la vie avant l’internet

Le monde a changé

L’internet a bouleversé beaucoup de choses. On vous en présente quatre.

La culture

Avant, on attendait

Avant l’internet, on n’achetait pas un billet de spectacle sur son téléphone, on faisait la queue au petit matin devant le Forum dans l’espoir de mettre la main sur des places pour voir Pink Floyd. Avant l’internet, on ne pouvait pas écouter le nouveau disque de U2 avant sa sortie en magasin. Avant l’internet, on patientait jusqu’au prochain épisode pour savoir si Bobby Ewing, de la série Dallas, était mort ou juste blessé…

Avant l’internet, il fallait attendre.

Et c’est notre rapport à la télévision qui en est le signe le plus éloquent en 2018 : avec l’avènement de plateformes de diffusion sur demande comme Netflix et Amazon, on peut avaler la nouvelle saison de Shadowhunters ou de House of Cards en deux jours si on veut. Le suspense ? On n’y résiste plus : on clique sur le prochain épisode. On a toujours le temps pour un petit dernier avant le dodo, n’est-ce pas ?

Avant l’internet, on restait sur les nerfs. Ou sur notre faim. « Ce qui a longtemps caractérisé la télévision, c’est qu’il s’agissait d’un contenu qu’il fallait littéralement suivre et sur lequel on n’avait aucune emprise », rappelle Antonio Dominguez Leiva, codirecteur de Pop-en-stock et professeur au département d’études littéraires à l’UQAM.

Ainsi, même si on se doutait que Pierre Lambert, personnage central de Lance et compte, allait un jour gagner la Coupe Stanley, il n’y avait absolument aucun moyen de le voir porter le prestigieux trophée avant la fin de la saison.

Le concept même de « saison » n’allait pas de soi.

« Quand j’étais jeune, ce n’est pas du tout comme ça que je percevais les séries. Une série, c’était une émission qui passait tel jour à telle heure, mais ce n’était pas, par exemple, la troisième saison de Starsky & Hutch. »

— Antonio Dominguez Leiva, codirecteur de Pop-en-stock

Confinées à une case horaire précise, les émissions de télé n’étaient d’ailleurs pas toutes conçues en fonction d’une progression dramatique. Plusieurs proposaient des histoires qui se bouclaient au cours d’un même épisode, comme Les Simpson ou L’île fantastique. Dans le cas des soaps, la progression était tellement lente « qu’on pouvait en perdre une dizaine et on enchaînait à peu près au même moment de l’intrigue », relève le professeur.

Avant l’internet, regarder la télévision avait un aspect rituel : on s’installait le jour dit à l’heure dite et on suivait Les filles de Caleb en famille. « Ce rituel n’est pas entièrement perdu », signale Antonio Dominguez Leiva. Il est vrai que les chaînes généralistes ont encore du poids au Québec : fin octobre, District 31 a attiré 1,5 million de téléspectateurs. Unité 9 a fait presque autant : 1,46 million. C’est moins que les 4 millions de La petite vie en mars 1995 – un record inégalé en télé québécoise, dit-on –, mais c’était une tout autre époque.

Jeune, dans sa Galice natale, le professeur d’université a connu la fin des veillées de village au cours desquelles les gens chantaient. Ce qui a provoqué ce changement : l’arrivée de la télé au bar. « Les gens se sont réunis au bar pour regarder la télé, se rappelle-t-il. [Quand les gens ont eu des télés à la maison], cet aspect communautaire s’est très vite transformé en rituel familial. »

On vit à l’ère du chacun son écran : chaque membre de la famille peut avoir sa propre émission et son propre rendez-vous. Même Netflix, par exemple, cherche encore à créer l’événement en diffusant chaque semaine un nouvel épisode d’une série prisée par les ados comme Riverdale. Comme avant l’internet. Il reste que, oui, on peut être trois sur le même canapé à regarder trois émissions différentes.

Or, l’aspect communautaire n’est peut-être pas aussi moribond qu’on veut le croire. « Les gens se réunissent encore pour regarder le hockey, fait-il valoir. Le sport à la télé, c’est encore un truc communautaire. » La finale de la dernière Coupe du monde au parc Jean-Drapeau, ça vous dit quelque chose ?

La drague

À un « swipe » de l’ âme sœur

Avant les OK Cupid, Rencontres sportives et autres Tinder de ce monde, il était quasi impossible de connaître les mensurations, les aspirations, ou encore l’historique des dernières relations d’un possible « prospect ». Avant de le rencontrer, on ne savait généralement pas non plus s’il tolérait le gluten, écoutait Game of Thrones ou aimait la cuisine végane. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire.

Un monde de possibles

Fini, le temps où l’on dépendait des amis, de l’école, du milieu de travail (ou de l’église !) pour rencontrer l’âme sœur. Depuis les rencontres en ligne, tout est désormais possible. Les chiffres sont sans équivoque : les rencontres en ligne constituent désormais LE moyen le plus populaire de rencontrer quelqu’un, confirme une étude à paraître sous peu, laquelle trace, depuis 2009, le parcours des relations amoureuses des Américains (How Couples Meet and Stay Together). Conséquence ? Il existe aujourd’hui « un bassin beaucoup plus large de possibilités », confirme l’une des références en la matière, Reuben Thomas, professeur de sociologie à l’Université du Nouveau-Mexique et coauteur de l’étude.

