Grand Prix de Montréal

Ulissi surprend les favoris

L’Italien était motivé. Et il n’avait pas l’intention de se laisser moucher comme l’année dernière.

Grand Prix de Montréal

« La course parfaite pour moi »

À quatre kilomètres de l’arrivée, il a saisi le micro accroché à son maillot de champion mondial pour sonner les renforts. Mais plus personne de son équipe ne répondait à l’appel. L’échappée était juste là, une dizaine de secondes devant, mais il ne pouvait se permettre cet ultime effort, au prix duquel il se serait condamné pour le sprint final.

Et quand on se nomme Peter Sagan, les alliés se font généralement rares. Il y a bien Tom Dumoulin (Sunweb) qui s’est sacrifié pour la cause de son coéquipier Michael Matthews, mais même le champion du Tour d’Italie, l’un des meilleurs rouleurs au monde, ne pouvait rien contre les six fuyards qui sentaient l’odeur de la victoire.

Le plus motivé d’entre eux s’appelait Diego Ulissi, qui avait fini troisième l’année précédente et qui n’avait aucune intention de se laisser moucher une autre fois par le champion olympique Greg Van Avermaet et Sagan. L’Italien d’UAE Team Emirates s’est donc mis au boulot quand le Français Tony Gallopin, un autre habitué de la troisième marche du podium (3e en 2014), s’est lancé avec 1,5 km.

Ulissi a parfaitement géré son retour sur Gallopin dans le faux plat montant sur l’avenue du Parc, laissant le malheureux Jan Bakelants (4e) prendre le vent et amorçant son sprint avec 150 mètres à faire.

Le puncheur de 28 ans s’est nettement imposé devant le champion espagnol Jesus Herrada, revenu de loin pour prendre le deuxième rang, et le Néerlandais Tom-Jelte Slagter, qui n’a pas été en mesure de concrétiser le travail magistral abattu toute la journée par ses coéquipiers de Cannondale.

Une première

Après six étapes au Tour d’Italie, Ulissi a ainsi remporté le Grand Prix cycliste de Montréal, sous un soleil généreux hier, sa première victoire dans une course d’un jour de niveau WorldTour.

« Pour tout coureur italien, gagner au Giro est bien sûr un rêve, mais j’espérais avoir l’occasion de gagner une classique, et le Grand Prix de Montréal était la course parfaite pour moi », a réagi le Toscan par l’entremise d’un interprète en conférence de presse. 

« L’an dernier, j’ai terminé troisième derrière deux grands champions comme Peter [Sagan] et Greg [Van Avermaet]. Cette année, j’ai essayé d’être un peu plus brave, d’attaquer plus tôt et d’essayer de gagner. »

— Diego Ulissi

Sans avoir le lustre de celui du GP de Québec deux jours plus tôt, où les bouquets sont revenus à Sagan, Van Avermaet et Matthews, le podium montréalais a consacré trois coureurs de grand niveau et surtout constitué un dénouement approprié à une épreuve à haut suspense.

Indolent vendredi dans le Vieux-Québec, le peloton n’a cette fois pas tardé à réagir à l’échappée matinale formée par les deux Canadiens Matteo Dal-Cin et Ben Perry, partis au pied de la première ascension de la voie Camillien-Houde.

L’équipe Cannondale-Drapac, sauvée de la dissolution grâce à l’arrivée in extremis d’un nouveau commanditaire la veille, a fait honneur en prenant rapidement les commandes. Sous l’impulsion des hommes en vert lime (mention à Alex Howes), un dangereux groupe d’une quarantaine de coureurs s’est détaché, avec à bord Van Avermaet et Matthews.

Sagan impatient

À mi-course, même Sagan s’est impatienté, s’extirpant du peloton reformé avec un équipier au sommet de Camillien-Houde. Décidément, il fallait rester attentif.

L’aventure de Dal-Cin et Perry s’est terminée après 120 kilomètres. Les deux compagnons se sont fait l’accolade avant d’être repris.

Ce fut ensuite au tour d’Ian Boswell et de l’Érythréen Natnael Berhane de tenter leur chance, suivis de l’Australien Albassini et de l’Italien Ravasi. Le Québécois Antoine Duchesne a voulu se joindre à eux en sortant dans Camillien-Houde, mais il y avait des passagers dans son groupe de contre et ça n’a pas fonctionné.

