Environnement

Temps durs pour le plastique recyclé

Il n’y a pas que le papier, le plastique recyclé aussi en arrache. La baisse de demande attendue pour les carburants est, paradoxalement, en train de nuire au recyclage du plastique. Les sociétés pétrolières, prévoyant que les véhicules deviendront de moins en moins énergivores, s’organisent pour produire de plus en plus de résine de plastique vierge, ce qui fait chuter les prix et rend le plastique recyclé moins concurrentiel.

« Aux États-Unis, et probablement dans d’autres pays, ils produisent de plus en plus de matière vierge, ce qui fait qu’il y a surabondance de ce produit, qui est rendu moins cher que le produit recyclé », résume Marc Legault, propriétaire de Ced-Lo, un conditionneur de Farnham qui achète des plastiques usagés des centres de tri et de diverses entreprises.

Il n’a jamais trouvé la situation aussi difficile depuis l’ouverture de Ced-Lo en 2015. « Il y a un an et demi, on vendait le polyéthylène de type HMW entre 1,10 $ et 1,20 $ le kilo. Présentement, le meilleur prix que j’ai eu, c’est 0,70 $ le kilo. Cela fait-il assez mal à votre goût ? », lance-t-il.

Cette chute de 35 à 40 % est la plus marquée des cinq catégories de plastique recyclé qu’il vend, mais ce n’est pas la seule. Le prix du « PE injection », un autre polyéthylène, a diminué de plus du quart, de 0,95 $ à 0,70 $ le kilo, dit-il.

Pour réduire ses coûts, il a cessé de payer le transport pour amener les plastiques des centres de tri à ses installations et, dans certains cas, de payer pour les matières elles-mêmes. Il a aussi réduit son personnel du tiers, de 30 à 20 employés.

Concurrence féroce

La concurrence du plastique vierge est forte. « Ça fait 35 ans que je suis dans le domaine, et je paie ma matière plastique moins cher aujourd’hui qu’il y a 35 ans », témoigne Gino Belleville, copropriétaire de Plastiques GPR, une entreprise de Saint-Félix-de-Valois spécialisée dans le moulage par injection. « La matière neuve n’est tellement pas dispendieuse que je n’ai pas d’économie à acheter de la matière recyclée. À la limite, ça va me coûter plus cher de fabriquer avec de la matière recyclée », dit-il en citant notamment le taux de rejet plus élevé.

GPR se définit comme une entreprise écoresponsable et de plus, certains clients, comme ceux qui lui achètent des bacs pour la collecte sélective, exigent une part de plastique recyclé dans leurs produits. Le manufacturier en achète donc toujours autant, soit environ 30 % de ses achats de matière première. Mais il est bien conscient des difficultés du secteur. « Tant et aussi longtemps que j’ai des fournisseurs qui vont m’en fournir, je vais en utiliser, mais ça devient de plus en plus rare. »

« Pour eux, faire des affaires quand tu es à perte, ça ne peut pas durer. »

— Gino Belleville, copropriétaire de Plastiques GPR

Chez Soucy Techno, qui produit des concentrés utilisés dans la fabrication de tuyaux de drainage, on a aussi constaté une baisse importante de la demande de résine recyclée chez les clients américains. Le manufacturier de Sherbrooke, qui est un gros utilisateur de plastique recyclé, prévoit donc en acheter beaucoup moins cette année, mais il ne veut pas y renoncer. « On prend une légère perte sur nos marges de profit pour essayer de soutenir nos fournisseurs le plus possible, parce que si on tue notre marché, ça va être dur à repartir quand le prix de la résine vierge va augmenter », explique le directeur général, François Bédard. Mais ce n’est pas demain la veille. « On pense que c’est au minimum pour deux ans », dit-il en citant des discussions avec ses clients.

Entre conscientisation et production

Choqués par les déchets qui s’accumulent dans les océans et les centres de tri, beaucoup de citoyens s’efforcent de réduire leur consommation de plastique à usage unique, et plusieurs tentent de répondre à leurs préoccupations.

La chaîne de cafés Starbucks s’est récemment engagée à envoyer moins de déchets à l’enfouissement, alors que la Chine a annoncé une offensive contre les sacs, ustensiles et emballages à usage unique. Ces promesses s’ajoutent à de nombreuses autres faites au cours des dernières années par divers ordres de gouvernement (Union européenne, Canada, Montréal, etc.) et nombre d’entreprises. 

Sauf que la production de plastique est en pleine effervescence. La pétrochimie est devenue le plus important moteur de croissance de la demande pétrolière. D’ici dix ans, elle générera plus du tiers de cette croissance et, en 2050, près de la moitié, prévoit l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

« Pendant ce temps, les principales sources de demande pétrolière, en particulier les véhicules de promenade, perdent de l’importance sous l’effet combiné des économies de carburant, de la progression du transport en commun, des carburants de remplacement et de l’électrification », explique l’agence dans un rapport.

Plus de neuf… et de GES

La pétrochimie fabrique d’autres produits, dont les engrais, mais la demande de plastiques a presque doublé depuis 2000. C’est plus que pour n’importe quel autre matériau en vrac (acier, aluminium, ciment, etc.), souligne l’AIE.

Quand le marché était plus tendu et maintenait des prix plus élevés, le plastique recyclé avait l’avantage d’être moins cher. L’augmentation de la capacité de production a toutefois changé la donne, en particulier aux États-Unis avec l’abondance de pétrole et de gaz de schiste.

Certes, la « révolution du schiste » a entraîné une diminution des gaz à effets de serre (GES) aux États-Unis grâce aux centrales converties du charbon au gaz naturel. Mais les développements industriels projetés vont les faire augmenter considérablement, estiment des chercheurs de l’Université du Texas dans un article publié récemment dans l’Environmental Research Letters.

À la recherche de solutions

Comment rendre les plastiques recyclés plus attrayants ?

« Ça fait 10 ans que le dis : mettez un incitatif ! », s’exclame Marc Legault en citant la Californie et l’Union européenne (UE).

La Californie a adopté des lois qui poussent l’utilisation de matière recyclée dans la fabrication des sacs de déchets en plastique et des contenants de plastique rigide. L’UE a décrété que les bouteilles en plastique devront contenir au moins 25 % de matériaux recyclés d’ici à 2025, et au moins 30 % d’ici à 2030.

« Il faut que le gouvernement s’implique pour obliger les gens à mettre de la résine recyclée dans leurs produits, sinon les clients vont aller naturellement vers le moins cher », croit aussi François Bédard, de Soucy Techno.

Il faut que les consommateurs demandent des produits faits de plastique recyclé, acceptent de les payer aussi cher que ceux faits de matière neuve, et que les détaillants acceptent de leur en offrir, plaide pour sa part Gino Belleville. Le plastique issu de la collecte sélective présentant un mélange de couleurs, une pelle 100 % recyclée devrait être fabriquée en noir, explique-t-il. « Si le quincaillier décide qu’il la veut jaune parce que son agence de marketing a déterminé que le consommateur a trois secondes pour prendre sa décision, on vient de tuer la possibilité d’utiliser du recyclé », dit le copropriétaire de Plastiques GPR.

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