OPINION  NÉGOCIATIONS SALARIALES

L’austérité, la justice et les singes

Si les administrateurs donnaient l’exemple, la volonté des professeurs de se serrer la ceinture augmenterait de manière significative.

Le sens de la justice est en partie inné et, semble-t-il, hérité de nos cousins, les singes. Lorsque deux singes accomplissent une même tâche et qu’on récompense l’un avec un concombre et l’autre avec un raisin, celui qui a reçu le concombre risque de le lancer au visage du chercheur. Oui, les singes préfèrent nettement les raisins aux concombres. Quand un être humain se sent traité de façon injuste, il se comporte de manière similaire. Dans un contexte d’austérité où la taille du gâteau diminue, les individus sont particulièrement sensibles aux questions de distribution.

Récemment, le syndicat des professeurs de l’Université de Montréal a rejeté à 95,5 % la nouvelle convention collective proposée par l’administration. Certains blâmeront ce résultat par l’écart considérable entre les demandes du syndicat et l’offre de l’administration, par exemple les points concernant le régime de retraite, la primauté de la convention collective ou le statut des professeurs sous octroi. Il est vrai que les différences relatives à ces clauses particulières demeurent importantes. Mais concentrons-nous pour l’instant sur les concombres et les raisins.

Depuis 2010, l’année d’entrée en fonction du recteur actuel de l’Université de Montréal, Guy Breton, les professeurs ont obtenu trois augmentations salariales de 2 %, ce qui correspond à peu près au statu quo en termes réels étant donné le taux d’inflation durant la même période. En parallèle, les salaires de membres du rectorat ont augmenté en moyenne de 16,5 % et ceux des doyens de facultés et des directeurs d’école, de 15,7 %. Ces chiffres ont été publiés par le syndicat des professeurs et je ne serais pas étonné que l’administration de l’université les conteste. Mais il sera difficile de nier que les salaires de l’administration ont augmenté à un rythme plus rapide que ceux des professeurs.

Je ne pense pas que les professeurs d’université peuvent raisonnablement demander plus d’argent dans la conjoncture actuelle.

Par contre, avaler la pilule de l’austérité est plus difficile quand la ceinture n’est pas serrée de manière équitable partout.

Qu’est-ce qui justifie l’écart croissant entre les salaires des professeurs et ceux des membres de l’administration ?

Un argument qui est souvent invoqué dans un tel contexte est que les hausses seraient nécessaires pour que l’institution demeure compétitive face aux autres universités. Même s’il s’agissait d’un bon argument, ce qui n’est pas le cas, l’administration de l’Université de Montréal ne peut pas l’utiliser, puisqu’elle nie la pertinence de ce même argument quand il s’applique aux professeurs.

Bref, l’écart croissant ne se justifie pas. La « valeur ajoutée » de l’université – pour utiliser un langage qui, malheureusement, envahit de plus en plus le monde académique – est produite par l’enseignement et la recherche. Certes, une bonne administration est essentielle pour appuyer les professeurs et la responsabilité institutionnelle qui vient avec ces tâches justifie une prime salariale. Mais comme la responsabilité n’a pas augmenté ces dernières années, la prime devrait rester la même.

Si, plutôt que d’imposer l’austérité d’en haut, les administrateurs donnaient l’exemple en acceptant des compressions salariales, la volonté des professeurs de se serrer la ceinture augmenterait de manière significative. Personnellement, si la direction me proposait de revenir au ratio salarial de 2010 et qu’il était maintenu, j’accepterais sans réserve un gel des salaires réels durant trois ans. Dans ce cas, l’argent épargné excèderait largement les coupes salariales de l’administration à elle seule. C’est une idée qui vaut la peine d’être étudiée non seulement à l’université, mais aussi ailleurs dans le secteur public.

Bien sûr, il serait possible de s’interroger sur la pertinence de l’austérité elle-même, comme approche politique, dans le contexte actuel. Mais ceci est une autre question. L’aspect répulsif de l’austérité qu’on vit aujourd’hui est qu’on a tendance à payer ceux en haut de l’échelle davantage pour qu’ils soient plus efficaces dans l’imposition de coupes sur ceux qui sont plus bas. Dans ce cas, il ne faut pas être surpris quand on reçoit des concombres au visage.

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