Mais…

Certes, on peut désormais rencontrer un nombre infini de personnes, mais justement, la drague est du coup devenue un « jeu de chiffres », en raison du « nombre de personnes en ligne et de partenaires potentiels auxquels on peut avoir accès », déplore le psychologue Ryan Anderson, auteur d’une chronique assez cynique merci, publiée dans Psychology Today (« The Ugly Truth About Online Dating »). « Pourquoi passer trois heures à discuter avec quelqu’un quand vous pourriez avoir 30 petites conversations avec 30 personnes différentes ? », nous écrit-il (en ligne !), regrettant dans la foulée la disparition de conventions sociales de base en matière de politesse (avec toutes ces conversations laissées en plan, ces photos non sollicitées néanmoins envoyées, et autres dick pics…).

Diversification des rencontres

C’est prouvé : les rencontres en ligne ont permis une plus grande diversification des couples, en matière d’origines ethniques et d’éducation, notamment. Si, traditionnellement, on avait tendance à fréquenter des gens issus du même cercle social, avec le même niveau d’éducation, les recherches démontrent que ça n’est plus forcément le cas. « Sauf pour l’âge, nuance le sociologue Reuben Thomas. Probablement que les sites de rencontre sont ainsi faits, ce qui rend l’âge déterminant. »

Mais…

Pour le psychologue Ryan Anderson, cela ne fait aucun doute. En raison de l’anonymat que permet l’internet, la drague en ligne est aujourd’hui une jungle dominée par le mensonge. « Impossible de savoir si on s’adresse à un chef d’entreprise, un alcoolique fini, ou les deux », dit-il. Les gens mentent non seulement sur leur âge (20 % des femmes affichent des photos d’elles qui datent de quelques années), mais aussi sur leurs finances (40 % des hommes vernissent leur profil économique), quand ça n’est pas carrément sur leur statut matrimonial (méfiez-vous des statuts soi-disant « compliqués »).

Le succès des minorités

Il existe aujourd’hui des sites pour les gais, les lesbiennes, les gens mariés, les gens moins beaux, les gens très beaux, les sans gluten, bref, tout et son contraire. Une véritable bouée de sauvetage pour tous les célibataires issus de « petits marchés », typiquement plus isolés. « Imaginez comment faisaient les personnes à la recherche d’un partenaire du même sexe, dans les milieux ruraux, il n’y a pas si longtemps, fait valoir Reuben Thomas. Pour eux, l’internet est un outil inestimable. »

Mais…

Trouvez l’erreur. Malgré l’apparition de tous ces sites, de toutes ces applications, et les milliards de rencontres ainsi provoquées, non, il n’y a pas plus de couples aujourd’hui qu’avant l’internet. « Oui, les moyens de se rencontrer ont changé radicalement », répète le sociologue et expert en rencontres amoureuses Reuben Thomas. Mais bizarrement, « on n’observe pas une augmentation du nombre de personnes en couple ». Pourquoi ? Parions que les observateurs n’ont pas fini d’analyser le dossier…

En chiffres

59 % des adultes croient aujourd’hui que l’internet est un bon moyen de rencontrer l’âme sœur.

20 % des personnes qui se disent aujourd’hui dans une relation se sont rencontrées en ligne. Au sein des couples homosexuels, 70 % se sont rencontrés en ligne.

25 % des Canadiens (18 à 34 ans) se sont déjà inscrits sur un site de rencontres.

16 % ont déjà eu une relation sexuelle avec quelqu’un rencontré en ligne.

Les sites de rencontres comptent davantage d’hommes (52,4 %) que de femmes (47,6 %).

57 millions : nombre d’utilisateurs actifs sur Tinder chaque mois

Des milliards de « swipes » par jour sur Tinder

Sources : eHarmony, Business Insider, Pew Research Center

Le magasinage

Je surfe, donc j’achète

Avant l’internet, il fallait consulter des catalogues comme ceux de Sears, de Radio Shack ou encore de Canadian Tire pour savoir ce qui était offert en magasin, sans garantie, à défaut d’appeler et de réussir à parler à quelqu’un, que le produit convoité serait bel et bien là lors de notre passage en succursale.

Et maintenant ? Encore 80 % du chiffre d’affaires des commerçants de détail se fait en magasin… mais 80 % des internautes se renseignent en ligne avant de se déplacer pour acheter sur place. « Il ne faut pas oublier que 93% des Québécois achètent encore en magasin », précise Léopold Turgeon, PDG du Conseil québécois du commerce de détail.

« Le commerce en ligne a donné plus d’options aux consommateurs. Ils peuvent mieux s’informer. Cela met toutefois plus de pression sur les détaillants : la compétition ne se fait pas seulement avec le compétiteur installé dans la même rue, mais dans le monde entier », explique Raymond Poirier, chef des communications et de la mise en valeur des projets pour le CEFRIO. Sans compter que les géants de la vente en ligne ont mis la barre haut. « Tant pour la disponibilité que pour la rapidité de livraison, les consommateurs québécois s’attendent aux mêmes standards que ceux offerts par Amazon », poursuit l’expert du CEFRIO.

