Chronique

Le temps partagé de Tremblant devant les tribunaux

Si vous aviez besoin d’une autre preuve que le « temps partagé » (time-sharing) est un fâcheux investissement, le mouvement de fronde qui se lève contre le Club Intrawest va vous en convaincre.

Les membres désabusés de ce club, maintenant connu sous le nom d’Embarc, viennent de remporter une première manche devant les tribunaux. Mardi, la Cour supérieure a autorisé une action collective contre le système de vacances à temps partagé qui gère notamment un établissement à Mont-Tremblant.

Le représentant de l’action, Martin Robichaud, allègue que le club empêche ses membres de revendre leurs points, ce qui leur a fait perdre les trois quarts de leur investissement. Il veut être remboursé pour la dépréciation des points ainsi que pour les frais annuels qu’il a dû verser. Il réclame aussi des dommages punitifs de 5000 $ par membre.

Pour M. Robichaud, tout a commencé en 2009 avec une invitation à assister à une présentation de 90 minutes, en échange d’une fin de semaine gratuite au Club.

Dans un « cubicule », le vendeur lui vante les mérites du programme qui permet de séjourner dans l’un des neuf établissements canadiens du Club (Tremblant, Vancouver, Whistler, etc.), et même ailleurs dans le monde, grâce au système d’échange ExtraOrdinary Escapes (EE).

Face aux réticences de M. Robichaud, le représentant assure qu’il pourra revendre ses points à un tiers ou encore demander au Club le rachat de ses points après cinq ans. 

Dans son discours, tout porte à croire qu’il sera facile de récupérer sa mise de fonds de 30 560 $.

M. Robichaud signe. Le représentant débouche le champagne. L’heure est à la fête.

Mais cinq ans plus tard, le programme de rachat par le Club est complètement engorgé. Et la revente des points à un tiers est assujettie à un prix plancher, faute de quoi le programme EE ne s’applique pas, ce qui en diminue considérablement la valeur. Pourtant, ces informations cruciales n’ont jamais été divulguées au moment de la vente, plaide M. Robichaud.

« Les gens ont contracté avec Intrawest sur la base d’informations fausses et trompeuses », ajoute Sébastien Richemond, avocat du cabinet Woods qui pilote le dossier. De son côté, Intrawest préfère ne pas commenter le litige en cours.

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Cette action collective lève le voile sur les énormes défauts de l’industrie du time-sharing, qui a souvent fait les manchettes pour ses pratiques de vente à pression.

Contrairement à ce que certains s’imaginent, les membres de clubs de vacances à temps partagé n’ont aucun droit de propriété. Ils paient un prix exorbitant uniquement pour avoir le droit d’occuper les lieux, ce qui leur impose de payer des frais annuels jusqu’à la fin de leurs jours.

Les chiffres sont décourageants.

En 2009, par exemple, il fallait payer 30 560 $ pour obtenir 160 points du Club Intrawest (191 $ le point) pour avoir droit à une semaine de vacances par année. Les acheteurs qui finançaient l’achat sur 10 ans devaient payer de juteux intérêts de 13,9 %, ce qui ajoutait 24 000 $ à la facture. Aïe ! On est rendu à près de 55 000 $.

Mais ce n’est pas tout. Chaque année, les membres doivent payer des frais de villégiature qui ont grimpé de 1092 $ en 2010 à 1294 $ en 2016, soit bien plus vite que le taux d’inflation.

Comble de frustration, ces frais sont presque aussi élevés que le prix que le club exige présentement sur l’internet pour la location d’une unité à des non-membres (1550 $ pour 4 personnes).

Alors, ne vous demandez pas pourquoi les points des membres ne valent pratiquement plus rien ! Certaines transactions récentes se sont conclues pour à peine 10 $ le point sur des sites internet. C’est presque 10 fois moins que le prix payé en 2009.

Certains membres abandonnent carrément leurs points. D’ailleurs, le Club peut les confisquer à un membre qui n’a pas payé ses frais de villégiature après 18 mois. Le Club peut ensuite les revendre à d’autres consommateurs, au gros prix. Autrement dit, il peut faire de l’argent à répétition avec les mêmes points. La belle affaire !

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Mais voilà que près de 3800 membres insatisfaits ont formé le Groupe des propriétaires du Club Intrawest sur Facebook. Ils réclament plus de transparence, d’équité et de contrôle, résume Patrick Cormier, responsable du comité de coordination des bénévoles de ce groupe.

Patrick Cormier déplore que les réunions du conseil d’administration aient toujours lieu à huis clos et que l’assemblée annuelle soit systématiquement annulée depuis 20 ans, ce qui prive les membres de l’information névralgique.

Les membres, qui possèdent environ 95 % des points, se plaignent aussi de difficulté à réserver une unité durant certaines semaines achalandées, alors que le Club, qui détient 5 % des points, loue des unités à des non-membres pour les mêmes dates sur l’internet. Cela pose un problème d’équité.

Même s’il est minoritaire, le Club contrôle les règles du jeu, car ses propres points ont 15 fois plus de droits de vote que ceux des membres. Ainsi, le Club peut augmenter les frais annuels ou modifier les clubs qui font partie de son réseau, comme cela s’est produit dans le passé, sans que les membres aient un mot à dire.

Pour l’éthique et la saine gouvernance, il faudra repasser.

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