Avec le peloton regroupé de nouveau, Guillaume Boivin a attaqué seul dans le chemin de la côte Sainte-Catherine, avec un peu plus de trois tours du circuit à faire. Alberto Bettiol, un autre Cannondale, l’a rattrapé dans Camillien-Houde, mais Boivin n’a même pas essayé de s’accrocher au puissant Italien. Il a tenté de se joindre à un groupe de poursuivants avant de se résigner.

À l’avant-dernier passage au sommet de la montagne, Bakelants a relancé les débats. « À l’image de Québec, c’était une course d’attente et ça commençait un peu à m’énerver », dira le Belge d’AG2R La Mondiale.

Ulissi, Herrada et Slagter l’ont suivi. Le moment était décisif, comprendront trop tard Sagan et les autres.

Grand Prix cycliste de Montréal

Le classement

1. Diego Ulissi (ITA) 5 h 22 min 29 s

2. Jesus Herrada (ESP) m.t.

3. Tom-Jelte Slagter (PBS) m.t.

4. Jan Bakelants (BEL) m.t.

5. Bauke Mollema (PBS) m.t.

6. Tony Gallopin (FRA) à 6 secondes

7. Greg Van Avermaet (BEL) à 11

8. Michael Matthews (AUS) à 16

9. Peter Sagan (SLO) à 16

10. Sep Vanmarcke (BEL) à 16

11. Alexis Vuilleermoz (FRA) à 16

12. Tim Wellens (BEL) à 16

13. Petr Vakoc (TCH) à 16

14. Jasper Stuyven (BEL) à 16

15. Tiesj Benoot (BEL) à 16

Deux gars fiers

Antoine Duchesne et Guillaume Boivin ont le sentiment du devoir accompli

« Est-ce juste moi qui a mal aux pattes ? », s’est demandé Antoine Duchesne après avoir franchi 6 des 17 boucles du Grand Prix de Montréal, hier. En observant le faciès de ses collègues, le cycliste québécois a compris qu’il n’était pas seul dans son état.

Meilleur Canadien de l’épreuve avec une 42e place, à 1 min 40 s du gagnant Diego Ulissi, Duchesne avait l’impression de « revenir de loin » après deux mois de galère et une saison à ranger au rayon des mauvais souvenirs.

« Je suis content d’avoir pu revenir, je pense, à mon 100 % », a confié le leader de l’équipe canadienne, toujours à la recherche d’un contrat pour l’année prochaine. « Je n’étais pas plus fort que ça aujourd’hui. C’était une course très, très difficile du début à la fin. Je ne peux pas être déçu. »

Avec quatre tours à faire, Duchesne est parti en contre avec un petit groupe dans l’espoir de rejoindre l’échappée. La manœuvre a été vaine, faute d’une meilleure collaboration de la part de coureurs de Bora et BMC, coéquipiers de Greg Van Avermaet et de Peter Sagan.

« Je ne suis pas un des favoris ni le meilleur finisseur, mais je me sentais bien, alors je me suis dit “je vais tenter quelque chose”, a expliqué le natif de Saguenay. Ç’aurait pu être bon, mais il y a trois autres coureurs des grosses équipes qui ne roulaient pas. Malheureusement, ça n’a pas tenu. »

Au passage suivant, Duchesne a pris « un gros coup au moral » en constatant qu’il restait une boucle de plus que ce qu’il avait calculé… Il s’est accroché, mais a raté le coche à quelques hectomètres du sommet dans la dernière ascension de Camillien-Houde.

« Je suis quand même très content. Les gars m’ont vraiment aidé du mieux qu’ils le pouvaient, le plus longtemps possible. Ça n’a pas été une année facile. Je suis content de retrouver ce niveau-là à deux semaines des championnats du monde. »

Canette de bière à la main, Guillaume Boivin avait lui aussi le sentiment du devoir accompli. Le Montréalais de la formation Israel Cycling Academy a terminé 51e, dans le même groupe que Duchesne.