Portrait robot du cyberacheteur québécois

Le Québec achète en ligne…

58 % des adultes font au moins un achat par année en ligne

43 % des cyberacheteurs québécois font de deux à six achats par année

… mais modérément…

22 % des cyberacheteurs ont dépensé plus de 1000 $ en 2017

… et va aussi chercher ses achats sur place

38 % des cyberacheteurs se sont déplacés en magasin au moins une fois dans l’année pour aller récupérer leurs emplettes commandées sur l’internet

9,1 milliards

Total des achats en ligne en 2017 au Québec

27 %

de l’argent dépensé en ligne par des Québécois l’a été sur un site établi dans la province.

Sur quels sites se font les achats ?

Amazon : 58 %

Grands marchands : 56 %

Petits commerçants : 35 %

S’informer en ligne

80 % des internautes québécois effectuent des achats en magasin après s’être renseignés en ligne.

Se renseigner en magasin

51 % des internautes vont se renseigner en magasin avant d’acheter en ligne.

Et continuer à s’informer

48 % des Québécois cherchent de l’information complémentaire sur leur mobile pendant qu’ils sont en magasin.

Palmarès des achats en ligne

Vêtements ou articles de mode : 31 %

Billets de spectacles ou de divertissement : 27 %

Produits électroniques : 24 %

Sources : sondage du magasinage des Fêtes CCCD 2018, Le commerce électronique au Québec, NETendances 2017, vol. 8, no 7.

Le voyage

Beaucoup moins de papier

Avant l’internet, l’agence de voyages était un incontournable lorsque venait le temps de planifier ses vacances à l’étranger. Aujourd’hui, beaucoup de réservations se font en ligne, le nombre d’agences de voyages est en baisse, mais étonnamment pas celui des agents.

À l’époque, ce n’était pas Facebook ou Instagram qui inspirait le voyageur. L’idée germait à la suite d’une conversation avec des amis, après la lecture d’un magazine de voyage ou d’un article dans le journal de samedi ou encore, au souvenir d’un Tintin ou d’un Bob Morane lu pendant l’enfance ou la jeunesse.

On visitait une agence de voyages pour faire le plein de brochures touristiques qu’on allait ensuite feuilleter dans le confort de son foyer. Une fois la décision prise, c’était le retour à l’agence de voyages pour les réservations : forfaits, hôtel, voiture. L’agent de voyage nous remettait le précieux billet d’avion : un petit carnet qui comportait une page pour chaque segment de vol.

On passait par la suite à la librairie pour se munir d’un guide de voyage et d’une série de cartes routières. L’office de tourisme local constituait un arrêt obligé. Tout comme la boutique de souvenirs, pour faire provision de cartes postales, et le bureau de poste.

Au retour, on se précipitait à la boutique de photographie pour faire développer nos précieux films. On passait par la suite quelques soirées à coller les photos dans un album, ou à préparer le diaporama qu’on allait asséner à notre famille et à nos amis.

Maintenant, le voyageur affiche en temps réel, ou presque, quelques photos sur les réseaux sociaux. Pour la famille et les amis, c’est un peu plus digeste qu’une succession de 200 diapositives.

Le nombre d’agences de voyages a passablement diminué au cours des 15 à 20 dernières années au Québec. Ainsi, le nombre de permis est passé de 1075 en 2001 à 770 en 2018.

« Lorsque l’internet est arrivé, il y a eu une certaine attrition. Les points de vente les plus fragiles ont fusionné avec d’autres pour créer des agences un peu plus solides. »

— Jean Collette, président de l’Association des agents de voyages du Québec

Les billets d’avion ont pratiquement disparu, remplacés par des billets électroniques. Les agents de voyages ne semblent pas s’en ennuyer.

« Ça avait une valeur, ces billets-là, se rappelle M. Collette. Quand on recevait une commande de billets, il fallait les assurer et les mettre dans un coffre-fort. »

Les brochures existent encore, mais en moins grand nombre.

« La brochure, c’est encore populaire, indique M. Collette. Le conseiller travaille encore avec ça et la sort sur son bureau lors d’une consultation. »

Les brochures de grandes agences comme Vacances Transat, Vacances Air Canada et Sunwing sont particulièrement volumineuses et peuvent avoir plus de 250 pages.

Par contre, il n’est plus question de se rendre dans les salons de voyage avec des caisses et des caisses de brochures.

« On en offre seulement à ceux qui sont vraiment intéressés », soutient M. Collette.

Il affirme que les agents de voyages, eux, ne sont pas en voie de disparition. Ils sont passés de 8362 au Québec en 2012 à 11 476 en 2017.

« Dès que ça devient complexe, qu’il y a plusieurs fournisseurs (plusieurs destinations, plusieurs fournisseurs), dans la majorité des cas, on a encore recours à un agent. »

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