Chronique

Le temps des vacances

Pas un été, à la fin juin, où je ne l’ai pas chantée. En sortant de l’école, les deux pieds dans la mer, en tenant la main d’une fille ou en bronzant idiot sur une chaise longue. Et je suis certain que vous l’avez chantée aussi.

Ce n’est pas une chanson monument. Ce n’est pas Imagine, Quand on n’a que l’amour, Les gens de mon pays ou Avec le temps.

C’est juste une petite chanson légère. Une ritournelle. Pourtant elle a traversé le temps. Encore mieux, elle l’a marqué. Elle s’est emparée d’un moment bien précis de notre vie. Un moment d’euphorie. L’instant où la job est finie. Où demain, c’est congé. Et après-demain aussi.

Roum dum dum wa la dou, c’est le temps des vacances

Roum dum dum wa la dou, c’est le temps des vacances

C’est le temps des vacances, la saison pour s’aimer

Allons sur le sable chaud, tout près de la mer

Près de toi, je suis si bien

Sans toi, je ne peux vraiment rien…

Rares sont ceux qui peuvent en chanter plus que ce bout-là. Pas grave.

Ce qui est fascinant, c’est que ce bout-là ne s’oublie pas. Il est en nous depuis 1963. Notre inconscient le déclenche automatiquement, dès que l’on lance notre maillot de bain dans la valise. Ça nous possède en été comme White Christmas nous possède pendant qu’on fait le sapin de Noël.

Y a pas beaucoup de tounes programmées de la sorte en nous. Bien sûr, la musique est accrocheuse. Bien sûr, les paroles sont amusantes. Mais si cette chanson a traversé le temps, c’est surtout grâce à son interprétation. D’ailleurs, quand on se la chante, on se la chante comme lui. La bouche détendue, l’œil séducteur et les bras à gogo. C’est impossible de la chanter autrement. C’est comme ça qu’on se sent en dedans quand commence le farniente. On se sent roum dum dum wa la dou. On se sent Pierre Lalonde.

Pierre Lalonde est l’incarnation du temps des vacances. De cette période de l’année où rien n’est compliqué. Ni la vie, ni les lundis, ni les paroles, ni la musique.

Quel étrange hasard que Pierre Lalonde se soit envolé pour d’autres cieux juste à la période de l’année où sa chanson renaît en nous, comme un souvenir retrouvé. Le temps des vacances, c’est pas censé être ça, l’éternité ?

Pierre Lalonde aura été, pour tout le Québec, un amour de vacances. Le plus grand amour de vacances. Et des très longues vacances. Des vacances qui auront duré plus de cinq décennies.

Y a des chanteurs qui veulent nous faire pleurer, nous remettre en question, nous choquer. Pierre Lalonde voulait juste nous entertainer. Nous divertir. Son répertoire ne passera pas à l’Histoire. Mais lui, oui. Parce qu’il était le symbole d’une époque. L’époque yé-yé. L’époque où l’on voulait juste s’amuser.

Aujourd’hui, si on nommait notre époque, on n’utiliserait sûrement pas ces syllabes enthousiastes : yé-yé. Ce serait plus l’époque non-non. Ou l’époque pow-pow. La misère ne prend pas de vacances.

Voilà pourquoi des artistes comme Pierre Lalonde sont précieux. Ils n’ont pas la stature de Félix, Vigneault, Ferland. Mais ils ont la grandeur de vouloir nous faire plaisir. De vouloir nous charmer, tout simplement. Pour nous faire oublier nos soucis. Pour nous rappeler notre insouciance. C’est un art de réussir à faire ça. Et Lalonde maîtrisait cet art. Parce qu’il était assez beau, assez frais, assez propre, assez classe pour nous faire croire, le temps d’une chanson ou d’une émission, que la vie, c’est super cool. Quand on est dans le vent. Le soleil luit. Les filles nous sourient. Que peut-on vouloir de plus ?

Vous allez être des milliers à prendre les chemins d’été, ce week-end. En Camaro, en avion ou en bateau. Et c’est certain qu’à un moment anodin, pendant que vous allez baisser la vitre de votre portière, pendant que vous allez sortir la glacière, pendant que vous allez allumer le barbecue, votre tête va faire : « Roum dum dum wa la dou, c’est le temps des vacances. » Et pour la première fois, la seconde d’après, vous allez avoir le cœur gros. Parce que l’interprète du plus sautillant tube d’été n’est plus. Il y a une fin à tout. Même à la jeunesse d’hier. Même à la jeunesse d’aujourd’hui.

Toutes mes condoléances à la famille, aux proches et aux fans de Pierre Lalonde.

Je vous souhaite de bonnes vacances, tout de même. Il n’y a pas un soleil à perdre. Ni une pluie à bouder.

Comme l’a si bien dit Pierre Lalonde, en chantant les mots de Stéphane Venne : Attention la vie est courte.

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