« Pour la première fois dans l’histoire du Grand Prix, l’échappée est partie vraiment facilement dans la première bosse, a-t-il noté. Les gars qui ont de l’expérience savaient que c’était juste le calme avant la tempête. »

Boivin estime que plus des deux tiers de l’épreuve de 205,7 kilomètres se sont effectués à un rythme « vraiment rapide ». « Je pense que les Cannondale voulaient faire une course vraiment difficile. Je ne sais pas de quoi ça avait l’air de l’extérieur. Sur le plat, ça ne roulait pas tant que ça, mais chaque fois qu’on montait Camillien-Houde et Polytechnique, ils écrasaient ça avec un rythme assez solide. C’est rare. D’habitude, le final commence avec trois ou quatre tours à faire. Aujourd’hui, il restait huit tours et demi quand c’est parti. »

Dans les circonstances, Boivin a senti qu’une échappée avait des chances de se rendre. Il a donc anticipé les choses en attaquant avec un peu plus de trois tours à faire, se donnant une priorité d’une quinzaine de secondes sur le peloton.

« J’espérais que les gars rentrent sur moi et que je puisse joindre le coup, a-t-il expliqué. Quand ils sont passés à côté de moi dans la bosse, je n’avais pas les jambes pour suivre. Je ne peux rien dire d’autre. Je suis fier de la façon dont j’ai couru, je n’ai pas de regrets, ce sont les jambes que j’avais. »

Boivin retrouvera Duchesne et Hugo Houle, qui vient de finir le Tour d’Espagne, aux Mondiaux de Bergen dans deux semaines.

Ils ont dit

« Dans le sprint, je suis parti un peu trop fort. Je croyais que je pouvais faire 500 mètres à bloc, mais les 200 derniers mètres, quand ça bascule [sur le plat], je perdais de la puissance. Ulissi me repasse, j’ai craqué, et deux autres aussi [me dépassent]. Je ne fais pas de podium, ça fait mal, mais j’avais de bonnes jambes. »

— Jan Bakelants (AG2R La Mondiale), malheureux quatrième, comme son coéquipier Alexis Vuillermoz vendredi à Québec

« Je voulais jouer le tout pour le tout. Gagner ou être sixième. Je n’avais pas envie d’avoir des regrets, d’attendre le sprint et de faire deux ou trois. J’avais vraiment à cœur de gagner aujourd’hui. J’ai tout tenté et il y avait plus forts que moi. […] C’est un sprint très long, et un coureur comme Ulissi a réussi à bien rester à l’abri. C’est déjà un coureur rapide. Là, il n’y avait pas grand-chose à faire. »

— Tony Gallopin (Lotto Soudal), sixième et auteur d’une attaque dans les deux derniers kilomètres

« On a montré à tout le monde à quel point on était forts. On est la seule équipe qui voulait prendre le contrôle. Pour revenir sur les deux échappés – et même après dans les deux derniers tours où tout le monde était pleins gaz. Le peloton était gros, et je savais que les favoris allaient attendre. C’était notre chance, et on a réussi à rester devant à la fin. Bien sûr, je suis heureux de monter sur le podium, mais j’aurais préféré être sur la plus haute marche. »

— Tom-Jelte Slagter (Cannondale-Drapac), troisième

Propos recueillis par Simon Drouin, La Presse

Froome parmi les géants

Le Britannique a scellé hier un légendaire doublé Tour de France-Tour d’Espagne

Madrid — Christopher Froome entre dans la légende du cyclisme : le Britannique a accompli un exploit en remportant hier la première Vuelta de sa carrière et en scellant en l’espace de deux mois un somptueux doublé Tour de France-Tour d’Espagne, inédit la même saison depuis 1978.

Vainqueur en juillet de son quatrième Tour de France, le longiligne leader de l’équipe Sky est remonté sur son vélo moins d’un mois plus tard pour dominer enfin l’épreuve espagnole, où il avait échoué trois fois à la deuxième place (2011, 2014, 2016).

« Ces trois derniers mois ont été un tourbillon », a reconnu Froome en recevant un trophée commémoratif de ce doublé sur le podium dressé place de Cibeles, à Madrid. « Merci à tous ceux qui ont fait partie de cette aventure. »

Christopher Froome est le premier Britannique à inscrire son nom au palmarès de la Vuelta, où il succède au Colombien Nairo Quintana, vainqueur en 2016.

Surtout, « Froomey » inscrit son nom parmi les géants de son sport : il a égalé les Français Jacques Anquetil (1963) et Bernard Hinault (1978), les deux seuls coureurs avant lui à avoir remporté ces deux Grands Tours la même année.

