Opinion Sylvain Charlebois

GUIDE ALIMENTAIRE CANADIEN Un bon guide aux arômes condescendants

Santé Canada a finalement dévoilé son nouveau Guide alimentaire. Il était temps, grand temps.

Les groupes alimentaires et les portions n’y figurent plus et cèdent leur place à une assiette simplifiée, séparée en trois : fruits et légumes, fibres, protéines. Une photo percutante et franchement appétissante. Une approche scientifique rigoureuse, difficilement réfutable, mais il manque cependant une touche d’humanité à ce Guide qui fait preuve d’un brin de condescendance.

L’assiette : choix éclairé

Commençons par ce qu’il y a de bon. D’abord, utiliser la symbolique de l’assiette représente un choix éclairé. La suggestion de proportions au lieu de portions est une mesure que tout le monde peut comprendre. Il devenait aussi urgent de mettre en lumière toute la gamme de choix de protéines. Dans l’ancienne version, la domination laitière et animale isolait de plus en plus le Canada des autres pays industrialisés. La formule devient succincte et claire.

Cela dit, le ton du document nous laisse croire que Santé Canada veut en finir avec les produits transformés, l’ennemi numéro un des diététistes et des nutritionnistes. Les mots « prix », « sécurité alimentaire », « budget » et « abordable » figurent rarement dans le document, à deux ou trois reprises tout au plus, et chaque fois, c’est en lien avec les produits transformés.

Le secteur de la transformation agroalimentaire emploie 300 000 personnes au Canada et plusieurs de ces entreprises créent de la valeur pour notre économie et innovent sans cesse. Plusieurs d’entre elles se situent au Québec, font des produits de haute qualité et remportent même des prix à l’international.

Rejeter de façon plutôt cavalière la contribution de ces entrepreneurs et employés du secteur de la transformation frôle l’injure.

Et pour en rajouter, ces produits proviennent de chez nous.

Le second problème du Guide réside dans le fait qu’on y trouve peu d’allusions à la sécurité alimentaire. Par exemple, la proportion de fruits et légumes occupe carrément la moitié de l’assiette. Or, le prix des légumes frais a augmenté de 14 % en un an au Canada. Les pommes, de 11 %, les tomates, de 19 % et la laitue, de 39 % en 12 mois seulement. Les fruits et légumes représentent la catégorie alimentaire qui affiche les prix les plus volatils. Il y a le surgelé, bien sûr, mais il n’en demeure pas moins que notre économie agroalimentaire reste très vulnérable, surtout en hiver. Il va falloir penser à soutenir notre filière horticole et augmenter notre capacité de production toute l’année.

Certains ont remarqué avec justesse à quel point le Guide alimentaire ressemble aux directives alimentaires brésiliennes. Preuve que le Canada fait simplement du rattrapage. Comme au Brésil, notre guide s’aventure maintenant dans l’aspect comportemental. « Manger avec d’autres personnes », « cuisiner » : ce genre de directives fait preuve de bon sens, mais des indications générales comme « savourez vos aliments » ou « restez vigilants face au marketing alimentaire » vont un peu trop loin. Le consommateur connaît déjà ces consignes.

Finalement, il apparaît clair que le Guide a été préparé par un groupe de personnes hautement qualifiées dans un ou deux domaines de recherche bien précis. Le comité directeur se composait principalement de nutritionnistes, de diététistes et de deux spécialistes en science environnementale. Tous des chercheurs privilégiés de la société qui saisissent peut-être mal les autres aspects de notre système agroalimentaire. Le groupe et le Guide témoignent des préoccupations de l’élite alimentaire. La plupart des membres du comité partagent les mêmes bases théoriques, proviennent des mêmes écoles et pensent de la même façon.

Le manque d’hétérogénéité intellectuelle va à l’encontre d’un processus scientifique digne de ce nom.

La science permet habituellement aux débats et aux échanges d’idées d’émerger, mais ce n’était pas le cas. L’exclusion du lobby agroalimentaire puissant nous réjouit, mais il y a fort à parier que l’ajout de sociologues, d’historiens, d’économistes, d’experts en politiques publiques et de certains organismes à but non lucratif aurait enrichi les discussions.

L’un des principaux legs du nouveau Guide alimentaire réside dans la diversification de nos aspirations alimentaires. Le modèle devient plus moderne, plus urbain et surtout plus « féminisé » que jamais, et c’est tant mieux. On a souvent associé la viande à un menu pour hommes et nous mangions nos steaks et nos patates sans vraiment nous poser de questions.

Le manque de diversité idéologique dans le secteur agroalimentaire crève les yeux et ce guide pourra stimuler certaines entreprises à penser différemment.

S’il y a une chose que le Guide devrait accomplir, c’est de laisser la place à une flexibilité accrue et une variété alimentaire élargie pour que l’on puisse découvrir autre chose.

Espérons que nous n’aurons pas à attendre encore 12 ans avant de voir le prochain Guide. D’ailleurs, son lancement en a fait sourciller quelques-uns. Santé Canada traitait son dévoilement comme si l’agence s’apprêtait à annoncer l’emplacement de la tombe de Cléopâtre. Il s’agit d’un document influent certes, mais qui mérite surtout un cycle de révision plus fréquent.

* Sylvain Charlebois est également directeur scientifique de l’Institut des sciences analytiques en agroalimentaire.

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