Industrie agricole

Les consommateurs auront le dernier mot

Si les tarifs douaniers tombent, les consommateurs seront inévitablement avantagés, car ils auront plus de choix, avec l’arrivée de nouveaux produits, et de meilleurs prix. N’est-ce pas ? 

« Ça m’étonnerait énormément, dit Julien Dupéré, de la Laiterie de La Baie, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Au Québec, 90 % du marché du lait est concentré entre les mains de trois joueurs de l’alimentation : Loblaws, Metro et Sobeys. Le secteur des produits laitiers est l’un des créneaux les plus rentables en alimentation. » Selon lui, il est plus probable que les distributeurs en profitent pour augmenter leurs marges de profit sur certains produits. 

Présentement, le lait ne coûte pas plus cher ici qu’ailleurs, où les producteurs reçoivent pourtant beaucoup moins à l’hectolitre, explique l’agroéconomiste Pascal Thériault. « On a simplement une meilleure répartition tout au long de la chaîne de distribution », explique-t-il.  

Pierre-Luc Leblanc, des Éleveurs de volailles du Québec, croit pour sa part que les Américains vont offrir de la viande à « très, très bas prix » les premières années, ce qui aurait pour effet de détruire la filière québécoise. « Les prix remonteront ensuite », dit-il.

LA VOLATILITÉ 

Qu’arriverait-il dans le cas d’une crise sanitaire, comme il vient d’y en avoir une dans le poulet aux États-Unis ?, demande Pierre-Luc Leblanc. 

« Le prix des œufs a grimpé en flèche aux États-Unis au printemps et il y a même eu rationnement. Les producteurs américains ne sont pas capables de nourrir leur population et on dépendrait d’eux ?  » 

— Pierre-Luc Leblanc, des Éleveurs de volailles du Québec

La gestion de l’offre a ceci de bon, dit Julien Dupéré, de la Laiterie de La Baie : elle apporte de la stabilité dans un marché autrement très volatil, celui de la production animale sujette à l’offre et à la demande. « Aux États-Unis, dit-il, quand le prix du lait est trop bas, les producteurs sont obligés de tuer des vaches, pour créer de la rareté et rétablir la production. »

LE CHOIX 

Au bout du compte, c’est le consommateur qui aura le dernier mot à l’épicerie devant des produits d’ici et d’ailleurs. « Le consommateur va se demander s’il paye plus cher pour un fromage québécois dont le lait n’est pas subventionné ou s’il achète un fromage européen, qui est moins cher, illustre Marcel Groleau. Devant ce choix, plusieurs consommateurs bien intentionnés vont glisser vers le prix. On sait que malgré toutes les bonnes intentions, c’est le prix qui a le plus d’incidence sur le choix en consommation. Que ce soit pour une voiture ou du fromage. C’est la réalité de la consommation et on n’y échappe pas. » 

C’est aussi ce qui se passe pour les transformateurs québécois, importants acteurs de la chaîne alimentaire, qui optent pour des ingrédients laitiers américains moins coûteux afin d’offrir les produits les moins chers possible. Agropur, le plus important transformateur laitier de la province, qui appuie la campagne Forts et Unis de l’UPA en faveur du maintien de la gestion de l’offre, utilise ces ingrédients importés, offerts à prix imbattable. L’ironie est d’autant plus grande qu’Agropur est une coopérative laitière qui appartient… aux producteurs laitiers ! « Agropur est soumise aux règles de la compétition, explique Marcel Groleau. Il doit faire face à Saputo, à Lactalis. Il est pris dans ce dilemme. » Un dilemme moral ? « Un dilemme moral lié à une réalité économique », répond le président de l’UPA.

« Le consommateur est toujours noble de cœur, mais quand ça touche le portefeuille, ça touche le portefeuille. »

— Pascal Thériault, professeur à la faculté de l’agriculture et des sciences de l’environnement de l’Université McGill 

LE MODE DE PRODUCTION 

Ce que déplorent le plus les agriculteurs et les transformateurs d’ici, c’est que les consommateurs jugeront un aliment sur son prix, sans connaître son mode de production. Et que s’ils le connaissaient, ils seraient certainement bien mal à l’aise de le mettre dans le panier. Pierre-Luc Leblanc, producteur de volailles à Saint-Hyacinthe, change la litière et nettoie ses bâtiments chaque fois que ses poulets quittent le poulailler. « Aux États-Unis, des producteurs peuvent laisser la même litière durant un an », dit-il. 

Le Québec a conservé des fermes à échelle humaine, dit Marcel Groleau. Les fermes américaines, tous élevages confondus, sont généralement beaucoup plus grandes que les québécoises. Un troupeau de vaches laitières moyen compte 64 animaux au Québec contre 1056 en Californie. « Nous avons une multitude d’entreprises de petite et moyenne tailles réparties sur l’ensemble du territoire, dit le président de l’UPA. Si on met aujourd’hui ces entreprises-là en compétition avec des entreprises américaines de 2000, 3000, 5000 ou 10 000 vaches, elles ne sont pas en mesure de compétitionner. »

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