Le natif de Nairobi, au Kenya, est le premier à réussir le doublé Tour-Vuelta dans cet ordre depuis le repositionnement à la fin de l’été de la course espagnole, disputée au printemps avant 1995.

Ce qui en dit long sur les capacités de résistance de Froome : le 23 juillet, revêtu du maillot jaune, il levait les bras sur les Champs-Élysées à Paris, et moins d’un mois plus tard, le 21 août, il endossait le maillot rouge de leader de la Vuelta lors de la troisième étape à Andorre.

Chaudes larmes

Malgré une rude opposition et une course débridée, Froome est parvenu à garder sa tunique jusqu’au Paseo del Prado, hier à Madrid, où l’Italien Matteo Trentin (Quickstep) s’est imposé au sprint pour remporter sa quatrième victoire d’étape dans cette édition.

Le coureur britannique a modestement expliqué qu’il avait abordé la Grande Boucle un peu moins en forme que d’habitude, histoire de garder de la fraîcheur pour son grand pari : remporter enfin la Vuelta, cette épreuve qui lui tenait à cœur parce qu’il s’y était révélé en 2011 et pour laquelle il a pleuré à chaudes larmes samedi, une fois sa victoire assurée.

En ramenant le maillot rouge à Madrid, Froome donne tort à ceux qui ne voyaient en lui qu’un coureur programmé pour briller en juillet. Et il offre à Sky une première victoire sur une autre course de trois semaines que le Tour de France, apportant un peu de réconfort à une formation visée par une enquête au Royaume-Uni, notamment sur l’utilisation des autorisations à usage thérapeutique.

L’Italien Vincenzo Nibali (Bahreïn), deuxième, et le Russe Ilnur Zakarin (Katusha), pour la première fois sur le podium d’un Grand Tour, ont complété le trio de tête final.

Le Canadien Michael Woods (Cannondale-Drapac) a démontré qu’il sera un cycliste à suivre au cours des années à venir alors qu’il a conclu le Tour d’Espagne avec une brillante septième place.  Woods a accusé un retard de 8 minutes 27 secondes, alors qu’Hugo Houle (AG2R- La Mondiale), de Sainte-Perpétue, a pointé en 115e place, à 4 heures 3 minutes 18 secondes du gagnant.

« L’équipe a cru en moi avant n’importe quelle autre équipe du World Tour. Cela veut dire beaucoup pour moi et c’est en bonne partie pour ça que je signe à nouveau avec elle. La formation a joué un grand rôle dans mon développement et c’est avec elle que je me sens comme à la maison », a commenté Woods à VeloNews.

Houle a terminé le troisième grand tour de sa carrière après avoir pris part aux éditions 2015 et 2016 du Tour d’Italie.

L’adieu à Contador

Quant à l’Espagnol Alberto Contador (Trek), dont c’était la dernière course avant de prendre sa retraite à 34 ans, il a fini cinquième du classement général, non sans avoir fêté ses adieux en remportant samedi l’étape-reine au sommet du mythique col de l’Angliru.

Le peloton a d’ailleurs laissé le champion madrilène pénétrer seul en tête dans les rues de la capitale espagnole, comme un hommage à sa longue et fructueuse carrière : le « Pistolero », triple lauréat de la Vuelta, restera comme l’un des six coureurs à avoir remporté les trois Grands Tours (France, Italie, Espagne), malgré les retraits du Tour de France 2010 et du Giro 2011 pour dopage.

« Je crois que c’est le moment de laisser la place à d’autres coureurs. J’ai toujours voulu tirer ma révérence au plus haut niveau », a réagi Contador, qui a été longuement applaudi sur le podium en venant recevoir son prix de super-combatif.

Rejoindre ce cercle très fermé des collectionneurs de Grands Tours est le nouveau défi qui s’offre à Froome, qui n’a plus que le Tour d’Italie à conquérir.

Mais avant de viser le maillot rose du Giro, le Britannique a fait le plein de tuniques, hier : outre le maillot rouge du classement général, il a aussi gagné le maillot blanc du combiné et participé au sprint massif pour préserver son maillot vert du classement par points menacé par Trentin. Quant au maillot du meilleur grimpeur, il a été décroché par l’Italien Davide Villella (Cannondale).

— Avec Sportcom

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