Qui a encore réchauffé du poisson ?

Les odeurs de poisson réchauffé vous sont-elles insupportables à l’heure du lunch ? Vos collègues laissent-ils des restes dans le réfrigérateur pendant des mois ? Votre jus a-t-il disparu ? Bienvenue au bureau. Là où le savoir-vivre laisse parfois à désirer.

« C’est incroyable ! s’exclame Julie Blais Comeau, spécialiste de l’étiquette. Il y a des histoires invraisemblables sur les lunchs au bureau ! », lance-t-elle.

« Un billet de 5 $ a déjà remplacé ma salade de poulet dans le réfrigérateur du bureau et je n’ai jamais retrouvé la personne coupable », rappelle la journaliste Manon Chevalier.

Marie-Diane Faucher, auteure de La politesse au travail, se souvient d’un collègue qui faisait réchauffer, trop souvent, du chou-fleur.

« Il a fallu interdire certains aliments qui sentaient trop mauvais, car les gens se plaignaient. »

— Marie-Diane Faucher

Elle observe que de très nombreux bureaux sont à aire ouverte et qu’en plus, il est souvent impossible d’ouvrir les fenêtres, alors comment aérer et faire disparaître les odeurs ? « En aire ouverte, ça demande plus de conscience de l’autre », estime-t-elle.

Francis Brisebois travaille dans une grande entreprise et adore les sardines, calmars et pieuvres en conserve. « Peut-être est-ce plus l’aspect visuel peu ragoûtant que l’odeur ? s’interroge-t-il. Je n’ai jamais été rejeté pour ça, mais je vois bien que mes collèges ne semblent pas apprécier mes sardines ! En tout cas, ça sent moins fort que le poisson réchauffé. Ce n’est pas interdit, mais si une personne mangeait du poisson chaque jour, ça deviendrait un problème, ça fait partie du bon comportement que de penser aux autres. »

Selon un sondage réalisé par Forum Angus Reid pour Rubbermaid en 2017 sur les habitudes de cuisine en entreprise, 67 % des répondants disent avoir des sentiments négatifs à l’égard d’un collègue si ce dernier ne contribue pas à maintenir la propreté de la cuisine commune. Le comportement le plus inconvenant au bureau est de laisser le four à micro-ondes plein d’éclaboussures (37 %), d’empiler des assiettes sales dans l’évier au lieu de les mettre au lave-vaisselle (28 %) et de réchauffer ou consommer des aliments dégageant de fortes odeurs (21 %).

Et qui sont les coupables ? « Les hommes (62 %) plus que les femmes sèment le désordre dans les cuisines de bureau, ça vous surprend ? », s’exclame Julie Blais Comeau en se référant au sondage. Elle pense qu’il va bientôt y avoir des caméras de surveillance dans les cuisines, car « le vol de lunch, ça arrive plus souvent qu’on le croit », dit la fondatrice du site etiquettejulie.com.

« Il existe des sacs en plastique à sandwich avec de la fausse moisissure pour que les collègues ne le prennent pas ! On en est là ! Vous imaginez ! »

— Julie Blais Comeau, spécialiste de l’étiquette

On peut effectivement se procurer sur différents sites, dont Amazon, toutes sortes de gadgets inusités pour éloigner les voleurs : des sacs de plastique avec de faux insectes, un sac à lunch « Human organ for transplant », un sac cadenassé « It’s not your lunch », un compartiment grillagé qu’on installe dans le réfrigérateur avec un cadenas. 

Florence Rossignol raconte qu’en faisant le ménage du réfrigérateur du bureau (qui était très sale), elle a jeté le sandwich d’un collègue. « J’ai dû aller le chercher ! Je me revois, debout, dans l’immense conteneur de l’immeuble, fouillant parmi tous les déchets. Je l’ai retrouvé, et le pire, c’est que mon collègue l’a mangé ! », se rappelle-t-elle.

Chan Tep pense qu’on vit dans un monde aseptisé. « Les gens sont de plus en plus intolérants aux odeurs. Je suis d’origine cambodgienne, j’aime bien manger des plats épicés de mon pays où il y a souvent de l’ail, des oignons et du poisson ! », lance la productrice et animatrice. Le poisson, elle l’a laissé tomber, car dans les bureaux où elle travaille à temps partiel, il y a une consigne affichée au-dessus des fours à micro-ondes. Il y est inscrit qu’on ne peut pas faire réchauffer de poisson, car l’odeur est trop forte et dérangeante. « “C’est ça, ton lunch ? Ça sent fort !” Ces commentaires sont désagréables, remarque Chan Tep, mais on les entend trop souvent. Les gens jugent les lunchs des autres, pas seulement à l’odeur, ils vérifient aussi si c’est un repas santé ou pas ! »

Comment aborder le problème ?

Julie Blais Comeau observe que des gens laissent des notes anonymes (au sujet des mauvaises odeurs) sur les bureaux des collègues ou dans les cuisines communes. « Ce n’est pas une bonne idée, ça crée un sentiment de paranoïa. »

Élise Corriveau, membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, pense qu’on a tendance à banaliser ces petites sources d’irritation, qui peuvent s’accumuler et prendre des proportions inimaginables. « Ça engendre des malaises et frustrations qui existent dans les milieux de travail, et très souvent, les gens ne sont pas outillés pour bien les communiquer. Il faut trouver la façon de les aborder correctement avec tact et respect, car très souvent les communications sont malhabiles et accusatrices », observe la consultante spécialisée en prévention et règlement des différends en milieu de travail.

« Les employeurs doivent être sensibles à cela, car ces petits manquements de savoir-vivre, ce sont des petites violences au quotidien qu’on tolère. »

— Élise Corriveau

Élise Corriveau suggère de faire des mises au point afin de favoriser des rapports plus sains entre les individus. « On est confronté aux différences de chacun. Les habitudes alimentaires ou vestimentaires ne sont pas les mêmes, et le mieux-vivre au travail est un thème de plus en plus exploré par les entreprises. Quelle est la norme qui permet à tout le monde de trouver le respect ? Comment concilier les intérêts et besoins de chacun ? Ça renvoie à une responsabilité individuelle et collective à la fois. Il faut réfléchir à ce vivre-ensemble qui doit être une préoccupation des gestionnaires », conclut-elle.

les règles à suivre

Julie Blais Comeau et Marie-Diane Faucher nous donnent quelques conseils.

Être propre

Chaque personne doit être propre et responsable. Nettoyer le micro-ondes ou la cafetière après l’avoir utilisé. Ramasser après son passage, faire la vaisselle, nettoyer le comptoir et les tables utilisées. 

Respecter les endroits désignés

Manger aux endroits désignés (si on dérange à son bureau). Jeter les restes de lunch dans les endroits ou poubelles désignés, car là aussi, il y a des odeurs qui se dégagent dans les bureaux.

Identifier ses biens

Écrire son nom sur certains produits (des jus ou bouteilles) déposés dans le réfrigérateur.

Vider le frigo

Vider et nettoyer au besoin le réfrigérateur, le vendredi. Il y a dans certains bureaux la « brigade du Réfrigérateur ». On nomme à tour de rôle des responsables de la propreté, car il ne faut pas que ce soit toujours les mêmes.

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