Direction d'entreprises

Des PDG qui durent

Louis Audet quitte Cogeco après 25 ans à titre de président et chef de la direction. « Il faut reconnaître qu’à un certain moment, c’est le temps de passer le flambeau. […] Ça renouvelle la direction, ça amène une énergie neuve et du sang neuf », a dit cette semaine le dirigeant de 67 ans. Être PDG pendant de nombreuses années, est-ce bon pour la destinée d’une entreprise ? Des spécialistes répondent à la question.

Présence moins longue

Les exemples de longévité à la tête de grandes entreprises ne manquent pas, mais les PDG restent de moins en moins longtemps en poste dans une entreprise. « Les mandats diminuent depuis 20 ans », note Karl Moore, professeur de la faculté de gestion Desautels de l’Université McGill.

La moyenne serait de trois à cinq ans, estime Louis Hébert, professeur titulaire du département de management de HEC Montréal. « C’est une question d’attente des marchés, des actionnaires, de résultats, dit-il. Les changements dans le marché demandent des changements de stratégie et de développement de l’organisation. »

La patience des entreprises familiales

Les Audet, Beaudoin, Saputo, Bensadoun, Péladeau… Les règnes des patrons sont toutefois plus longs dans les entreprises familiales. « Ces dirigeants ne sont pas soumis aux mêmes pressions externes, juge Louis Hébert. Cela dit, toute entreprise sérieuse va avoir un plan de succession de toute la direction et un plan de contingence pour les postes supérieurs. Car il faut assurer la pérennité de l’organisation. »

« Dans le cas de Cogeco, la relève n’était pas présente au sein de la famille, analyse Laure Cohen Van Delft, coach de gestion pour dirigeants de SmARTCoaching. Ça demande donc du courage pour un leader d’aller chercher à l’interne [quelqu’un qui n’est pas de sa famille]. Louis Audet a très sagement et méticuleusement préparé sa relève et sa sortie. »

Le cas Louis Audet

Le dirigeant de Cogeco a franchi quelques obstacles (comme l’échec de l’aventure de l’entreprise au Portugal) sans que son leadership soit remis en cause. « Comment une seule et même personne a pu si bien passer à travers plusieurs cycles de vie de son entreprise ? se demande Laure Cohen Van Delft. Ce n’est pas évident. Ça prend quelqu’un d’intuitif, de talentueux, de curieux, et qui a une capacité d’apprentissage hors du commun. Être bon en affaires signifie de comprendre les clients, la stratégie et les employés. Je suis certaine que Louis Audet n’est pas un technocrate. »

À la tête pendant des décennies

Rester 30 ans en poste ? Longévité peut égaler santé, selon Louis Hébert. « Ça dit que ces entreprises vont très bien, analyse-t-il. Elles ont une trajectoire stable et claire. Le modèle est bien défini. Ce n’est pas mauvais en soi. Alain Bouchard, d’Alimentation Couche-Tard, a mis en place une solide stratégie de fusions-acquisitions. Là, il s’est dégagé des opérations quotidiennes et est au C.A. C’est une autre façon de voir la durée. »

« Il arrive un moment où il faut se retirer, dit Karl Moore. Mais Laurent Beaudoin, par exemple, qui a dirigé longtemps Bombardier, était un grand entrepreneur, un génie. Ce fut difficile de trouver un remplaçant. Alain Bouchard a fait croître Couche-Tard de façon remarquable. Même chose pour Guy Laliberté avec le Cirque du Soleil. Ce sont de grands leaders. »

Rester longtemps permet par ailleurs d’avoir une vision à long terme de l’organisation. « Si ce n’était pas du contrôle familial au C.A. des Beaudoin, la C Series serait morte ! note Karl Moore. Laurent Beaudoin a voulu donner un legs à sa famille. Alors que les actionnaires ont l’attention d’un poisson rouge. »

Les redresseurs

Il y a toutefois ceux qui sont appelés en renfort pour redresser des entreprises, les restructurer, prendre des décisions difficiles et faire des mises à pied. Par conséquent, leurs mandats ne s’éternisent pas. « Certains et certaines PDG ont des expertises particulières, raconte Louis Hébert. Reconstruire ensuite demande d’autres atouts. On demande à certains de venir quand on veut faire une offre publique, ou quelqu’un qui sait parler aux analystes, ou qui est crédible vis-à-vis des marchés. Alain Bellemare, de Bombardier, est un bon exemple. On est allé chercher le Québécois francophone le mieux connu et coté dans toute l’industrie aéronautique. L’attirer a envoyé un message fort. »

Savoir néanmoins partir

On dit que les « vrais » leaders vont savoir quand céder leur siège, car rester longtemps peut parfois symboliser le déni. « Rester peut conduire à une gestion en angle mort, dit Louis Hébert. À partir d’un certain temps, le dirigeant peut avoir une vision étroite. En prenant de l’expérience, il y a des dangers qu’il expérimente moins. C’est humain. Mais les brillants réussissent à manœuvrer au goût du jour. »

« Oui, le PDG symbolise l’historique de l’entreprise, mais un long règne peut aveugler, ajoute Karl Moore. On a peut-être appris de bonnes leçons dans le passé pour l’époque, mais qui ne sont pas applicables et pertinentes actuellement. Des recherches démontrent que les PDG qui restent en poste trop longtemps connaissent moins les besoins de leurs clients, s’éloignent de leurs employés et pensent tout savoir. »

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