LE DRAME DE LA FAIM

Pleurer à l’épicerie

La pire période, dit Fanny Parent, ce sont ces semaines qui précèdent le temps des Fêtes. « Parfois, je me mets à pleurer sur mon panier en voyant tout ce que j’aimerais acheter à mes enfants. »

L’immense majorité des produits de la belle épicerie IGA où nous nous trouvons sont un rêve inaccessible pour la jeune mère célibataire. Des raisins ? Trop chers. Des prunes, que ses enfants adorent ? Elle hésite en voyant le prix. Elle en prend finalement trois. « Au moins, ils vont en avoir chacun une. »

En commandant son jambon cuit pour les lunchs des enfants – le moins cher –, une délicieuse odeur d’érable lui chatouille les narines. La source de l’odeur est ce jambon fumé sur place, cuit dans le sirop d’érable, qui est en dégustation. Fanny goûte. C’est délicieux. Elle va voir le prix. Trop cher.

« Je pourrais en prendre un autre morceau ? », demande-t-elle à la femme qui fait la dégustation. « Non », répond-elle. Fanny rougit légèrement et repart avec son paquet de jambon cuit.

APERÇU DU BUDGET MENSUEL 

REVENUS : 

Salaire net : 1200 $

Allocations familiales (fédéral et provincial) : 2228 $

REVENUS TOTAUX : 3428 $

DÉPENSES : 

Loyer : 1000 $ – 29 % du revenu

Électricité : 150 $

Télécommunications (cellulaire, câble, internet) : 200 $

Dépenses pour la voiture : 600 $

Frais de garde : 600 $

DÉPENSES TOTALES : 2550 $

Il reste 900 $ par mois pour manger, s’habiller et payer toutes les autres dépenses d’une famille de cinq personnes.

AVANT L’ÉPICERIE

Fanny a passé toute la matinée au Relais communautaire de Laval, où on offre de l’aide alimentaire. Arrivée à 9 h 30, elle en repart à 11 h 30 avec son sac. La veille, elle était passée au Carrefour de bénévolat de Laval où, pour la modique somme de 5 $, elle a obtenu d’autres provisions. La Saint-Vincent de Paul (SSVP) lui a également concédé un chèque de 50 $ pour du dépannage alimentaire, échangeable dans les supermarchés.

« Je suis allée voir tous ces organismes pour avoir de la nourriture afin d’être capable de payer mes comptes. C’est le plus grand stress de ma vie : manquer de nourriture et de vêtements pour mes enfants. Quand les changements de saison arrivent, je panique. »

Fanny a épluché ses cahiers publicitaires, elle a fait sa liste : par exemple, les bananes à 49 cents la livre chez IGA et les pommes de terre à 2,99 $ le sac au Super C, le savon à vaisselle chez Uniprix. Nous sommes le 13 du mois. Son épicerie devra lui durer deux semaines parce que la semaine prochaine, elle utilisera tous ses revenus pour payer ses différentes factures.

OBJECTIF :  dépenser un maximum de 150 $, en incluant les articles d’hygiène.

À L’ÉPICERIE

Fanny passe vite au rayon des fruits et légumes chez Super C, sauf pour le fameux sac de pommes de terre en rabais, un petit paquet de champignons. « Il n’y a pas grand-chose en spécial. » Les légumes seront achetés chez IGA… comme ce pied de céleri, ou sous forme surgelée, beaucoup plus économique.

Les choix sont plus douloureux dans le rayon des viandes. La famille mange beaucoup de porc, une viande économique. « On est tannés du porc, mais c’est la moitié du prix du bœuf. » De toute façon, les côtelettes de porc à 8,80 $ le kilo sont trop chères pour Fanny. Elle opte pour des cubes de bœuf à ragoût et un gros paquet de bœuf haché, en solde lui aussi.

« Avec du jus de tomates, ça va faire une bonne sauce à spaghetti. »

Les saucisses à hot-dog (au poulet) sont un incontournable de l’épicerie de la jeune femme. « Avec ça, je peux faire des pâtes, des hot-dogs… »

Fanny réquisitionne un gros sac de filets de sole surgelés, ainsi que deux boîtes de poisson pané, en rabais à deux pour 7 $.

Des boîtes de jus Oasis au rabais ? Elle en achète quatre, pour les lunchs des enfants. « Je veux du vrai jus avec des vitamines, mais à un prix abordable. Je le dilue un peu. Les enfants sont habitués. »

Le pain a été donné par la banque alimentaire. Le lait est par contre un achat impératif. « C’est pas compliqué : il me faut un sac de 4 L de lait, un pain et un rouleau de papier de toilette par jour. »

Car avec quatre enfants, il y a évidemment des articles d’hygiène impératifs : couches, mouchoirs, lingettes humides, savon à laver…

À chaque article ajouté au panier, la calculatrice qui se trouve dans la tête de Fanny s’active. Avant de passer à la caisse, elle sait exactement où elle en est. « Ça devrait tourner autour de 100 $. »

À LA CAISSE

Le bon de réduction de la Société Saint-Vincent de Paul pose problème à la caisse. « On prend-tu ça, la Saint-Vincent ? », crie la caissière à la gérante adjointe, qui se trouve trois caisses plus loin.

La gérante adjointe arrive en trombe et examine minutieusement le bon. « Oui, dit-elle. Mais je ne sais pas si on peut mettre les couches. » Après de longues palabres au téléphone, les couches sont finalement décrétées admissibles.

Fanny a séparé son épicerie en deux, afin d’en payer une partie avec le bon. « Si la facture totale est trop élevée, la Saint-Vincent estime qu’on a assez d’argent et ne nous donne plus de coupons », dit-elle. L’organisme reçoit de l’épicerie le relevé complet des achats faits avec leurs bons de réduction. Une liste de produits interdits, comme l’alcool, figure en gros caractères sur le bon.

FACTURE TOTALE : 

102 $ – 50 $ de la SSVP

TOTAL : 52 $

ET APRÈS

Fanny ira également chez IGA et chez Uniprix ce jour-là pour trouver tout ce qu’elle cherche au meilleur prix. À la pharmacie, elle achète du savon à vaisselle (deux pour 5 $), du Lysol, de l’assouplisseur. En passant, elle ramasse deux petites paires de gants pour enfants à 99 cents.

Le rabais sur les pots de Tylenol ne la convainc pas. Elle soulève l’étiquette du rabais. « Regarde : 6,29 $ en spécial ? Le vrai prix, c’est 6,99 $. Pas un gros spécial. »

Chez IGA, Fanny tombe en contemplation devant le saumon frais. Même en solde, les beaux filets roses sont trop chers pour elle.

Elle tourne le dos au saumon pour se diriger vers les bananes au rabais. Elle en prend une dizaine. Six poires, qu’elle pèse soigneusement.

Les charcuteries sont impératives pour les lunchs. « C’est fou, tout augmente. Avant, j’achetais toujours autour de 1,49 $ la livre. Maintenant, il n’y a rien à moins de 1,79 $. »

Le seul article manquant, ce seront les boîtes de jus de tomates. À trois grandes conserves pour 5 $, Fanny trouve encore cela trop cher. « J’irai cette semaine chez Wal-Mart en acheter. »

TOTAL : 

41 $ CHEZ IGA

21 $ CHEZ UNIPRIX

TOTAL GÉNÉRAL : 114 $

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