Chronique

Faire des affaires circulaires

Avez-vous déjà essayé de faire teindre quelque chose à Montréal ?

Disons une housse de canapé en coton. Pas envie de payer une fortune pour en faire faire une neuve. Juste changer l’ancienne de couleur fera l’affaire.

Oubliez ça.

J’ai cherché. Le plus proche que j’ai trouvé, c’est à Manhattan. On demandait 350 $US, ce qui demeure moins cher qu’un meuble neuf et même qu’une housse neuve. Mais quand même un peu loin pour aller la déposer.

Toujours portée par mon élan de décoration printanière, je décide de faire réinstaller d’anciennes lampes, totalement années 90, qui m’avaient coûté cher à l’époque et qui ont été invisiblement abîmées par l’humidité. Un problème de contact.

L’électricien est catégorique. Ça ne se répare pas. Il faut en acheter d’autres.

N’avez-vous pas l’impression que notre vie quotidienne est parsemée d’embûches à la consommation responsable ?

On veut recycler, réutiliser, réparer, relancer, redorer, récupérer, mais on ne peut pas.

En pause de décoration et de retour au travail, j’interviewe Nathalie Lasselin, plongeuse et cinéaste passionnée par la santé du Saint-Laurent, qui me parle de la quantité de déchets plastiques qui s’y retrouvent.

Évidemment, petite crise de culpabilité. Comment jeter moins ? Je regarde le pot de yaourt que je viens de manger… en plastique. Je me dis que je devrais plutôt acheter celui en verre, en particulier celui de la Ferme Vallée Verte qui réutilise les pots… Mais ai-je le temps, la patience de les rapporter ?

Comme les bouteilles de lait La Pinte, qui s’accumulent avant que j’aille les déposer à l’épicerie, ou celles de kombucha Rise (à l’hibiscus) que je bois tout le temps…. Tout ça s’accumule, traîne.

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Vous vous demandez pourquoi je vous raconte ma vie comme ça ?

Parce que je trouve que pour chacune de ces embûches, il y a une occasion d’affaires, des grandes et des petites, que j’ai hâte de voir le Québec embrasser.

Je cherche le dynamisme.

Les Chinois ne veulent plus de notre matière recyclée parce qu’elle n’est pas de bonne qualité ? Avez-vous l’impression d’avoir été alarmé par quiconque sur vos habitudes de consommation et la nécessité de changer, et vite ? Ou encore inondé d’idées de solutions ?

Pendant ce temps, une entreprise de Denver produit des robots qui trient les matières recyclables, le Danemark choisit de tout brûler dans une centrale architecturale – qui est aussi une piste de ski et un centre d’escalade – pour produire de l’électricité, la société chinoise GEM cherche dans les déchets comme dans autant de mines pour en extraire des minéraux.

Et nous, déjà, on fait quoi ?

Même Fabien Durif, le vice-doyen de l’École de gestion de l’UQAM, qui pilote les projets d’études sur la consommation durable, est d’accord avec moi : ici, on traîne la patte.

La population hésite un peu trop encore et quand elle est prête à changer ses habitudes, elle se heurte souvent à des culs-de-sac et est forcée d’attendre avant de pouvoir mettre en œuvre sa bonne volonté.

Il y en a qui donneraient volontiers leurs bouteilles consignées – et donc l’argent récupérable – à des jeunes ou à quiconque viendrait en faire la collecte à domicile.

J’encouragerais avec enthousiasme une entreprise de teinture de meubles et autres tissus. J’irais leur porter non seulement des choses que je veux ravoir pour les récupérer en payant le juste prix, mais aussi des objets pour qu’ils les retapent et les revendent. Fabien Durif appelle ça le « upcycling », c’est une tendance aussi, mais de niche.

Vélos ? Meubles ? Vêtements (ce secteur est le deuxième pollueur en importance sur la planète, après le pétrole) ? Objets de maison ? On serait nombreux à acheter tout ça, à Montréal, d’occasion, si l’offre était réellement concurrentielle avec le neuf. Ce l’est déjà souvent pour le prix, mais pour la qualité, l’expérience client ? Oui, il y a déjà toutes sortes de commerces intéressants, il y a Kijiji et compagnie et je ne sais combien de marchés aux puces. Mais pourrait-on faire mieux pour aller chercher de nouveaux clients qui aiment l’idée de consommer ainsi, mais pas la réalité ? Oui.

Ailleurs, en Europe notamment, et dans les États bleus américains, ça bouge. En France, la chaîne d’équipement et de vêtements de sport Décathlon propose des événements ponctuels de vente d’usagé appelés Trocathlon qui donnent des rabais sur le neuf, l’américaine Patagonia offre maintenant un service de réparation pour ses vêtements et son équipement. La française SEB, qui produit de petits appareils électriques pour la cuisine, offre un service de réparation et tient donc les pièces nécessaires. Sans oublier les commerces d’usagé nouvelle génération et les systèmes d’échange de vêtements scandinaves…

Comme clients, ici, nous sommes prêts pour ça aussi.

Comme nous étions prêts pour le yoga il y a 20 ans, de la meilleure nourriture bio, des options végé, des produits de beauté et de nettoyage pour la maison sans produits chimiques néfastes pour la santé… Tous des créneaux écolos qui ont explosé depuis quelques années, où les croissances des ventes sont spectaculaires.

Et là, on est prêts pour la suite. Après plus de produits neufs écologiques, on est prêts pour moins de produits neufs et plus de récupération, et donc de réparation et de remise à neuf.

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À la fin du mois, explique Fabien Durif, Équiterre publiera les résultats d’une étude pancanadienne sur toutes ces questions : l’obsolescence programmée, les services de réparation, la volonté de faire réparer. On apprendra où on se loge comme pays. Comment on évolue.

« Parce que la tendance est là, on le voit, dit-il. Le marché de seconde main est en croissance. Les gens veulent réparer aussi. On accuse un retard. Mais ça bouge. »

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