lebeau, réalisateur de ce spectacle qui sera radiodiffusé en direct sur les ondes d’ICI Première et animé par Marie-Louise Arsenault. C’était très masculin et très blanc en 1970. Cette édition représentera ce que nous sommes aujourd’hui, mais je veux aussi créer des ponts avec le passé. »

L’un de ces ponts se fera grâce à la présence de Jean-Paul Daoust, l’un des poètes les plus connus au Québec. Ce dernier a assisté à l’édition de 1970 depuis le hall du Gesù (le théâtre affichait complet) et a participé en tant que poète à celle de 1980. Je lui ai demandé pourquoi, malgré la montée en popularité de cette forme d’art, la poésie continue de faire peur au « grand public ».

« Je crois plutôt que ce sont les médias qui ont peur de la poésie, m’a-t-il répondu. Le public a une soif d’entendre de la poésie. »

« J’ai connu autrefois des soirées où il y avait 10 personnes dans la salle. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des salles pleines à craquer. La poésie va vers des choses essentielles. C’est ce que veulent les gens. »

— Jean-Paul Daoust, poète

Jocelyn Lebeau croit qu’on a tort de craindre la poésie. « Quand on y pense, la poésie est partout et on ne s’en rend pas compte. Il faut juste accepter l’idée que, bien souvent, la poésie n’a pas un effet immédiat. Il faut la digérer. »

Si ce public vient de plus en plus nombreux assister à ces happenings où la revendication et le militantisme se lovent dans des vers, il continue d’ignorer ce genre littéraire en librairie. La poésie représente à peine 0,3 % des ventes de livres au Québec, m’a confirmé Christian Reeves de la Banque de titres de langue française de Gaspard. Cela équivaut à environ 40 000 exemplaires d’ouvrages poétiques vendus chaque année.

Des statistiques du monde de l’édition compilées par Bibliothèque et Archives nationales du Québec nous montrent que 349 ouvrages de poésie ont été publiés en 2014. Faites un calcul rapide et vous verrez que les poètes récoltent des miettes avec la vente de leurs livres. Pas surprenant, donc, qu’on les retrouve si nombreux sur scène.

En préparant cette chronique, j’ai recensé une dizaine d’événements publics reliés à la poésie et qui auront lieu au cours des prochaines semaines au Québec. C’est ainsi que les gens veulent recevoir les mots des poètes. Ils veulent vivre ces émotions en groupe. Ils veulent entendre la poésie de la bouche même des poètes.

Simon Boulerice se réjouit de voir à quel point la poésie trouve de plus en plus sa place. « Notre époque superficielle montre tout. Il n’y a plus de mystère. L’érotisme dérape dans la pornographie. La poésie est utile, car elle fait voir ce qui est invisible. On a besoin de révéler autre chose que ce qui est trop visible. On a besoin de regards qui sondent et qui scannent ce qu’il y a en dessous de l’artifice. »

Simon Boulerice a raison. Profitons donc des nombreux événements qui s’offrent à nous et allons sonder l’invisible avec ceux qui continuent, siècle après siècle, de jouer aux allumeurs de réverbères.

Québec poétique

La Nuit blanche de la poésie

Un spectacle animé par Marie-Louise Arsenault et diffusé en direct sur ICI Radio-Canada Première. Avec Robert Lepage, Jean-Paul Daoust, Marjolaine Beauchamp, Raôul Duguay, Gisèle Ndong Biyogo, Inès Talbi, Simon Boulerice, Nicholas Giguère, Georgette Leblanc et Charles Sagalane, les comédiens Francis Ducharme, Kathleen Fortin, Anne-Marie Cadieux, Loui Mauffette, Émilie Monnet, Sarahmée, Sébastien Ricard, ainsi que l’Ogden Ridjanovic d’Alaclair Ensemble.

Dans la nuit du 4 au 5 mars, de minuit à 2 h, au Musée d’art contemporain de Montréal

Entrée libre

Les dix heures de la poésie

La cinquième présentation de cet événement se fera en compagnie de grands diseurs et de la porteuse de parole Kim Thùy

Du 4 mars à 16 h au 5 mars à 2 h, au Quai des Brumes

Entrée libre

Attentat

Textes d’Hubert Aquin, Marjolaine Beauchamp, Jean-Paul Daoust, Carole David, Evelyne de la Chenelière, Louise Desjardins, Steve Gagnon, Roland Giguère, Gérald Godin et plusieurs autres. Avec Alex Bergeron, Mykalle Bielinski, Catherine-Amélie Côté, Gabrielle Côté, Véronique Côté, Steve Gagnon, Martin Sirois et Alexandrine Warren. Mise en scène de Gabrielle Côté et Véronique Côté.

Du 27 février au 4 mars, au Théâtre de Quat’Sous

Le Mois de la poésie à Québec

Le Bureau des affaires poétiques présente une vingtaine de spectacles et d’activités littéraires qui se dérouleront « chez l’habitant », dans différents quartiers de la ville de Québec.

Du 3 au 31 mars

Les mardis poétiques de Chloé Sainte-Marie

Chaque soirée présente un grand nom de la poésie québécoise et un poète émergeant dont l’œuvre s’assortit bien à celle de l’invité principal. Le tout se termine par un micro ouvert.

Tous les derniers mardis du mois, à 19 h, au Bistro Le Ste-Cath

Entrée libre

Le pavillon de la poésie de l’ANEL

Présence d’un pavillon de l’Association nationale des éditeurs de livres consacré à la poésie au Salon du livre de Trois-Rivières (du 23 au 26 mars) et au Salon du livre de l’Abitibi-Témiscamingue (du 27 au 28 mai). Rencontres avec les auteurs, séances de signature et séances de « chuchoteuse », un auteur qui chuchote un poème à l’oreille d’un visiteur.

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