Opinion Inconduites sexuelles

Le temps du sexisme normalisé est révolu

Nathalie Bondil

Viol. Agression. Harcèlement. Inconduite. Sur l’échelle de la violence, celle faite aux femmes en particulier, ici comme ailleurs, trop fréquente. Ces mots décrivent des réalités légales bien différentes, mais une seule conscience sociale : tolérance zéro. Si condamner appartient au pouvoir du juge, chaque citoyen et chaque citoyenne a le pouvoir de refuser en bloc ces comportements. 

Comme femme, j’ai connu – et je rencontre toujours – dans ma vie professionnelle la misogynie, le machisme et l’infantilisme,  sans pour autant oublier tous ceux et celles qui m’ont soutenue, hier et aujourd’hui. 

Directrice de musée, j’avais réagi sur les ondes le 3 novembre dernier à la lettre ouverte intitulée « Not surprised » [Pas surprises], signée par 7000 femmes de l’art contemporain contre le harcèlement : « Nous appelons les institutions artistiques, les instances gouvernementales culturelles ainsi que tous nos collègues à s’interroger. » 

Le 12 décembre, l’Association of Art Museum Directors invitait ses membres en prévision d’une prochaine rencontre à une discussion entre directrices :  « Le harcèlement sexuel dans le lieu de travail, incluant le monde de l’art, n’est pas nouveau, mais au cours des semaines passées, un débat grandissant émerge […]. Reconnaissant les directeurs dans des positions à la fois puissantes, mais vulnérables, le but de cette rencontre est d’aider les participants à comprendre leurs droits et leurs responsabilités pour identifier et répondre à un comportement inapproprié, pour les soutenir dans leur rôle, à donner le ton par leur rôle, et promouvoir des comportements respectueux au travail. » 

Le 11 décembre, 20 centres d’artistes du Québec signaient, à l’initiative du Centre Clark, une importante lettre ouverte dans La Presse : « Nous, artistes visuels et travailleurs culturels du milieu des arts visuels, réagissons aujourd’hui au silence généralisé qui a entouré et continue d’entourer les comportements inacceptables. » Cette lettre réagissait à un article publié dans La Presse du 15 novembre qui révélait une ancienne accusation de viol contre un collectionneur, François Odermatt, par une artiste, Natalie Reis. Encouragée par sa galerie, elle avait exposé des années plus tard une installation poignante – mais sans livrer de nom –, inspirée de sa bouleversante déposition laissée sans suite par la justice. Un nom que le journaliste a révélé le 15 novembre. 

Troublée par cette révélation, j’ai investigué,  pas en tant que procureure, mais en tant que femme, mère et professionnelle. 

Ayant visité l’artiste, échangé avec d’autres, souvent accompagnée de ma fille de 19 ans – une boussole dans ma réflexion – sur ce tsunami social comme sur cette révélation, je constate combien cette « culture du viol » est profondément ancrée dans notre imaginaire artistique et mythologique. L’œuvre de Natalie Reis en fait justement écho depuis sa relecture de L’enlèvement des filles de Leucippe de Rubens à ses Portraits de prostituées fichées par la police de Montréal. Elle dénonce le sort de ces proies ordinaires, artiste elle-même, victime à son tour, mère discrète. Sa voix sera exposée au Musée quand elle sera prête. 

La limite à la tolérance, c’est l’intolérable. Où se trouve cette limite aujourd’hui ? Au fur et à mesure du temps qui passe et des mentalités qui changent, le curseur se déplace du viol à l’inconduite, et c’est très bien. Le présentisme de nos jugements nous questionne sur des comportements autrefois acceptés. 

Le temps du sexisme normalisé est révolu. La génération montante du « corps conscience » ne tolère rien sans consentement « explicite et continu » : mains baladeuses, gestes inappropriés, inconduites verbales sont autant d’agressions. Pour qui que ce soit, collectionneur ou pas, ce sont de « vieux modèles » d’abus de pouvoir et de grossièreté que nous n’acceptons pas, d’autant plus quand ils s’imposent aux plus vulnérables, les artistes comme les autres.

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