Fox News et Facebook, même combat ?

Depuis quelques années, Facebook est accusée de faire la part belle à la désinformation, à la propagande et aux complots.

Le 4 octobre dernier, la lanceuse d’alerte Frances Haugen confirmait, à l’émission 60 Minutes, que l’entreprise de Mark Zuckerberg s’intéresse bien davantage aux profits qu’à la qualité de l’information qui circule sur ses pages. Ces graves accusations ne sont pas inédites : le réseau Fox News a reçu les mêmes dès sa mise en ondes il y a 25 ans, le 7 octobre 1996.

Un acteur rapidement incontournable

Créé par le magnat australien de la presse Rupert Murdoch et dirigé jusqu’en 2016 par Roger Ailes, ancien conseiller politique de Ronald Reagan et de George H. W. Bush, Fox News avait pour slogan « Fair and Balanced » : l’objectif était alors non pas d’être impartial, mais de faire contrepoids à ce que les conservateurs jugeaient être le biais libéral des médias traditionnels, et plus spécifiquement de CNN.

Tout comme Facebook, Fox News a connu un essor rapide et la chaîne s’est imposée comme un acteur majeur sur la scène médiatique en quelques années.

Depuis 2002, elle est la chaîne d’information la plus populaire aux États-Unis : entre 20 h et 23 h, près de 2,5 millions de personnes la regardent, contre 1,3 million pour MSNBC (aussi créée en 1996) et 822 000 pour CNN. Les années Trump, fastes pour l’ensemble des médias, l’ont été davantage pour Fox News : d’une part, en raison du style populiste de Trump et de Fox News ; d’autre part, grâce au phénomène des portes tournantes entre l’administration et l’entreprise médiatique, alors que des conseillers du président ont été embauchés par la chaîne de télévision et que des animateurs du réseau jouaient les conseillers du président.

L’aboutissement du conservatisme des années 1970-1980

Alors que Facebook est souvent dépeinte comme une plateforme laxiste face aux utilisateurs adeptes des théories du complot, Fox News a, de son côté, été jugé responsable de la polarisation de la société américaine en se faisant le porte-voix d’un conservatisme décomplexé qui souhaitait changer les règles du jeu politique aux États-Unis. Incarné par Newt Gingrich, président républicain de la Chambre des représentants entre 1995 et 1999, ce nouveau conservatisme opposé à tout compromis avec les démocrates a trouvé en Fox News un allié stratégique et idéologique. Mais le réseau doit aussi son succès à trois phénomènes dont les origines remontent aux années 1960 et qui ont mobilisé les voix conservatrices dont il se fait le porte-parole.

D’abord, le ressac conservateur aux mouvements progressistes, notamment le mouvement féministe et la lutte pour l’adoption de l’Equal Rights Amendment (ERA), ou encore le mouvement visant la reconnaissance des droits des homosexuels. Ensuite, la popularité des télévangélistes, soutenus par le président Reagan, qui ont fait inscrire leurs priorités sociales et politiques – avortement, famille – dans les plateformes républicaines. Finalement, l’abolition de la Fairness Doctrine en 1987, qui protégeait jusqu’alors la représentation équilibrée des points de vue dans les médias, donnant ainsi le feu vert à la création de chaînes de télévision et de radio exclusivement conservatrices.

À l’origine de grandes transformations

Fox News est la conséquence du renouveau conservateur, mais est aussi à l’origine de grands bouleversements sociopolitiques et médiatiques qui ont favorisé la droite et les républicains. Premièrement, Fox News a imposé une nouvelle façon de présenter les nouvelles en délaissant le journalisme de terrain pour mettre en place une approche basée sur l’opinion et le commentariat.

Aujourd’hui, cette façon de faire est largement répandue, que ce soit à CNN ou chez nous, à RDI et à LCN. Aux États-Unis, cela contribue à miner la confiance du public envers les médias, en particulier des républicains, qui écoutent Fox News plus que tout autre média (plus de 90 % des téléspectateurs de Fox News s’identifient comme des républicains) : si tout est une question d’opinion, alors elles se valent toutes, et les journalistes ne sont alors qu’une voix parmi d’autres.

Deuxièmement, Fox News a des effets sur les priorités politiques en transformant des phénomènes anecdotiques en crises politiques qui, souvent, finissent par entraîner des débats stériles – la question des wokes et de la cancel culture en est un bon exemple – et qui ont surtout pour effet de diviser la population plutôt que de l’informer.

Fox News et Facebook à la croisée des chemins ?

Tout comme Facebook, Fox News est à la fois la cause et la conséquence des dérives de la liberté d’expression, de l’individualisme et des développements technologiques rapides. L’insurrection du 6 janvier 2021, alors que des partisans pro-Trump ont pris d’assaut le Congrès pour renverser le résultat de l’élection présidentielle de novembre 2020, est l’illustration spectaculaire et effrayante du pouvoir des grands réseaux qui refusent de trier le vrai du faux, le fait de l’opinion, la réalité de la fantasmagorie. Facebook, par la force de ses algorithmes, risque toutefois de faire encore plus de dégâts que Fox News. À cet égard, les révélations de Frances Haugen – et surtout, la réaction de Facebook – sont cruciales et devront être des marqueurs de changement.

Plus près qu’on pense

Les Canadiens regardent souvent avec effarement la forte polarisation qui existe aux États-Unis, et plus encore les médias qui l’alimentent, comme le fait Fox News. Il faut dire qu’il n’existe pas d’équivalent au Canada, notamment en raison de la Loi sur la radiodiffusion, qui stipule que les médias canadiens doivent favoriser « un marché d’idées » et une « diversité de voix », éléments essentiels à une vie démocratique « saine et dynamique ». L’échec de la chaîne Sun-TV News (2011-2015), fondée et financée par des gens proches de la droite et souhaitant faire contrepoids à ce qu’ils considéraient comme étant le biais libéral des médias canadiens, illustre les difficultés d’adopter l’approche Fox News dans un petit marché télévisuel comme le Canada.

Pour aller plus loin

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.