Grève dans la construction

La loi passera-t-elle le test des tribunaux ?

En mettant fin au droit de grève et en y substituant un processus d’arbitrage des différends, le gouvernement du Québec s’assure sans doute de la constitutionnalité de sa loi, croient des spécialistes des questions relatives au droit du travail. Leurs avis divergent toutefois sur la pertinence d’une telle loi à ce stade-ci du conflit.

Constitutionnelle ou pas ?

Le droit de grève est un droit constitutionnel reconnu par la Cour suprême depuis 2015. La loi spéciale du gouvernement Couillard vient suspendre ce droit jusqu’en 2021. Déjà, les syndicats ont qualifié le projet de loi d’illégal. Mais des professeurs pensent autrement.

« Il faut désormais, lorsqu’on veut adopter une loi spéciale, donner le maximum de chance à la négociation, fait remarquer Alain Barré, professeur de droit du travail au département des relations industrielles de l’Université Laval. Je ne suis pas convaincu que la loi va être déclarée inconstitutionnelle pour autant. »

La loi n’impose pas les conditions de travail, indique Michel Grant, professeur associé de relations de travail à l’UQAM, à l’exception des augmentations salariales la première année. Elle propose plutôt une période de médiation d’ici le 30 octobre 2017. En cas d’impasse, le dossier sera confié à un arbitre de différends.

Sur le principe de substitution du droit de grève par un arbitrage de différends, Laurence Léa Fontaine, professeure de sciences juridiques à l’UQAM, croit aussi que la loi serait jugée constitutionnelle. Par contre, la présence de l’article 23 ouvre la porte à une contestation, d’après elle.

Article 23

Mme Fontaine et M. Barré comprennent mal en effet l’intention du législateur avec l’article 23 du projet de loi qui vient encadrer de façon pointue le processus d’arbitrage.

« C’est inédit dans les relations de travail dans la construction », dit Mme Fontaine. Pour elle, l’article 23 ouvre la porte à une contestation constitutionnelle en imposant les thèmes de l’arbitrage. « Dans quelle mesure, quand on impose le cadre de l’arbitrage, on viole ou on ne viole pas un droit constitutionnel ? », se demande-t-elle.

En relations de travail, habituellement, l’arbitre règle ce qui reste de litiges. Selon le projet de loi 142, l’arbitre tranchera ce que la ministre du Travail lui dira de trancher.

Le patronat, par la voix de l’Association de la construction du Québec, a d’ailleurs déploré ce nouveau pouvoir que se donne la ministre du Travail.

Pour Alain Barré, les parlementaires feraient œuvre utile en biffant l’article 23 qui vient complexifier inutilement le processus d’arbitrage.

Arbitrage

Malgré cette réserve, le projet de loi 142 a une grande qualité, aux yeux du professeur Barré. « Le fondamental, c’est que le régime normatif, l’ensemble des conditions de travail à part les salaires, peut être modifié, se réjouit Me Barré, qui avait fait la suggestion de l’arbitrage de différends dans notre numéro de vendredi dernier. À partir du moment où tu confies ça à un arbitre implicitement, tu dis que des choses peuvent être modifiées des fois à l’avantage des syndicats, des fois à l’avantage du patronat. Dans tous les cas, le régime normatif n’est plus figé. »

Intervention trop précoce

La professeure Fontaine, par contre, trouve injustifiée la présentation d’une loi spéciale après seulement cinq jours de grève. « Est-ce que ça mérite que la grève soit arrêtée tout de suite ? Je n’en suis pas du tout convaincue. Ça ne laisse pas grand place à l’exercice de la grève. On vient mettre fin au rapport de force des syndiqués. C’est la partie patronale qui a le gros bout du bâton », dit-elle.

Elle aurait aussi préféré que le gouvernement justifie, dans ses notes explicatives au projet de loi, les raisons pour lesquelles il intervient et interdit le droit de grève, un droit constitutionnel, souligne-t-elle.

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